... Quand la nuit dégouline sur les étoiles...

blandyne

Dans le noir la musique peint les couleurs les plus folles. Les visages se fondent dans les vapeurs, les hanches sont des virgules dont l'encre coule des clés de sol. Les basses tapent les tympans, elles font trembler cœurs et pintes.

 

Loin, loin, on est loin.

Un camaïeu de voyages, c'est l'odyssée des esprits.

Les mains déchirent les airs, les cheveux se mêlent et s'emmêlent.

 

Elle crie toute sa rage dans un refrain qui l'élève aux nuages. Ce soir, elle se sent libre. Elle n'a rien qu'elle-même, un bout de corps perdu dans une marre de néant. Tous les autres sont des fantômes qui peuvent penser ce qu'ils veulent, cela n'aura aucune incidence sur sa propre perception. Et ce soir, ce soir… tout semble si irréel.

Des bottes de sept lieues font craquer le plancher en rythme, un gorille ébouriffé fait du tambour, les yeux sont des bougies. L'alcool la décolle du sol. Elle boit sa folie comme un fiel. Sa peur se perd dans les odeurs, son esprit est parti. Autour d'elle, un océan d'émotion. Une foule y nage, quelques uns s'y noient, peu importe.

 

Une ombre la frôle, une voix l'interpelle. Elle se retourne, « bon produit », estime-t-elle, « ne se refuse pas ».

Sa main l'accroche, leurs tailles s'approchent. Elle retient son souffle, ferme les yeux, attend. Une bouche la croque d'abord pour goûter, puis l'avale tout entière. Elle avait presque oublié la sensation d'une telle caresse. Saisie par l'intensité de l'instant, elle savoure de toute son âme ce baiser de miel, ces baisers dorés.

 

« Follow me, follow me ... »

 

La porte est laissée ouverte, elle s'élance à travers les frissons du vent. Ses jambes courent, s'enfuient, cherchent à être rejointes.

Elle s'arrête à la lueur d'un lampadaire, près d'un sapin bleu de froid. Ses mains parcourent le duvet épineux d'une branche, une note de nostalgie la pique gentiment. « A quoi ça sert ? »

 

Il arrive. Derrière.


Un souffle dans le cou… Elle rit, elle rit aux éclats, elle ne peut plus s'arrêter. Il s'y met aussi. Deux enfants hilares dans un fragment de temps. Elle se croirait dans une boule à neige, tant ils sont secoués.

 

Elle imagine des bulles toutes bariolées qui s'envolent, toujours plus haut, qui atteignent la lune ! Et qui, sans prévenir, éclatent. Leur dépouille n'est plus qu'une goutte d'eau, une larme qui tombe du ciel.

Il voit des palais, une avenue de mâchoires reluisantes. Les princes y mettent le pied, et les becs d'or se referment sur eux.

Ils se racontent n'importe quoi, n'importe comment, cela n'a pas d'importance. Au dessus de leurs têtes ils élèvent un manteau de soie, et ils tournoient au hasard de leurs pas. Ils montent des escaliers, grimpent un tapis, atterrissent sur un désert de plumes. Il tombe sur elle, elle rit encore.

 

Elle voit les éclairs battre des cils dans son regard. Sur sa joue il effleure une poussière. Elle se tait. Doucement, il vient mordre à nouveau le fruit défendu. Elle mêle ses lèvres aux siennes, touche aux saveurs de ses papilles. Leurs doigts sillonnent une peau qui se craque, qui se cabosse, qui fait des vagues. Elle est sur lui, change le rythme de leurs étreintes au gré des échos de musique. Elle saigne en silence, elle pense merci pour cette miette d'ardeur.

Elle a l'impression de jouer au papa et à la maman. Elle s'endort à moitié, mais ils continuent, ils aiment ce passe-temps. Elle relève la tête pour le voir étancher sa soif contre son sein immaculé, rond comme une colombe. Il en respire chaque plume. Elle est loin.

 

Elle a ouvert la cage, ce soir. Son esprit s'est envolé, il s'est échappé de son corps et la regarde faire avec indifférence. Il est haut dans le ciel, à surplomber des contrées imaginaires où les peupliers échevelés pleurent sur leurs ombres… une étoffe emportée au vent, des chameaux endoloris, un peu de terre, électricité statique, sec. Lui, aussi.

Il n'est qu'un bout de songe. Elle ne sent même plus le plaisir de sa main qui voyage sur son corps, jusqu'aux endroits les plus sombres… Tout ici est obscurité. Ils sont des personnages blancs sur un tableau blanc. Rien d'autre n'est palpable qu'une atmosphère de rêve, qu'un mélange confus de sensations qui s'évanouissent sur le fil décousu de ses pensées.

 

Les mots s'écrivent sur des feuilles qui ne tombent nulle part. Lui… une œuvre d'art… demain cet instant aura disparu… m'en souviendrais-je ?... Oui, sûrement… le regretterais-je ?... non… une belle connerie… que penserait -…. non, on s'en fiche… et si j'essayais d'en profiter ?... C'est ça, bouge… pourquoi j'ai un blocage comme ça ?... Soit c'est lui qui… soit c'est moi… l'univers est si grand ! C'est l'amour qui doit me manquer… mais je ne sais pas ce que c'est… ou je dois avoir un vrai problème… il doit penser que… nulle… et en plus j'avais pas prévu… sinon je… je sais même pas pourquoi je continue, pour lui sans doute… non, pour moi aussi… pour une goutte de chaleur humaine…

 

Leurs jambes se plient, tournent, s'enroulent. Elle se sent molle, passive comme les femmes qui s'abandonnent à de fraîches voluptés sur les tableaux de Fragonard. Elle a leurs joues roses, leur pose délaissée, leur chevelure défaite. Si elle y avait mis son cœur, elle aurait été un feu qui s'agite, un diamant qui danse, un ouragan dévorant.

