Des ronds dans l'eau [1]

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Nora peut passer des heures prostrée derrière la fenêtre. Qu'André et Jeanne la grondent n'y change rien. Elle joue la sourde-oreille, la femme statue. Mais peut-être, aussi, qu'elle ne les entend pas toujours. Ils ne savent trop. Ils font juste avec.

Que le soleil soit déjà  haut et cogne fort contre les carreaux et parfois la brûle, ne l'empêche pas.

Il y a des matins où sa vie tient à ce cadre. Où elle ne peut arriver à respirer qu'en ayant les mains crochetées au rebord.

Nora sourit à l'ombre du puits.

Jeanne peste, lui tartine le visage de crème solaire en insistant bien sur les ailes du nez, parce que c'est toujours là qu'elle rougit le plus et il ne manquerait plus qu'elle ait un nez de clown en plus du reste ! Toujours en se tenant dans son dos, en laissant le champ libre à son regard, elle badigeonne le visage hagard de sa mère.

Elle reste un temps à côté d'elle. Sans rien dire ou faire. Juste sentir son odeur, tenir sa main, absorber la chaleur brûlante de sa paume. Comme un rituel qui précède le moment où enfin elle se décide à vérifier la couleur du ciel.

Là, se nichent toutes ses craintes et tous ses espoirs.

S'il est bleu, elle peut partir à la boutique, faire les comptes et les poussières, la conversation à son père, puis à l'atelier de Myriam, et même encore trainer tard sur le port ou près des ruines. Manger de belles crevettes roses chez Solène pendant, qu'elle, lui mange gourmande, la bouche des yeux.

Mais s'il est gris, il faut rester enfermée là, à veiller Nora, avec l'angoisse du premier éclair, du premier rond dans l'eau.

Ce matin, Jeanne n'a pas eu le temps de lever les yeux vers le ciel. Une goutte s'est écrasée contre la vitre. Puis une deuxième. Elle n'a pas attendu les suivantes pour vite courir à la porte, la verrouiller à double tour, et glisser la clef bien au fond de sa poche.

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