Des fêtes pas comme les autres

-Tu installes la guirlande chérie ?

J'acquiesçais tout en plongeant mes mains dans le carton pleins de décorations de noël. Ma mère, vétue d'un jean et d'une écharpe qui serrait son cou frêle, posait sur les épines du sapin des boules représentant des lutins. De la cuisine on sentait l'odeur du pain d'épice que mon père faisait cuire tout en chantonnant. L'ambiance des fêtes étaient, plus que jamais, présentes. Mes parents étaient très attachés à la tradition, et tous les ans, ils allaient acheté un beau sapin vert, quelques décorations, et ils ressortaient du grenier les anciennes, les guirlandes lumineuses et la crèche.

Nous étions le 18 décembre. Le lendemain était mon dernier jour de cours avant les vacances, et j'avais hâte de partir à la campagne, chez ma grand-mère.

J'enroulais une guirlande autour des branches, la dernière du carton. Mon père avait fini d'installer les décorations lumineuses au dehors, et tout clignotaient gaiement. Ma génitrice avait, quand à elle, installée Marie dans l'étable et elle était en train de préparer les courses de noël, un stylo dans la bouche, les yeux rivés sur la feuille blanche.

-J'irais faire les courses demain matin, dit-elle, sortant de son intense réflexion.

-Tu me déposeras à l'école alors !

Elle leva son pouce, et nous partîmes dans un fou rire incontrôlé.

C'était mon quotidien. J'étais très proche de ma mère, et je lui disais tout. Elle était encore plus au courant de l'actualité de ma classe que quelques camarades à moi. Elle retenait tout, et m'emmenait toujours danser le week end. Nous ne nous sommes jamais engueulés, et jamais je ne l'ai considéré comme une personne chiante, comparée à mes amies.

Ce fut dans la bonne humeur que nous attendions noël.

Mais cela ne se passa pas comme prévu. Le lendemain matin, elle me réveilla. Elle sentait la mandarine et le shampoing bon marché, son salaire ne pouvant lui permettre d'acheter mieux. Elle caressa ma joue de sa main de velours et me susurra de me lever au plus vite. Ce que je fis. Tout en brossant mes cheveux, j'enfilais mon jean, avec difficulté, il faut l'avouer.

Je me goinfrais de biscuits préparés la veille, fis mon sac à la va-vite, car j'aimais me mettre au travail à la dernière minute, et couru vers la voiture de ma mère dont le moteur ronronnait déjà. Je sautais dans la voiture, déposais mon sac à mes pieds chaussés et montais de suite le son de la musique. Ma mère et moi avions l'habitude de chanter à tue-tête, pour le malheur des oreilles de mon père, qui grimaçait dès que nous entamions une chanson. Là, ce fut Jingle Bells, rapport au fête. La voiture passa devant des illuminations, et si je n'avais pas pressée ma mère, elle se serait arrêtée pour regarder les lumières s'éteindre et s'allumer et les nounours tourner sur eux-même avec des sucres d'orge dans la main.

Une véritable gamine.

C'était ma mère.

Elle avait coiffé ses cheveux or -j'avais hérité des siens- en deux couettes, ce qui la rajeunissait énormément. Elle semblait plus avoir 16 ans que 32. Elle avait passé une salopette en jean, un long haut et un blouson chaud, et elle avait chaussé ses pieds de bottes.

Une gamine je vous dis.

Elle s'arrêta devant les grilles de mon collège, -car j'avais, à cet époque, 14 ans- et m'embrassa sur le front comme elle le faisait à chaque fois. J'adorais cela. Je sortis, lui fis un signe de la main et m'engouffrais dans la bâtisse imposante grise, où un flot d'élèves se pressaient.

Le premier cour passa, dans la banalité la plus totale. J'avais retrouvé Roxane, toujours aussi originale et punk, et nous avions embêté le prof de physique.

Nous étions, en ce temps-là, de véritables emmerdeuses mais sympathiques, aux bonnes notes.

Le deuxième cours fut plus ennuyeux. Et le troisième annonça la fin de ma joie de vivre et de mon bonheur. C'était SVT, l'un des cours que je redoutais le plus. Le professeur avait d'énormes lunettes en cul de poule, des yeux riquiqui comme ceux d'une fouine, et des cheveux noirs en bataille.

Il ne faisait pas peur, mais je nageais tellement dans cette matière qu'il prenait plaisir à se moquer de moi. Mais il n'eut pas le temps de me faire ses railleries quotidiennes car le directeur vint me chercher.

La suite reste floue. Il m'annonça que ma mère avait eu un accident et qu'elle n'en avait pas réchappé. J'avais d'abord rigolé, pensant à une blague, puis m'étais tus avant de hurler ma douleur.

Elle était parti. A jamais.

Noël, je ne le fêtais même pas. Je passais cette soirée de fête dans ma chambre, à pleurer sans discontinuer. J'avais perdu ma mère, celle qui m'était la plus chère.

Rien n'était plus comme avant.