 

Mais elle n'est que le jouet de son propre jeu.

 

Leurs yeux mi-clos s'étirent vers la lumière du jour qui naît à travers les rideaux. Ils relâchent leur étreinte, doucement, comme on pose un panier sur l'eau. Il regarde l'heure, lui dit trois mots, se relève. Il n'est plus là. Elle se rhabille. Elle le revoit, rit avec lui et lui parle comme à un ami. Et elle rentre chez elle. Sans réfléchir, ça ne sert à rien.

 

Dans le tram, elle laisse glisser son regard sur le paysage qui défile. Elle ne voit pas quelque chose de continu, mais des détails qui résonnent sur sa peau. Des vélos ont laissé des griffures dans la boue et sur son dos. La terre se craquelle et se frotte au goudron. Elle voudrait embrasser tous ces visages fuyants, elle n'a que le vent. Elle sent encore les baisers de cette nuit, comme si un être invisible lui en volait encore. Elle frémit.

 

Elle se demande quel choix elle a eu. Elle sait qu'elle désirait ces caresses, mais à quel point, et sous l'impulsion de quelle force ? Elle se sent balayée par un courant tellement plus grand qu'elle-même… Tout ce qu'elle peut décider, c'est de sourire. Et encore, elle n'est pas sûre que cet optimisme soit dû à une initiative personnelle. Elle se perd dans des divagations, des suppositions sur ce qui pourrait bien gouverner le monde… Elle n'en sait rien. Personne n'en sait rien. Et lui, qu'en pense-t-il ? Parfois elle aimerait tellement enfiler la peau des autres, juste une minute, pour voir tout différemment. Pour savoir quelle impression a fait sur lui cette fille attirante mais si pleine de défauts, si vide de mouvements. Serait-il d'accord pour tout refaire ? Peu importe. Elle préfère oublier ses questions. Ne pas y penser. Juste agir.


Pour transformer ses souvenirs, il faudra qu'elle en crée de nouveaux.

 

Oui, la prochaine fois, elle fera ça beaucoup mieux.

  • J'aime beaucoup le film de cette nuit ! Merci pour les images...

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Lapintigre4

    gini

    • Merci à toi pour le compliment ;)

      · Il y a plus de 8 ans ·
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      blandyne

  • C'est carrément beau et troublant !

    · Il y a presque 9 ans ·
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    silyamuniverse

    • merciii :p <3

      · Il y a plus de 8 ans ·
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      blandyne

  • on s'envole avec toi sur ton nuage doux amer blandyne...

    · Il y a presque 9 ans ·
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    Nicolas Granier

    • heureuse de pouvoir emmener d'autres esprits dans ce voyage..! C'est un nuage un peu amer c'est vrai, mais finalement assez livide, plus indifférent que triste, juste sans sens.

      · Il y a presque 9 ans ·
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      blandyne

  • Ton texte est magnifique, il m'a beaucoup touché, c'est écrit et décrit parfaitement pour que l'on -ou du moins je- puisse ressentir ce que cette femme ressent en ce court instant. C'est triste et beau à la fois, mélancolique, prenant.
    ps: cette phrase: "Elle saigne en silence"... m'a fait penser à la référence que tu as cité sur un de mes textes! ;)

    · Il y a presque 9 ans ·
    Texel

    Möly

    • Merci beaucoup !! Oui c'est voulu, cette phrase m'a consciemment inspirée (de même que l'expression "chaleur humaine", qui est le titre de la chanson). Au fond nos textes se rejoignent, du moins d'un certain point de vue !.. les illusions, les folies de la nuit.. ;)

      · Il y a presque 9 ans ·
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      blandyne

    • C'est vrai, je l'avoue, il y a des similitudes sur les sujets de nos textes. Et peut-être ce qui s'en dégage. Et du coup, je prends ça bien! ;)
      Je vais aller lire les textes de Christine and the Queens, je ne connais pas très bien. De mon côté, en ce moment, c'est le collectif Fauve qui m'inspire et me transporte; j'adore leur texte. Et c'est pareil, on aime le style ou aime pas mais ce sont pour moi des poètes des temps modernes!

      · Il y a presque 9 ans ·
      Texel

      Möly

    • Ohh je ne connais pas, faudra que j'aille voir aussi !! *___*

      · Il y a presque 9 ans ·
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      blandyne

    • Han! Il faut que tu écoutes "Nuits fauves", "Rub a dub" et "infirmière"...je les trouve juste magnifiques! Tu me diras ce que tu en penses.

      · Il y a presque 9 ans ·
      Texel

      Möly

    • Ça marche je ferai ça ce week-end ! ;)

      · Il y a presque 9 ans ·
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      blandyne

  • je découvre et j'aime !

    · Il y a presque 9 ans ·
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    Patrick Gonzalez

    • merci Patrick !! ;)

      · Il y a presque 9 ans ·
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      blandyne

  • Ton texte est magnifique ! ta poésie m'a emportée …merci pour ton talent...

    · Il y a presque 9 ans ·
    Chc2ah2z

    nombredor75

    • ohh mercii ça fait tellement plaisir d'avoir un tel commentaire !! *___*

      · Il y a presque 9 ans ·
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      blandyne

    • C'est si bien écrit !!!!!

      · Il y a presque 9 ans ·
      Chc2ah2z

      nombredor75

    • merciii !!! :')

      · Il y a presque 9 ans ·
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      blandyne

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