Drôle de zig, zague

Michel Chansiaux

Biographie

Mes premiers contacts avec l'écriture furent déjà dans des approches éclectiques et politiquement incorrectes. Un dimanche, j'entrepris de graver mon nom au burin et au marteau dans le banc de pierre devant la maison. Heureusement que mes parents qui faisaient la sieste en haut avaient terminé leurs petites affaires, ils me stoppèrent dans mon élan ravageur. Peu après avoir vu mon grand-père comment gommer le crayon de bois avec de la mie de pain, je décidai de rafraîchir sa formule en y joignant de la gouache vermillon et bleu pour fabriquer un « effaceur moderne » dont la bipolarité m'avait subjuguée lors d'une fine observation de la secrétaire de mairie. Je pris sur moi de coucher discrètement mon nom sur le papier peint jaune de la cuisine et de tester le bout rouge de mon prototype. Suite à une erreur du bureau d'études, il s'avéra que le carmin se transmettait au support dans des proportions fâcheuses ! Après ces tentatives préscolaires dans les formes solides du langage et de leur escamotage, je fis la découverte de la norme. D'une part, chez les religieuses qui m'interdirent mes représentations de la Vierge avec des souliers à talons, ce qui était pour moi le nec plus ultra d'une grande dame et d'autre part au catéchisme aussi on me rabroua car je n'arriverais pas à comprendre les paroles du chant de Noël « Entre le bœuf et la neugrie ». C'était bien sûr inné chez tous les autres d'avoir percuté « âne gris » avec deux pieds dans le bourricot : an + neueueueueu, sauf en fin de vers où il se prononce « Ann ». De là me vient mon aversion de la prosodie. J'appris aussi à mes dépens à l'école laïque que les limes servent aux prisonniers à se nettoyer les ongles et non pas à scier les barreaux, hormis aux zigs de mon acabit. Nantis de ces râteaux, j'optai donc pour un cursus d'ingénieur en horticulture, et je gardai dans mon jardin secret un certain nombre d'écrits, de poèmes, de relations de voyage dans des carnets barrés de larges mentions « confidentiel ». Cependant la plume me chatouillait la main en douce et je mis sur le compte du hasard ma rencontre avec journalisme agricole, puis le journalisme tout court. Mais c'est un métier terrible, où il faut faire croire que l'argent ne dicte pas les mots. J'expérimentai ensuite la communication, exercice beaucoup plus aisé où l'on se fait payer pour exprimer ce que le client veut entendre et enfin encore plus facile, la littérature où cette fois, il n’y a pas de fric et où tu peux écrire n'importe quoi.

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