Depuis que je vois mon psychanalyste...

elisabetha

Texte dit en public (écrit sur le thème : depuis que je vois mon psychanalyste il va beaucoup mieux) proposé par Thierry Kagan.

 

 

Je m’appelle Sauvage.  Un nom d’emprunt. Mais qu’importe ! Ne sommes nous pas ici pour faire le spectacle, baladins joyeux de la dérision et du plaisir ?
Vais-je donc suivant votre fantaisie, prendre mes distances par rapport à mon personnage ? Ce qui voudrait dire dans votre langage : «  Vais-je reculer pour mieux sauter ? »
Vais-je donc sauter mon psychanalyste , puisqu’il est notre sujet ce soir ?
Hélas !  non .
Oh  quelle déception ! Tous ces ricanements perdus !
J’aurais pu vous laisser croire que si : ne sommes nous pas là pour écrire vos rêves ?
- Au fait, le vôtre comment va-t-il ?
N’est il pas comme votre rêve ce bel homme à la mine de papier buvard tout jauni par le soleil de vos secrets ? J’exagère un peu. Disons, ce bel homme au teint blafard de se tenir toujours dans l’ombre, écoutant d’un œil le récit fumeux de votre enfance inoubliable.
N’est t’elle pas comme votre rêve cette dame à la quarantaine discrète, l’œil tendre sous ses lunettes sévères qui vous écoute parler de votre mère au tarif syndical de   2  euros  la minute ?
Et le mien pensez vous ? (à votre tour de vous moquer) comment est-il ?
Non, non vous ne pouvez l’imaginer. C’est qu’il ne ressemble à personne. Son histoire est complexe.
Je dois vous dire tout d’abord  que j’ai mis très longtemps à le rencontrer. Je voulais quelqu’un qui soit le portrait de mon cher disparu. Pauvre Mousse ! Comment retrouver  quelqu’un qui eut ton regard et ronronne à ma voix sans rien demander qu’une caresse ?
Tigré comme l’imposture, pers comme le silence, Mousse exerçait sur  moi la fascination de l’Idéal.  Que je ne l’eusse rencontré qu’avec un chat pouvait donc suggérer quelques questions au plus profond de moi et poser quelques problèmes. Je m’apprêtais donc à les résoudre sous le regard profond d’un autre qui n’est lui-même que le doux devin du divan : j’ai nommé un psychanalyste.
Germain je l’avais choisi entre tous parce qu’il ressemblait à mon chat. Il avait ce même œil jaune perdu au fond du temps et ce poil roux des félins ondoyant sous la lumière. Seule petite différence il ne ronronnait pas à ma voix : même il s’endormait, le visage entre ses mains, comme s’il voulait cacher sa ruse Deux secondes par ci, deux secondes par là, que voulez vous ? Il était si fatigué d’entendre toutes ces plaintes et de ne répondre que par le silence. Oui comme mon chat, mais le silence chez les humains çà finit par miner et au fur et à mesure que nous avancions, je lui trouvais l’air de plus en plus sournois comme s’il me reprochait de lui prendre ses rêves…
Alors je mesurais que ma tristesse n’était rien par rapport  à la sienne : homme que l’on aimait par transfert, donc toujours à la place d’un autre. Objet de supplication et de haine qu’on égarait plusieurs fois par jour sur des chemins de détresse. Objet de dépendance et d’insuffisance, objet de réclamation et de luxe, objet vide, disloqué, simple breloque de l’âme.
Alors que faire ? Quel geste qui serait à la fois décent et généreux ? Un beau geste dont les femmes ont le secret.
L’écouter tout simplement.
L’écouter pour qu’il devienne à son tour plein d’un autre et qu’il ait une histoire à lui avec des couleurs et de la joie. L’écouter pour lui donner l’envie d’être ailleurs, de vivre dans une île pleine de soleil où la liberté chante  et danse.
Alors je l’écoutais pour pas une tune, pour lui apprendre que le temps ce n’est pas de l’argent.
C’était dur à lui faire comprendre tout cela, mais j’y suis arrivée. Vraiment depuis que je vois mon psychanalyste il va beaucoup mieux.

 

  • J'aime beaucoup!! Au-delà du sujet qui est lui-même très intéressant, style épatant et renversement subtil je trouve. A nous de soulever d'autres questions bravo et merci pour ce beau texte

    · Il y a presque 11 ans ·
    Default user

    Rose Marie Calmet

    • merci Rose pour ta lecture. Tes compliments me touchent beaucoup. Quand on écrit quelque chose on a envie que cela plaise aux lecteurs "futurs".

      · Il y a presque 11 ans ·
      Bbjeune021redimensionne

      elisabetha

  • j aime beaucoup ce texte et pas seulement pour le thème ;-) la construction, le style très maitrisé, sa densité, on laisse sa place au lecteur...très beau passage sur la tristesse du psy. ..

    · Il y a presque 11 ans ·
    Zen

    marjo-laine

    • merci de ton commentaire, bien vu. Tu as tout compris et ressenti en même temps. Même intérêt pour le sujet sans doute.

      · Il y a presque 11 ans ·
      Bbjeune021redimensionne

      elisabetha

  • ah je crois en avoir écrit de beaucoup plus personnels mais celui ci m'a couté beaucoup d'efforts pour en arriver là. C'est très vieux mais je m'en rappelle encore.

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Bbjeune021redimensionne

    elisabetha

  • C'est très bien écrit ! Et j'aime ces échanges autour de cet art de manier la rhétorique !

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Mains colombe 150

    psycose

  • tiens quelqu'un qui trouve un intérêt à ce texte. Cela fait du bien. et qui n'est pas sensible qu'à l'effet faussement drôle de la fin.

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Bbjeune021redimensionne

    elisabetha

  • J'adore. C'est très calme et touchant. On en reprendra avec la prochaine séance. ...

    · Il y a plus de 11 ans ·
    10712727 927438223957778 7773632960243052824 n

    cerise-david

  • doublette sur : la fascination de l'idéal. Je ne modifie pas,je vous en informe.

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Bbjeune021redimensionne

    elisabetha

Signaler ce texte