Effluves

momo84

Texte écrit à 4 mains, avec J.Nic , sur le thème du parfum...


Je ne savais pas!

Je ne savais pas ce qu'il se passait. J'étais là, dans ce champ de fleurs sur les hauteurs de Grasse, un des endroits que je préférai au monde, mais je ne savais pas ce qu'il se passait...

Je me souvenais très bien de ce moment, il y a une vingtaine d'année. J'avais 12 ans, l'âge où l'on veut être pompier ou militaire. Je regardais la télé avec mes parents, très libéraux : ils regrettaient de ne pas avoir fait 68 mais ils élevaient leurs enfants dans la plus grande liberté. Nous regardions tous un film ancien, un film avec Yves Montant et Catherine Deneuve qui se passait sur une île  et Yves Montant remuait des morceaux de papier et les sentait. C'était un nez!

Ma mère m'avait expliqué. Un "nez", c'est quelqu'un qui fabrique des parfums. Il travaille des senteurs, des extraits de plantes et il "construit" un parfum.

 Je ne sais toujours pas pourquoi je lui ai répondu :

"C'est ça que je veux faire comme métier!"

 Aujourd'hui, je suis le "nez" d'un grand groupe de cosmétique. J'ai signé il y a cinq ans un parfum qui a très bien marché et j'espère le refaire bientôt!

Je suis un grand "nez", c'est drôle de le dire comme ça puisque mon appendice est de taille normale...

Mais pour y arriver, il a fallu que je travaille énormément.

J'ai vite compris que je n'avais pas d'aptitude particulière. J'avais un odorat normal et il a fallu que je le travaille beaucoup.

J'ai renoncé à mes copains qui fumaient. Ils ne comprenaient pas d'ailleurs...

J'ai renoncé à la promiscuité, aux transports en commun et je me suis intéressé aux belles choses, celles qui sentaient bon! J'aime le bon vin. Je suis un œnologue correct. J'aime le bon champagne. Je bois de la Veuve Clicquot régulièrement pour la couleur de l'étiquette, le plus bel orange que je connaisse. Pour les grandes occasions, un Dom Perignon, un Christal de Roderer ou un Ruinard millésimé.

Je ne me suis pas non plus marié. Je veux rester libre des odeurs et des senteurs et j'aime tant les senteurs des femmes!

J'aime le mélange de leur peau et du parfum, même s'il est ordinaire, que je sens derrière leurs oreilles. J'aime le goût du poivre que je devine entre leurs seins. J'aime laisser mon nez entre leurs jambes, sentir leurs humeurs, j'aime les goûter et jusqu'à ce jour, j'ai toujours compris ce qu'elles étaient …en les sentant!

Jusqu'à aujourd'hui, jusqu'à elle.

Elle est là au milieu du champ, elle est belle, elle pétille, sa poitrine légère pointe sous son chemisier. Je crois qu'elle ne porte pas de soutien- gorge... Elle est là mais je ne comprends pas. Je ne sais pas. Je ne reconnais rien de son parfum, je n'ai jamais senti ailleurs ces effluves, mélanges d'un parfum artisanal et de son odeur corporelle. 

Elle se promène dans ce champ de fleurs. Elle représente son propriétaire et je sais que nous allons devoir nous attabler dans la remise et négocier les quelques millilitres de concentré que ces 2 hectares vont produire.

Il faut vite que je me reprenne sinon je risque de rater cette négociation...

Mais je ne sais pas…

Je suis troublé par cette femme. Elle ne ressemble pas à ces managers d'entreprise avec qui j'ai l'habitude de négocier. Distantes, un peu froides. Elle n'a pas  non plus la silhouette des agricultrices du secteur floral.

Elle est aérienne, et plus je me rapproche d'elle, plus son parfum m'intrigue. Il change à chaque instant.

Tandis qu'elle avance vers moi, m'arrivent des effluves différents à chaque pas.

Fini le parfum artisanal mêlé d'odeur corporelle, mais un bouquet d'arômes qui se succèdent sans se mélanger. 

