Désirée

Philippe Renaissance Neo

Les tribulations de François d'Estienne, accro du libertinage.

Je m'appelle François d'Estienne. J'ai quarante-trois ans et je suis l'intermittent du spectacle, dont les représentations les plus excitantes séduisent le public averti de Pôle Emploi ! Heureusement, pour me libérer du quotidien grisaille, il y a Myriam.

Ce soir, nous sortons dans une boîte un peu spéciale : Le Over the Rainbow, club bien connu des fêtards libertins. Pour nous désinhiber totalement, nous buvons un pot au bar lounge : tequila sunrise pour Myriam, j'opte pour une vodka-martini mélangée au shaker, pas à la cuillère ! L'ambiance est feutrée, les accords d'un jazz latino s'élèvent en volutes sensuelles.

En face de nous, un couple. La quarantaine bon chic bon genre. Lui ; le teint hâlé du businessman. Elle ; métisse, les cheveux courts, le gloss fraise écrasée, un pendentif de la même nuance, et une robe délicieusement fendue. Nous nous dévisageons sans aucune gêne. Ma copine me caresse l'entrejambe. La respiration haletante, j'ai hâte d'explorer des contrées inconnues. Le couple se lève et la femme, d'un sourire appuyé, nous invite à les suivre.

Sous l'alcôve devant moi, madame Cheveux-courts s'est transformée en fille latex. Issue fatale d'un naufrage annoncé ou promesse d'un monde meilleur ? Des jambes interminables, une ravissante teinte ambrée en guise de messages submergent mes sens. Comme une femme des îles, son odeur exhale des arômes de vanille, de papaye et de muscade. Mes doigts tremblent, sauvages et rageurs. Mon esprit les suit qui s'agite en cadence. Mon cœur cogne une sarabande infernale. Il s'échappe de ma poitrine et s'écrase, rougeoyant, sur les murs blancs de ma libido.

J'ai la bouche sèche et pâteuse d'un missionnaire du désert. Je traîne une main sur ma métisse, en remontant lentement le long de son échine. Je me calme à son contact. Sa peau de latex ruisselle, tiède et moirée. Elle se love, câline comme une vieille confidente.

De son côté, monsieur L'homme-d'affaires lèche Myriam à petites lampées. Elle écarte largement ses cuisses et lui cajole la nuque en l'appuyant légèrement sur ses grandes lèvres. Lui ; commence à raidir ferme, le braquemart au garde-à-vous. Ma p'tite valentine pousse des piaillements d'invite de plus en plus aigus. Son amant la retourne face à moi et s'embroche jusqu'à la garde.

Tous les deux entament une levrette.

Je contemple Myriam qui succombe béatement. Apparemment, elle tutoie les anges. Je me détourne et entreprends madame Cheveux-courts. Elle mouille abondamment et se trémousse du postérieur. Sans réfléchir, je m'introduis par le fond en fichant un index dans sa croupe callipyge. Je la pénètre sensuellement. Elle s'étire gracieusement vers les sommets. L'épaule frémit, le col gracile frissonne sous le souffle. Un collier hérissé de pointes en acier l'enserre.

Voici qu'elle gémit : un long feulement rauque de chatte en chaleur.

Je fouille ses aisselles. Une saveur sucre de canne m'enivre. Elle m'évoque ces voyages au long cours, ces trésors découverts d'on ne sait quel territoire exotique.

Je la tète voracement. Ses seins dardent fièrement à l'extérieur de sa combinaison. Pareils à deux grosses mangues, ils enfouissent mes derniers scrupules. À l'assaut des mamelons qui se dressent, je campe les hussards d'une guerre exquise.

Voilà que monsieur L'homme-d'affaires ralentit la course. Il écume, semble se retenir… il se retire et s'allonge sous mon amie. Aurait-il besoin de souffler quelque peu ?

Myriam en profite et s'empale sur son membre turgescent. Elle joue les ascenseurs fous : premier, deuxième… premier, deuxième… Sans forcer ; tranquille… À cette allure, le septième ciel n'est pas pour maintenant !

Je continue mes petites affaires avec la fille latex. La fureur du désir déséquilibre notre édifice ; alors nous nous enlaçons, par peur de nous perdre. Nos bras crochetés font office de grappins. L'assurance d'arriver à bon port ; ensemble. Mon pouls imploserait n'importe quel tensiomètre. La verge gonflée de sang, je hisse le mât et cherche à tâtons une ouverture. Ma partenaire ondule de délectation. Ses murmures de fontaine emplissent le carré VIP. La tempête redouble. Les spots déchirent l'espace d'éclairs stroboscopiques. La nymphe en fusion, la Vénus me lacère le dos à coup d'ongles carmin. Elle se fend sous le boutoir en deux moitiés qui divergent. À la croisée d'un cunnilingus, un feu de Saint-Elme embrase sa sainte-barbe. La poudre suave explose, nous rapproche, puis disperse nos mystères.

