Derrière le masque

Julien Darowski

...

J'aurais beau m'épuiser à écrire, à parler,
Les mots ne seraient que des traits sur le papier.
L'envie de tout brûler, de briser, de détruire
Prend le pas sur l'espoir, l'horizon, le sourire.


Ma tête me trahit, elle impose sa loi,
La nuit m'envahit, un vide se creuse en moi.
Il faut me pardonner si je suis sombre et triste,
Si le clown au nez rouge a déserté la piste.


Je me revois sur scène, heureux comme un enfant,
Une larme sous l'œil, du maquillage blanc,
Jouant, improvisant, sachant être à l'écoute,
Sans jamais avoir peur et sans le moindre doute.


Qu'ils sont loin ces jours-là. Combien ai-je connu
De fables et de vers ? Je ne me souviens plus.
Je voulais ressentir, disséquer et transmettre
Ces vérités enfouies derrière chaque lettre.


J'étais pauvre, naïf, candide, séducteur,
J'étais gnome, lutin, roi déchu, serviteur,
J'étais transi d'amour, jaloux et colérique,
J'étais jeune premier à l'expression tragique.


Des personnages qui me suivaient partout
Et me hantaient parfois jusqu'à m'en rendre fou ;
Leurs intonations, leurs failles, leurs cicatrices
S'imprimaient sur ma peau comme des plaies factices.


Ils m'ont aussi permis de guérir, de rêver
Et de regarder les Hommes sans les juger,
De savoir qu'ici-bas nul ne choisit son rôle
Et que nous cherchons tous un appui, une épaule.


Pourtant La Fontaine est mort et Molière avec,
Le corbeau n'a plus rien à tenir en son bec.
Où es-tu mon Agnès ? Je t'attends, je t'espère ;
Mon ombre a besoin de tes rayons de lumière.


Si je suis trop laid pour que tu m'aimes, alors
Laisse-moi simplement être contre ton corps,
Que je m'imprègne juste un peu de ta présence,
Des dernières lueurs de ton insouciance.


Tu portes la jeunesse en toi comme un flambeau ;
Tu seras le plus bel astre à briller là-haut.
J'avais tort de vouloir te garder en otage.
Sois libre maintenant, tu peux quitter ta cage.


Et tant pis si la pluie vient ternir mon regard,
Tu méritais bien mieux que l'aigreur d'un vieillard.
L'amour n'est pas qu'un gouffre, une effroyable impasse,
C'est un fil qui aide à recoudre notre face.


Fuis, envole-toi, ne fais pas demi-tour,
Oublie les leçons et le stupide discours
Que je tenais. Il n'y a de vrai que la tendresse
D'un être bienveillant, d'un mot, d'une caresse.


J'ignorais tout cela car mon cœur était gris,
Car la vie m'a usé de ses coups, de ses cris,
Car j'ai laissé mourir ces choses précieuses
Qui font en s'en allant le bruit des berceuses.


Seule ta voix pouvait me guider hors du noir
Et me montrer ce que je ne savais plus voir.
Reste ! Je t'offrirai l'immense, le grandiose,
Les flammes et l'or d'une étoile qui implose.


Je t'écrirai le ciel pur, limpide, serein,
Clair comme ce jour où l'on se prenait la main,
Quand nous partions ensemble explorer la vallée
Et que nos yeux parlaient une langue inventée.


- Peinture : « Le clown bleu » par Bernard Buffet ( 1928 - 1999 ) peinte en 1985
- Musique : « Ballade No. 1 en sol mineur, Op. 23 » par Frédéric Chopin ( 1810 - 1849 ) composée en 1831 et 1835 et jouée par Krystian Zimerman
- Texte : « Derrière le masque » par Julien Darowski en février 2018
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