Je suis un peu étourdi et mon nez sensible a du mal à s'adapter à cette palette. A peine découvre-t il une odeur familière que déjà, elle a laissé la place à une autre.

Comme si je goûtais très vite des vins de crus différents, sans avoir le temps de les identifier.

Elle approche encore. Je distingue maintenant sous son corsage transparent ses petits seins tout ronds qui se balancent en cadence. Ses hanches chaloupent et sa jupe ample enfle comme une voile, laissant deviner des jambes fines.

Avant de me tendre la main, elle retire ses lunettes de soleil et je prends en pleine face deux yeux émeraude. Je sens que je sursaute et j'en suis un peu gêné.

Je saisis sa main et frissonne, sous le choc d'une bouffée d'ambre qui parcourt mon nez et glisse le long de ma poitrine jusqu'à mon sexe. L'érection me surprend. Je prends une grande bouffée d'air et cherche à retrouver mes esprits. Mon trouble la fait sourire.

« Bonjour ! Ambre Profumo, assistante vente chez Fragonard »

Je bafouille mon nom et d'un geste l'invite à s'installer dans l'abri de bois joliment aménagé en bureau. Je remarque que son parfum a encore changé.

Elle me présente les fleurs, le champ, la technique de l'agriculteur ... je n'entends qu'un mot sur deux. Je suis en apnée et je sens que cette négociation m'échappe… C'est la première fois, il faut que j'écourte notre discussion. Il faut passer à autre chose, vite, que je puisse me reprendre et de nouveau maîtriser mes sens, surtout le sens qui fait mon métier et ma vie !

Je saisis sa main qu'elle a posée sur la table, je la fixe des yeux et je lis de la satisfaction.

Elle me fascine et elle le sait… Peu importe, il faut que je la connaisse, il faut que je sache. Elle retire discrètement sa main de la mienne. « Nous sommes là pour une affaire… » et elle reprend sa présentation. Je suis gêné maintenant, je ne suis pas habitué à ce genre de résistance et je m'entends dire:

« Oui…bien sûr».

Je viens de conclure une vente sans savoir les conditions de l'accord. J'ai accepté « le deal » sans le discuter, sans même savoir à quoi je m'engageais.

Elle complète maintenant à la main les blancs laissés sur les exemplaires du contrat.

J'essaye de voir le chiffre qu'elle écrit, que je sache au moins le prix qu'elle a obtenu !

Elle est calme, la tension redescend et je suis fixé sur sa poitrine, je devine le sillon de ses seins et le mouvement de sa main qui écrit  provoque un joli balancement.

Mon érection est maintenant presque douloureuse…

Elle se lève et vient vers moi, je me lève à mon tour un peu brusquement, maladroitement et elle contourne la table pour me remettre mon exemplaire du contrat, je le glisse dans mon sac, je relève la tête et je l'entends me dire « notre affaire est maintenant presque conclue… »  et sans que je puisse bouger, elle dégrafe mon pantalon, libère mon sexe qui se dresse, raide, perlé d'une petite goutte …

 Mettant un genou à terre, elle l'avale, le lèche, aspire en faisant des va et vient. Son parfum maintenant m'envahit : une odeur de cyprine ! 

 Je rejette ma tête en arrière : quelle sensation extraordinaire ! Ma main se pose sur ses cheveux, mes ongles accrochent son cuir, je ne peux plus me retenir, je me relâche en poussant un cri. Elle ne bouge pas et maintient mon sexe dans sa bouche avec sa main, je la vois remonter pour finir par s'arrêter sur le gland, comme un baiser… Mon sexe convulse encore un peu, je la sens contre moi, je me sens en elle, je retombe brusquement sur ma chaise, ma tête en arrière, les yeux fermés.


Quelle journée ! J'ai été déstabilisé par un parfum incroyable, déstabilisé dans une négociation et maintenant, surpris par le sentiment d'un des meilleurs moments de plénitude de ma vie.

