Dick 6

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-       Sandrine ! Sandriiine ! Je hurle en balançant des coups de pieds dans la porte de la salle de bain.

J'ai remonté mon caleçon et pendant ce temps-là, elle a verrouillé la porte, chose qu'elle ne faisait jamais. J'entends la douche ruisseler et je deviens fou. En d'autres circonstances j'imaginerais le parcours de chaque filet d'eau, mais pas maintenant. Je suis adossé à la porte, elle n'a pas dit un mot, j'ai le cœur qui part en arythmie. Je ne m'attendais pas à ça. Une immense angoisse m'a envahi et soudain, je comprends que plus jamais elle ne me quittera.

Je suis épuisé comme si la fatigue des derniers mois me fondait dessus. Comme si un salaud avait clampé ma perf d'amphètes et d'adré. Je me m'appuie sur le mur d'en face et je me laisse glisser jusqu'au sol. Les dalles du carrelage sont glacées sous mes fesses, en fait c'est tout mon corps qui a froid. Je n'ai plus qu'une trouille, c'est d'avoir les larmes aux yeux. Putain, mais qu'est-ce qui s'est passé ? Je laisse une nana amoureuse, chaude comme une braise, reconnaissante, marrante, avec une chevelure au milieu du dos qui bouge en grandes ondulations brillantes à chaque coup de rein et je retrouve une meuf glacée, perchée, qui me toise de son mètre quatre-vingt-cinq, coiffée comme un mec. La douche, on est deux à la prendre mais elle n'est pas torride, en tout cas pour moi.

Elle ne sort pas, ne parle pas. Je me relève, j'enfile mon futal et je vais me faire un café à la cuisine. En fait, j'ai besoin d'un scotch et je m'en sers un triple. A jeun comme je suis, depuis deux jours je n'avale rien tellement j'ai besoin de la revoir, tellement je suis chargé à bloc, il me fait un effet immédiat. Je me calme mais je ne suis pas loin de m'écrouler.

Je retourne dans le jardin, je m'allume une clope et je m'assieds sur le vieux banc en ciment.

Je ne pense à rien, j'ai des éblouissements, je ne veux pas commencer à gamberger, je suis stone. Point barre.

Une demi-heure plus tard, elle arrive, dans un peignoir d'éponge blanche que je ne connais pas non plus, ce qui reste de ses cheveux dans une serviette, blanche aussi, relevée en turban. Elle est belle, émouvante comme jamais, toutes les tops peuvent se rhabiller. Elle s'approche, elle sent le citron et le sucre. Je dois avoir l'air d'une tête de veau sur un étal de boucher, manque plus que la rose en plastique rouge. Elle approche, pose sa main sur mon épaule.

-       Ça va ? Ça n'a pas l'air. Faut prévenir, mon pauvre, j'ai pris des mesures, tu ne voulais pas que je reste toute seule ici, toute la journée à broder tes T-shirts ?

Je regarde devant. Elle se fout de moi en plus. Ma meuf se fout de ma gueule. J'ai fait trois mois pour la pourrir-gâter et elle se fout de moi.

-       T'étais où ? je demande à voix presque basse. Si j'arrête de me tenir je vais me mettre à hurler et je vais lui envoyer une tarte.

-       Ecoute, laisse ça, je mène ma petite vie. T'es rentré, t'es pas heureux ?

Je me lève comme un diable qui sort de ses gonds (ouais, je sais, c'est pas ça, mais c'est pas le moment de me faire chier avec les expressions exactes) je lui fais face, sans ses talons, j'ai encore la loi sur elle.

-       Je t'ai demandé où tu étais PUTAIN DE MERDE ! J'ai gueulé, poings serrés, ma bouchez au raz de son visage d'ange.

-       Oh ! Dis donc, c'est bon, en plus tu empestes l'alcool. J'étais chez François. Là.

Nous y voilà, j'ai pas plutôt un pied en cabane qu'elle retourne chez son connard de CRS de mes deux. C'est pas vrai. C'est pas vrai, mais qu'est-ce que j'ai fait au bon dieu.

-       Mais enfin Sandrine, mais qu'est-ce que tu me racontes, je croyais que tu t'ennuyais tellement avec lui ? Sandrine, regarde-moi, Sandrine mais pourquoi t'es pas venue me voir. Tu sais au parloir, les autres m'ont dit qu'ils ne jouent pas au carte avec leurs f..

-       Non, mais ça va pas non ! Ca va pas ! t'es dingue ! tu crois que je vais aller me faire tringler dans un parloir ! C'est tout ce que tu attends de moi ! déjà tes magouilles de petit malfrat je supportais à condition que ça ne me mette pas en danger. Mais en plus comme un crétin tu te fais arrêter et moi il faut que je reste à me morfondre dans ce pays de retraités. Non. François est gentil et il a un métier propre, lui.

-       Et il t'a reprise ce con ! Il a rien dit, il attendait le messie ce dépendeur d'andouille ?

-       Ah, ça suffit, critique pas François et ne dis pas un mot sur lui, sinon je m'en vais tout de suite.

Je sais qu'elle est capable de le faire. Qu'elle peut se barrer sans rien, qu'au fond elle n'a rien à faire des bijoux, des robes, de rien. Je sais qu'elle a peur à l'intérieur, peur de quoi, je ne sais pas, d'ailleurs je m'en fous, j'y peux rien. Ce qu'elle veut c'est la sécurité, les garde-fous, la stabilité, s'éclater au pieu d'accord, mais bourgeoisement. Elle a les pieds ancrés dans le sol, ma sauvageonne, tu parles, une Madame, c'est ça qu'elle voudrait être, une épouse avec un gentil flic fonctionnaire qui n'ira jamais au gniouf.

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