Le calice me livre son précieux nectar. Un torrent d'ivresse abreuve mon palais. Le flot s'écoule en cascades successives. Extatique, elle crie en saccades. Quelques gouttes divines se répandent sur le sol.

Je les avale avidement, esclave de mes tourments.

Pendant ce temps, Myriam s'enfonce profondément le piston du businessman en s'effeuillant le clitoris. Lui, il grogne. Attirée par ses signaux, une blonde féline en caraco pourpre s'immisce dans le cercle. Ses jambes sont fuselées par des bas nylon fumés, retenus par un fin cordon de soie prolongeant un porte-jarretelles satiné.

Elle grimpe à califourchon sur son visage et se fait humidifier la caverne à plaisir tout en triturant les mamelles de ma belle.

Surexcité, le Grillé-par-les-UV s'extirpe, pour rapidement s'enfiler dans l'arrière-train de Myriam. Bonne fille, elle l'encourage par un « oh, oui… » languissant.

Tout à coup et sans en comprendre la raison, j'éclate d'une rage contenue jusqu'alors.

Une pulsion d'animal féroce dicte mes mouvements. Est-ce la vue de ce trio lubrique se régalant devant moi, ou le son de Metallica qui me stimule ? Toujours est-il que je me relève brusquement et me saisis d'une verge en cuir.

François d'Estienne a disparu. Vive mister Hyde ! Le maestro du vice, l'éminent pourvoyeur de sévices. Pervers par-derrière et concupiscent par devant.

Je brandis l'instrument de ma colère et frappe.

Mon fouet cingle et flagelle, une fois, deux fois… dix fois. La roulure se cambre sous la lanière : cette chienne soumise aime ça ! Chaque claquement la ranime, chaque déchirure provoque une jouissance. De son bas-ventre coule du miel, un filet de cyprine inépuisable qui inonde le matelas. Le derrière zébré s'entrebâille en un appel discret.

Je m'en approche. D'un geste brusque, j'enfiche la poignée de ma badine dans la grotte sombre. Arc-boutée, ma maîtresse accompagne le balancement. Des humeurs cristallines enduisent le manche, le bâton du délice s'engouffre. Loin ; encore et encore. Semblable au serpent du péché, elle se déhanche et engloutit sa proie. Madame Cheveux-courts exulte et s'exalte : de petits cris en petits « oui ». Les langues de feu de l'enfer effleurent mon phallus. Au passage de ce brûlot, je m'enflamme aussitôt.

Je dégage la badine.

Pour l'enfourner dans son vagin de mélasse. Pendant qu'avec mon pieu sous blister, je la sodomise au point d'ébranler sa bouge à boucaniers. Branle-bas ! Je tape intense et viscéral en communiquant les vibrations à toutes ses parties.

Dans un ultime va-et-vient, ma sève se déverse en averses dans son triangle des Bermudes. Nous suons comme des forçats, une chiourme en galère. Un râle transpire en continu. Repus, nous jouissons de cette débauche.

Puis, ma conscience se débande.

Ma sensibilité s'embrume. Submergé par des vagues de bonheur, je m'abandonne au ressac et regarde ailleurs.

Une superbe rousse m'examine.

Je plante là Myriam qui « gode » monsieur L'homme-grillé, pendant qu'il polit la blonde en porte-jarretelles et caraco. Scotchée à eux, sa compagne se masturbe en les matant.

Je m'enfuis vers un autre repaire.

Sous le toit de celui-ci, de minuscules paillettes brillent au firmament. Je suis transporté dans un univers différent. Le heavy metal a cédé sa place à la Flûte enchantée. Ah, Mozart, le libertinage…

Des gens sont enchevêtrés. Ils portent des loups de carnaval, peut-être des people ? C'est dans cet entrelacs de corps qu'apparaît la femme rousse. La fixité de son regard, et l'agilité de sa langue qui se promène sur ses lèvres purpurines ravivent mes ardeurs. L'œil me sourit, du moins je l'espère. Sa couleur vibre au son de l'opéra. Soudain, l'émeraude s'irise d'un éclat particulier. Les cils charbonneux m'invitent.