J'ouvre les yeux, elle n'est plus là, elle a disparu ! Je cours en me rhabillant pour voir sa voiture quitter le parking. Les feux arrière disparaissent sur la route de la côte.

Nous devrions nous revoir demain pour finaliser notre accord…

 Ma nuit fut très agitée. J'étais décidément déstabilisé par cette rencontre.

 Je ne cessais d'y songer, partagé entre le désir et une sorte de crainte. Cette femme me subjuguait, je me sentais à sa merci et je n'aime pas cette impression de ne plus rien maîtriser.

J'étais  en avance et fébrile le lendemain quand elle arriva pile à l'heure au rendez-vous.

Une jupe plutôt sage, un chemisier lavande très échancré, lunettes noires et chapeau de paille.

Aussitôt mon corps se remit en ébullition, alors que je me m'étais préparé à une certaine "zen attitude".

Incontrôlable. Je m'en voulais de perdre mon sang froid.

Je tentais d'abord une poignée de main énergique, puis d'éviter son regard au moment où les lunettes se posèrent sur la table, de rester digne et droit dans mon froc face à son nouveau parfum presque insupportable.

Nous finalisons le contrat, le pire que je n'ai jamais signé.

Elle faisait durer la discussion, revenant sur des détails. Comme la veille, je n'entendais rien et disait oui à tout.

Je n'avais qu'une envie, c'était la prendre dans mes bras.

Enfin terminé !!

Elle se leva, rangea soigneusement son contrat dans sa serviette et  tandis que j'enfournais le mien précipitamment dans la mienne, elle me tendit la main pour me saluer.

Je pris sa main, je la serrai dans la mienne, et je l'attirai vers moi  pour l'embrasser.

Elle eût un mouvement de recul. Je ne lâchai pas prise et la plaquai contre moi.

 Mes lèvres engloutissent maintenant sa bouche, je cherche sa langue, la trouve et l'enlace dans la mienne.

Sa main quitte la mienne et  glisse sur mes fesses. Collé à elle,  je sens chaque once de son corps palpiter. J'ai le temps de penser que ma braguette va exploser, et je la déboutonne prestement. Je ne sais plus que faire de mes mains. J'en glisse une sous son chemisier et atteins ses petits seins ronds et nus sous le tissu. Je les capture, les caresse,  les cajole, les pétrit. Monte à mes narines une odeur de brioche.

 Je réalise alors que ses parfums changeants ne sont que la projection de mes désirs.  Elle sent ce à quoi, moi,  je l'associe.

Ce bouquet capiteux, lorsqu'elle est entrée, c'était le parfum de son corsage bleu lavande.

Le parfum enivrant des champs de lavande !

Mon pantalon a glissé le long de mes cuisses … peut-être l'a-telle un peu aidé… ? Elle me pousse maintenant contre le mur de bois, me colle contre la paroi. Elle a pris les choses en main, si j'ose dire, et je vois voler mon pantalon, mon slip, mes sandales et ma chemise.

Nos lèvres sont toujours soudées pourtant. Je ne comprends rien à ce qui se passe.

Sa jupe et sa culotte sont déjà à terre…seul reste le petit chemisier lavande et ce parfum de brioche qui persiste. Nos sexes l'un contre l'autre s'agitent au rythme de nos lèvres.

Ma main se faufile entre les deux. Mon doigt doucement explore sa fente humide. Je le laisse m'apporter un doux fumet de coquillage. Elle a pris mon vît  entre ses doigts et pianote sur ma chair le tempo de notre danse. Sa jambe a grimpé sur le mur, elle s'ouvre, elle s'offre.

 Nous avons passé la journée du lendemain ensemble. Tous les deux dans mon Land Rover Discovery vert anglais à travers l'arrière-pays. Nous avons bien profité des petits chemins et j'ai un bon souvenir du Land au milieu des champs et du beau paysage sur le soleil couchant, mes mains sur ses hanches, sa nuque baissée et notre mouvement synchrone rythmé par des soupirs et des miaulements jusqu'à ce que je m'abandonne en elle dans un cri de soulagement, mêlé à son feulement de plaisir.

