Elle a dit...
Chloé. S
Elle a dit…
Elle a dit : « Viens, je t’attends, j’ai envie d’être dans tes bras. » Elle a écrit ces mots ou quelque chose qui s’en rapproche au dos d’un vieux papier qui traînait sur la table. Elle l’a confié au petit muet qui l’a regardée avec ses grands yeux bleus, toujours étincelants quand il faut faire quelque chose pour elle. Elle s’est plantée bien en face de l’enfant, huit ans à peine, elle a dit : « Fais comme d’habitude, cache-le bien et fais l’idiot sur ton vélo. » Il a fait oui avec la tête. Mais elle a ajouté : « Attends, j’oublie la bague, tiens. » Elle la lui tend. « Ne reviens pas, ne reviens jamais. Tu iras chez Dan. Il s’occupera de toi. » L’enfant a eu l’air étonné. Elle a insisté avec son regard. Il a compris. Elle l’a embrassé sur le front comme d’habitude.
Elle s’est détournée. En s’approchant de la fenêtre, elle a entendu la porte qui claquait, le gosse qui courait dans les escaliers. « Il a toujours peur de l’ascenseur. » C’est ce qu’elle a pensé en écartant légèrement le pan du rideau avant de plonger ses yeux verts dans le grand vide. Elle vit au trente-deuxième étage. Elle regarde en bas. D’en haut, la procession très lente des chars militaires c’est un peu irréel, c’est un peu de gros insectes froids et lourds qui rampent dans la merde. Elle reconnaît l’enfant qui chahute sur son vélo. Les militaires sont habitués à lui. Fait partie du décor. Ils se sont plus jamais méfiés à cause du jour où le général lui a foutu le canon de son arme sur la tempe et que le gosse a éclaté de rire. En silence. Mais éclaté quand même. Et le rire ça désarme parfois, surtout si ça surprend au bon moment. Il a pas pu le tuer. Z’ont dit : « Un gosse débile. Un pauvre taré. Muet de surcroît. Pas besoin de s’affoler. » Depuis, le gosse circule en paix. Pratique, c’est pas dangereux de l’envoyer lui.
La bague… un simple anneau d’argent. C’est elle. C’est elle et elle dit : « Viens, je t’attends, j’ai envie d’être dans tes bras. » Il ne devrait pas. Mais il s’en fout. Il regarde le môme qui le regarde avec une drôle de tête, comme s’il avait presque des larmes dans les yeux à la place des étincelles. Mais il peut pas se rendre compte, le papier dans sa main c’est déjà toutes ses tripes qui sont en train de se retourner. Il renvoie le gosse. Il sait pas que c’est la dernière fois. Le gamin, il sait mais il peut pas le dire. Alors il s’en va. Tout va pour le mieux, on évite les adieux.
Il ira. Wanted. Tout le monde le cherche. Révolutionnaire. Ce serait mieux de rester planqué. Il ira. Ses désirs à elle c’est comme des attaques imparables, des causes qu’il faut défendre, des ordres qui viennent de Dieu. Elle est belle. Elle l’embrassera. Ça pourra durer des heures. Il pourra rien lui promettre. Wanted. Obligé de se planquer. Fuir ? Jamais. Attendre que ça se tasse. Attendre la victoire. Attendre… Elle l’attendra. Elle pourrait pas s’en aller comme ça. Il en est sûr.
Elle a dit : « Viens, je t’attends, trop besoin de te sentir. » ou ça voulait dire ça. Elle reconnaît son bruit contre la porte : tac, tac, silence, tac. Il vient de frapper. Elle sent son cœur qui bondit dans sa poitrine, elle a comme la nausée. Trop tard il faut ouvrir. Un peu plus de lumière pénètre dans l’appartement. Il rentre sans précipitation, comme s’il n’avait même pas eu peur de venir jusqu’à elle. Elle se force à être encore plus belle. Quelques rayons de soleil reflètent sa chevelure rouge contre les murs blancs. Elle l’embrasse, elle l’entraîne sur le lit en fer forgé, elle fait pas tout comme d’habitude, il se sent bien, elle est brûlante, transpire déjà.
Elle a dit : « Attends, bouge pas, j’arrive. » Elle a quitté la pièce. Il a pas vu ses paupières qui se sont baissées pour que son regard à elle s’enfuie loin de lui. Il a pas eu le temps. Elle est allée à côté. Elle a juste fait un appel manqué. Dans le couloir un téléphone a vibré. Lui, il a rien entendu. La porte a sauté. Il les a vus, il a pas eu le temps de bouger, ils étaient déjà tous sur lui. Elle est restée planquée à côté, elle voulait pas qu’il voie qu’elle pouvait même plus le regarder. Trop tard, c’était déjà fait. Y avait rien à ajouter. Ils l’ont traîné. En se tordant dans tous les sens, il a pu l’apercevoir : juste un mouvement, le mouvement de la tête, les beaux cheveux rouges, les longs bras blancs, tandis qu’elle rajustait sa robe froissée.
Elle a attendu. Un peu. Le temps que les cris ne soient plus qu’un cauchemar qui s’efface. Elle est repassée au salon. Y avait plus de porte, y avait plus de lui, y avait plus le môme. En bas, elle sentait qu’y avait toujours la guerre. Sur la table y avait une grosse enveloppe cachetée. Dedans y avait du fric, beaucoup de fric, son passeport, son billet, le vieil anneau d’argent qu’il lui avait donné pour qu’il puisse être toujours sûr que c’était elle quand elle disait : « Viens, je t’attends, j’ai envie d’être dans tes bras. »
Dur ! J'en ai des frissons. Quel beau retour, Chloé !
· Il y a plus de 11 ans ·meo
Coup de cœur pour moi aussi; j'aime beaucoup le style de l'écriture !
· Il y a plus de 11 ans ·monster-inside
Hé hé, moi j'ai découvert le premier texte de ce matin. Joli hasard aussi !
· Il y a plus de 11 ans ·Mathieu Jaegert
Wow... Un coup au coeur et un immense coup de coeur. Une jolie découverte, par hasard, comme quoi le hasard fait (très) bien les choses !
· Il y a plus de 11 ans ·Alice Neixen