Oh ! que cette diablesse m'excite ! Elle s'extrait de cette montagne humaine et s'agrippe à moi. Je suis sa nouvelle chose. Elle est ma nouvelle drogue.

Elle me suce délicatement.

Allegro moderato.

Me déguste le gland comme si elle se délectait d'une mignardise au chocolat : elle picore, titille, laisse fondre suavement. Quelle cantatrice délicieuse !

Allegro appassionato.

Subitement, le tempo se brusque. Il épouse le déchaînement lyrique.

Presto… presto… presto…

La diva pompe sauvagement ma flûte enchantée en l'aspirant.

Prestissimo… prestissimo…

Sa crinière soyeuse chatouille mes bourses, elle m'électrise. Je bande comme un âne.

Prestissimo… prestissimo… prestissimo…

Je vais braire d'une minute à l'autre !

Prestissimoooooo…

Peu à peu le vide m'attire. Les notes s'égarent. À côté de nous, je repère un tas de chair informe qui ballotte comme une gelée qu'on branle. Je pense à un énorme cupcake jelly fraise. Tout ça s'ébroue et frétille.

J'ai envie de vomir !

Puis d'un coup, les masques tombent. Merde ! Mon ex-femme ! Elle, si prude, si croyante, si pratiquante ; elle a troqué le goupillon d'eau bénite pour l'aspersoir à purée. Eh bien, l'heure de la retraite a sonné !

Mon drapeau en berne, je me sauve.

J'en ai marre à présent. Je trouve ma sex girl friend, après l'avoir recherchée pendant un quart d'heure dans ce dédale de vulves et de pénis. Je lui demande à partir. Elle me dit « oui » avec la bouche pleine ; or j'entends « non ». Plus aucun de ses orifices n'apparaît vacant. Doublement pénétrée, elle suçote un ancêtre qui prend du plaisir en éjaculant sur ses joues. Papa ! Mais qu'est-ce que tu fiches ici ? Il n'a pas le temps de me répondre que j'aperçois ma mère ! Elle couine d'aise sous la décharge d'un éphèbe glabre.

Ensuite, elle me sollicite en singeant une fellation !

C'en est trop ! Je gerbe de l'alcool, du fiel et des injures. Je me dégoûte. Et Myriam qui gît là ; transparente, vide, vide d'expression. Son reflet me terrifie. C'est ça l'Amour ?

 « Et la tendresse Bordel ! »

 

— STOOOP ! La séance est terminée, Monsieur d'Estienne. Veuillez ôter votre casque à réalité virtuelle. Rejoignez-moi en salle de consultation.

La voix est claire, l'ordre précis. Assommé par le film, je reviens péniblement à la surface. Après avoir bu un verre d'eau, je jette le peignoir couvert de vomissures et de sperme. Je me rhabille. Je quitte la pièce, non sans remarquer la douce fragrance diffusée par l'orgue à parfums.

 Sur le cadran de la machine est mentionné : Les senteurs de Sainte Luce, Martinique.

J'emprunte un couloir aux cloisons capitonnées nuances coquelicot. Je ne croise personne. Après trente secondes de marche, j'atteins une porte massive en chêne. J'avise une plaque dorée sur le chambranle gauche :

Clinique de la Défense – Service Désintoxication, bureau 69 – Docteur D. Tricard, spécialiste en addiction sexuelle.

Je viens pour la première fois. Avec une certaine appréhension, je dois l'avouer.

Je toque.

— Entrez !

J'entre.

Filtrés par des stores vénitiens, les rais de lumière d'un soleil printanier câlinent un mobilier de facture contemporaine. Une mini-chaîne trônant sur les rayons d'une bibliothèque diffuse une version remixée d'un tube centenaire. Les noces de Figaro, me semble-t-il.

Tout sourire, le médecin s'avance pour m'accueillir. Tailleur-jupe strict, gris anthracite. Escarpins classiques Louboutin noirs à semelle compensée rouge. Avec un talon d'au moins treize centimètres ! Lunettes en écaille foncée. Chignon banane acajou.

— Bonjour, Désirée Tricard, susurre-t-elle en me tendant la main.

Son port de tête royal et ses yeux vert-turquoise me troublent. Je suis infiniment bouleversé. Cette déesse me rappelle une séduisante rousse. J'ai le sentiment de l'avoir toujours connue. Nous formions deux brisures séparées se retrouvant enfin.

Je crois que je suis en train de tomber amoureux…

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