C'était la huitième pause de la journée, nous avions expérimenté toutes les pratiques et tous les jeux que je connaissais, surpris aussi par son savoir-faire... j'étais dépassé !

Nous étions bien mais quelque chose m'échappait. Elle s'était laissé faire quand « des trois orifices que les dieux lui ont donné, j'ai choisi, dans le moins lisse, d'achever de m'abandonner… ». Je n'ai rien dit quand, au moment où j'allais jouir, elle m'a aussi pénétré de son index et que ma libération s'est accompagnée d'un cri de plaisir et de soumission…

Mais je ne sais pas pourquoi je sentais que nous ne vieillirions pas ensemble !

 

Je me souviens de tout. Les souvenirs aujourd'hui émergent à chaque parfum que mon nez rencontre.

Je suis seul, j'erre dans les rues de Barcelone qui ne me fait plus aucun effet, moi qui ai tant aimé cette ville. Je l'ai cherchée pendant des semaines. Son employeur m'a dit qu'elle était en contrat uniquement pour cette négociation et le manager qui l'avait envoyée ne pouvait me dire qui elle était. Il trouve des intermédiaires spécialisés dans les négociations difficiles, mais n'en conserve aucune trace.

 Mon employeur n'a pas aimé ma barbe de 3 jours, mon haleine de Talisker et mes retards. Il n'a surtout pas aimé le contrat presque abusif que je lui avais ramené…

Encore quelques semaines et mes indemnités de licenciement auront disparu.

 Je vis dans mon bateau, je vais repartir…


Elle est là, dans son bureau. Lui travaille la tête baissée sur un dossier léger. Elle aime le voir dans son fauteuil Eames, si confortable. Elle est là,  à genoux, entièrement nue, un joli collier de cuir et de brillants autour du cou. Elle attend qu'il lui parle, qu'il l'envoie en mission. Derrière lui s'étale la calme et discrète ville de Zurich. La capitale du monde, perdue dans un monde germanophone, discret et dominateur de la vieille Europe. Une ville où tous se retrouvent et parlent l'anglais, une ville où tout se décide sans faire de bruit, où les excès sont aussi fous que les zurichois sont sages !

« Tu vas partir à Odaiba, il faut que Toyota signe ce contrat. ».  Il montre le dossier sur son bureau. Tu vas rencontrer Gifu Hitachinaka… 

Il se dirige vers le coffre, elle attend qu'il l'ouvre et qu'il lui donne ce flacon du précieux parfum, celui qui lui a permis jusqu'à ce jour de réussir toutes ses missions. Pas un homme n'y a résisté, pas une femme non plus…

Elle ne sait pas si c'est le fruit d'un laboratoire ou un parfum trouvé par des archéologues en Egypte. Elle aime bien l'idée du parfum de Cléopâtre, la Reine qui avait séduit les deux hommes les plus puissant du moment, César et Marc-Aurèle, deux amis qui s'étaient fait la guerre pour elle !

Oui, c'était surement le parfum de Cléopâtre… Ou de la reine de Saba… Peut-être celui de Gabrièle d'Estrée, qui  séduisit le roi de France, son cadet de 20 ans ! Elles sont nombreuses, ces femmes qui lui servent de modèles !

 Il avait certainement retrouvé la formule lors d'un voyage en Egypte. Elle savait qu'il avait beaucoup voyagé, qu'il avait vécu de nombreuses années en Inde. Elle savait aussi qu'il allait souvent dans ce petit village des Alpes et qu'il travaillait dans son laboratoire…

Il connaissait les fleurs, les femmes, les hommes.

Il était le seul à détenir le pouvoir absolu du Parfum. 

La serviette de cuir est prête, un dossier léger, un flacon précieux, elle  est  heureuse…

Elle le regarde venir vers elle : il est fier de son travail, elle obéira, il va aimer !

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