Dunkerque
petisaintleu
On ne refera pas le monde. Il l'imagine, seule sur la longue plage avec en toile de fond les carcasses de complexes sidérurgiques à l'abandon. De temps à autre, un char à voile la frôle. Petite, elle en avait peur. Désormais elle s'en fout. C'est à peine si elle remarquera en rentrant chez elle les salissures projetées par leurs roues à leur passage sur son ciré jaune. Elle n'en est plus à ça près.
Nous sommes en novembre. C'est son mois préféré. Le ciel bas, les bourrasques qui viennent fouetter son visage et, encore mieux, qui chatouillent ses cuisses et qui titillent sa culotte en coton, elle adore ça. En cette période de l'année le littoral est déserté ou presque, à supposer que durant l'été les kilomètres des rivages les plus septentrionaux de la Côte d'Opale se soient transformés en Riviera. À peine le sont-ils pour les prolétaires démunis qui n'ont pas les moyens de faire le plein pour s'échapper vers le Sud et pour les quelques Anglais qui se sont dépaysés par le seul franchissement du Channel. Ils sont reconnaissables de loin à leur allure gauche. On dirait des manchots échappés de Nausicaa qui, à défaut d'une trop hasardeuse migration vers les terres antarctiques, ont opté pour la voie boréale.
Elle est seule ou c'est tout comme. Ses acolytes sont comme elle, des ombres qui n'existent pas puisque le soleil est trop étique pour qu'il puisse refléter leur corps sur le sable froid et humide. Chacun d'entre eux se recroqueville. Ce n'est pas le froid, pas sa sensation physique. Le froid, c'est dans la tête. Déboussolés par le manque de repères à l'horizon, ils titubent tels des bateaux ivres. Ils ne sont pourtant pas saouls. La Pelforth, ils la siroteront plus tard dans un des rares estaminets ouverts en bord de mer, opportuniste phare qui recueillera leur âme mazoutée.
Elle aimerait que s'instaure en elle un vide intersidéral. Mais il paraît que le silence rend fou. En septembre, elle a hésité à s'inscrire à un cours de relaxation mais elle a eu la flemme. Comme d'habitude elle s'est trouvé des alibis aussi solides que le béton des blockhaus qui jonchent, défigurés, la mer du Nord. L'année dernière, elle a juste fait un entre-deux. Elle n'a pas l'esprit du flibustier flamand pour aborder des vaisseaux inconnus. Elle s'est inscrite à un atelier d'écriture, un pont entre ses cours de français au collège Jean Bart et un semblant de vie sociale. Elle s'est prise de passion pour les haïkus. Ils sont désormais pour elle une voix raisonnable qui l'apaise. Ils l'ancrent dans le monde physique, les saisons, l'environnement et surtout dans son imaginaire Elle est particulièrement fière du « Une belle qui dormait / Un rêve à ses lèvres rouges / Murmures à l'amant ».
Ils se sont vus durant le week-end du 14 juillet. Il a pu prétexter une bringue chez un collègue. Elle a fait le sacrifice de reporter de quelques jours son escapade en Croatie, ses eaux limpides et ses ciels d'azur, une cathédrale inversée de son climat quotidien. Leur séparation aura été moins longue que pour madame Hanska. C'est au moins l'avantage de notre monde moderne que de compresser une attente qui devenait torture. Ils ont hésité, ils ont pris sur eux. Ils ne sont plus des lapins de cinq semaines. Ils savaient qu'au-delà du besoin physique le manque aurait vite fait de reprendre le dessus pour se transformer en un interminable purgatoire.
Doivent-ils le regretter ? Ce n'est en tous les cas pas la culpabilité qui les anime. Ils le savent. Ils devaient se rencontrer, les accointances étaient trop criardes pour ne pas croire au destin. Et quand il l'a pénétrée, c'était comme une évidence. Son sexe s'emboitait à la perfection en elle, tel un jeu de Lego, drôle de champ lexical.
Et au-delà des visages et de l'empreinte des corps, ils ont imprimé des mots. Leur passion épistolaire n'en est que plus intense. Ils sont désormais désincarnés. Entre Dunkerque et Paris, un fil invisible d'atomes lexicaux les relie à jamais.
Voilà une bien belle histoire très romantique! Je reviens de St-Georges de Didonne. Il faisait froid, pluvieux et venteux...kiss
· Il y a plus de 10 ans ·vividecateri
fantasme... réalité, il n'y a qu'un pas
· Il y a plus de 10 ans ·Valérie
Va savoir
· Il y a plus de 10 ans ·petisaintleu
Chronique tendre et bien écrite, quant à dire que tu es un coeur d'artichaut, je ne pense pas que ce soit le terme approprié, je ne juge pas du reste,
· Il y a plus de 10 ans ·marielesmots
et je n'ai pas non plus le cul en chou-fleur. Chriiiiiiiiiiiistophe, arrêêêêêêêêêêêê^te !!!!
· Il y a plus de 10 ans ·petisaintleu
L'haïku s'est pendu à mon cou. Le jeu de "lego" arrive à point. Le faire mourir dans ce cas de figure est comme une ... évidence. Ta... chronique...aurait pu se nommer ainsi...
· Il y a plus de 10 ans ·Apolline
Oui mais sortir du flou est plus à même de faire comprendre pourquoi j'écris.
· Il y a plus de 10 ans ·petisaintleu