Et demain, une ville ...

blonde-thinking-on-sundays

Le stylo d’Iséhar venait de se briser au sol. Elle était figée sur place, au milieu de son appartement, au 18ème étage de la tour « Monstera deliciosa ». Celle-ci venait de s’adapter. Les murs végétaux de l’immeuble avaient sensiblement bougé, rétrécissant le deux pièces d’un bon mètre carré. Sous l’effet de ce mouvement, le stylo avait roulé sur le bureau avant de tomber. Encore de nouveaux arrivants.  Comment avait-elle pu oublier ? Elle avait bien reçu l’alerte hier sur son IStrap Touch mais elle n’avait pas pensé à anticiper l’adaptation. D’habitude lorsque un emménagement était annoncé dans l’immeuble, elle rangeait ce qui traînait, calait les objets fragiles, tirait les meubles vers le centre des pièces et tout se passait bien. Mais là…. Elle hésitait entre hurler de rage ou pleurer toutes les larmes de son corps. Un « Montblanc ». Cassé. Un des derniers « Montblanc » de ce monde, hérité de son arrière-grand-père. Inutilisable. Elle tenait à ce stylo plus que tout au monde. Il avait fait sa renommée puisqu’elle était aujourd’hui la seule écrivaine française capable de rédiger ses livres de manière manuscrite, et avec précisément ce stylo. Bien sûr ses ouvrages finissaient numérisés comme les autres, mais Iséhar savait que cette particularité éveillait la curiosité de ses lecteurs et faisait vendre. Son dernier roman avait d’ailleurs été déjà téléchargé 100 000 fois en quelques jours et était à présent lisible sur tous les écrans de tous les transports en commun. Les véhicules privatifs ayant été éradiqué des centres urbains, autant dire que la ville entière pouvait potentiellement la lire.

Il lui fallait un nouveau stylo. Elle fit glisser son index gauche sur l’écran de l’IStrap attaché jour et nuit à son poignet droit. Elle se surprit à sourire en songeant que pour les générations précédentes, l’index n’était pas le doigt le plus long de la main. En multipliant l’utilisation des appareils tactiles dans son quotidien, l’homme avait produit une mutation de ses propres gênes. Mais dorénavant, seul l’IStrap était utilisé, et sa dernière version permettait dorénavant de tout faire…

Elle quitta ses réflexions pour se concentrer sur un manuel d’objets en ligne. Elle repéra le modèle type de son stylo cassé, téléchargea la formule d’impression et en fit une sauvegarde sur l’IStrap. Cet achat fut aussitôt débité de son compte en banque, l’IStrap au contact de la peau d’Iséhar, autorisant toute transaction financière grâce à la reconnaissance ADN.

Les volets de fibres végétales se mirent à descendre le long des fenêtres de l’appartement. Elle jeta un coup d’œil dehors, le jour déclinait. Elle posa la paume de sa main sur le mur tiède. L’immeuble commençait à réguler sa température pour la nuit. Elle saisit sa veste, sortit de l’appartement, emprunta le « tube » accessible depuis le palier de l’étage et se retrouva propulsée au pied de la tour en 15 secondes. L’air était frais et vivifiant. Artificiellement reconstitué et insufflé dans les coupoles qui protégeaient dorénavant les zones urbaines habitées. L’oxygène naturel n’existait plus sur terre. Iséhar préféra marcher, plutôt que d’emprunter l’ « Hyperloop Elon B ». Elle longea son bloc, l’ « Araceae », un des derniers quartiers résidentiels construit dans le Néo-Paris, constitué de 13 tours nanotechnobiologiques. Elle croisa bon nombre d’IRobot-livreurs et dépassa le centre commercial IStrap, dont les vitrines numériques clignotaient à plein régime, vantant les derniers modèles disponibles de ce bracelet incontournable. Elle tourna après le cinéma immersif qui déversait sur le trottoir son flot habituel de spectateurs ébahis, puis arriva au « Tibbits Shop ». Elle passa le sas d’entrée et se retrouva devant la rangée des 20 comptoirs de commande assaillis de clients. Elle trépigna. Elle détestait attendre. Au bout de 20 minutes, l’homme devant elle dans la file du comptoir 14 scanna son IStrap sur la borne et la structure d’un fauteuil-club s’afficha sur l’écran tactile. Il sélectionna les coloris et les matières puis valida la commande de deux exemplaires avant de se retirer. Iséhar à son tour chargea sa formule. Elle hésita longuement avant d’enregistrer la commande. Imprimante 3D ou 4D ? Elle opta pour la 3D bien que beaucoup jugeaient cette technique dorénavant obsolète. Elle haussa les épaules. Après tout, elle n’avait guère besoin d’un objet capable de s’adapter à son environnement. Elle quitta la borne et suivit un couloir aux murs transparents. Là, à travers le plexiglas, son regard se posa sur les centaines d’imprimantes affairées à la confection d’objets en tout genre. Elle resta un moment saisie par ce spectacle, ébahie d’assister à la genèse d’une cuvette de toilette, d’une raquette de badminton, d’un lit pour enfant ou encore d’une prothèse dentaire. Chaque fois qu’elle faisait ses courses ici, elle se sentait émerveillée comme l’enfant qu’elle fût et qui assista à l’impression de son premier jouet. Elle poursuivit son chemin jusqu’à une salle d’attente où très vite on lui remit le précieux stylo. Il ressemblait à un vrai « Montblanc ». Elle sourit, quitta le « Tibbits Shop » et huma la nuit comme pour la première fois de sa vie…

  • Inquiétant ces imprimantes ...brrr...J'aime beaucoup l'idée d'un édifice qui s'adapte à ses occupants

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Businessman

    ricardo

  • Ces imprimantes, ça marche aussi pour la mousse au chocolat ou le pain grillé avec orange marmelade? Non, sérieux, l'Apprenti Sorcier, nous y voilà... Ma copine Fée Solveig, (vous la connaissez!) que j'ai créée pour pouvoir commenter à deux voix: masculine et féminine; est toute ébouriffée de cette imprimante qui la concurrence grave? Du coup elle est de mauvais poil, et une Fée de mauvais poil...

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Oiseau... 300

    astrov

    • Ah zut alors ! Loin de moi l'idée de vouloir la vexer, mais malheureusement, cette histoire d'imprimante, je crois que ça arrivera...après on sera surement plus là...mais Solveig ??? (merci pour la note ;))

      · Il y a plus de 10 ans ·
      1

      blonde-thinking-on-sundays

  • qu'est-ce que je suis content d'être né en 1961...

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Pend%c3%a9

    Marc Menu

  • 4807... le Mont-Blanc...enfin maintenant je crois qu'il est même à 4812.

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Philippe effect betty

    effect

  • Un texte à plus de 4807 mètres ! Joli coup.

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Philippe effect betty

    effect

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