écorché vif

flolacanau

Enfant, j'étais littéralement écorché vif.

il y a ceux qui attendent que les blessures se referment, qui résistent à la tentation de gratter. J'appartenais à l'autre catégorie, celle qui se fait saigner, lèche ses plaies, et arrache les croûtes dès leur apparition. Le micro séisme sur la peau et ses répliques masochistes.

Plus tard, j'appris à me faire beaucoup plus mal, me laissant envahir par le désir d'une fille, me droguant à son odeur, à ses sourires aux formes et aux mouvements de son corps. La danseuse qui me laissait de plomb, qui m'arrachait des mots et des phrases insensées puisque j'étais fou d'elle. Complètement shooté, sans autre avenir ni horizon que ses courbes et ses caprices. Et quand survenait la blessure, elle était abyssale démesurée, folle, elle aussi. Le bad trip absolu. Je restai écorché vif, sidéré, dévasté au milieu des ruines d'un séisme qui n'engloutissait que moi. Il n'y a guère que la souffrance pour apprendre qu'on est seul, et une fois qu'on l'expérimente, on sait au fond, que les répliques viendront.

Un peu plus tard encore, j'ai fait appel à d'autres pour m'écorcher, dans des lieux aseptisés, sous des lumières crues, au scalpel. Plus de croûtes, mais des agrafes. Le cancer pris à son propre jeu. D'écorché, je suis passé à infecté _ il fallait s'y attendre _ et de vif, à presque mort.

Depuis j'ai ressuscité en partie. Je n'en ai pas fait toute une religion. J'ai plus survécu et écrit que je n'ai vécu. Je continue de gratter mes plaies, on ne change jamais vraiment, d'éprouver le soulagement à céder à la démangeaison puis à l'aiguillon de la douleur. Je suis moins vif, cependant : je mesure mes ascensions en anticipant les chutes. Je calcule au mieux, peut-être au pire, je l'ignore. J'ai désappris à peu près tout ce que je pensais savoir, me suis séparé de tout ce qui semblait indispensable. Isolé et dénudé, je brave les lois de l'électricité, c'est mon fil conducteur. Et surtout, je continue de rire, de moi, des autres.

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