Et la Belle s'éveilla ...

eymeric

J'ai longtemps cherché la métaphore parfaite, l'accroche du siècle pour débuter ce texte. Mais, ça n'allait pas, à chaque tentative, il manquait ce petit quelque chose. Jusqu'à ce que, finalement, je me rende compte qu'au fond ma ville était en elle-même la plus belle des accroches, la plus belle des métaphores. Je vous parle ici de la ville qui m'a vu naître, celle qui m'a vu marcher, courir, vomir, rire, pleurer, lutter, dépenser, gagner, évoluer...Et qui, je l'espère, me verra mourir. Je vous parle ici de Bordeaux, le plus grand cru de France. Oubliez les vulgaires descriptifs touristiques que vous avez pu lire par le passé - qui lorsqu'ils dépeignent la ville, négligent trop souvent son âme - et laissez-moi vous parler de Bordeaux comme moi je la vis, laissez-moi vous parler de MON Bordeaux à travers ces quelques lignes...

Tout commence à Gambetta, j'arrive toujours à Gambetta, je passe toujours par Gambetta et je repars toujours de Gambetta. Gambetta est bien plus qu'une simple place entourée d'arbres et de cafés, de bancs et d'abris bus hébergeant quelques sans abris. Si Bordeaux était une maison, Gambetta en serait la porte d'entrée. Une porte, qui à peine entre-ouverte, laisse déjà se répandre, les odeurs épicées de la cuisine libanaise et du kebab auxquels tu ne saurais succomber qu'une fois minuit passé. Gambetta, c'est aussi la place de l'ancien Virgin. Quel Bordelais digne de ce nom ne se souvient pas de cette boutique ? 3 étages, une grande enseigne rouge, mais surtout, un point de rendez-vous pour des milliers d'amis, de couples, de futurs couples ... "On se rejoint devant le Virgin " cette phrase a marquée mon enfance. Comme la rue qui surplombait ce Virgin.

Quittons Gambetta et entamons cette rue, rue Porte Dauphine pour les plus aguerris, rue porte Dijaux pour la plupart des Bordelais. Le résultat est le même. La rue porte Dijaux qui abritait en son sein, celle qui m'a tant réconforté après de longues journées harassantes : La Mie Câline et son savoureux goûter au prix imbattable de deux euros. Je la connais bien cette fameuse rue, car, tandis que certains empruntaient le cours de l'Intendance, elle a souvent été ma voie de prédilection pour me rendre vers ma destination finale, mon "but". Ce cours de l'intendance c'est celui qui me fait la cour depuis tant d'années. Le cours des magasins où il faut avoir le porte-monnaie aussi lourd que les étés Bordelais afin d'y faire ses emplettes. Toutefois, laissez-moi me contredire et m'excuser en vous disant que si je vous ai parlé de "but", je vous ai trompé. Contrairement à beaucoup de Bordelais, je ne considère pas la rue Sainte Catherine comme le point final de ma balade. Quel piège serait-ce que toi et moi nous nous arrêtions là. Rappelle-toi bien que je te parle ici, non pas de Bordeaux, mais de mon Bordeaux.

La rue sainte Catherine, à l'image d'un long couloir renferme plusieurs rues adjacentes, dans lesquelles les plus curieux et aguerris aiment à s'y aventurer, et où pour ma part, je me sens le plus à l'aise. C'est d'ailleurs au détour d'une de ces petites rues adjacentes que se trouve l'une de mes places favorite : la place Camille Julian. Je me doute qu'à la lecture de mes dires, votre opinion, chers amis bordelais, se divisera. Deux choix s'offrent alors à vous : soit vous adhérez avec le fait que la place Camille Julian est une très belle place, certes simpliste, mais avec une atmosphère des plus agréables. Soit, outrés, vous ne pourrez vous empêcher de vous lever pour affirmer que « Caju c'est pas pour les vrais Bordelais c'est pas tendance. Impossible de rivaliser avec l'authenticité de la Place Saint Pierre. Les rues pavées et étroites, il n'y a certainement rien de plus typique et représentatif du charme bordelais. »

Ne t'inquiète pas, toi, cher ami étranger, je ne t'oublie pas. Toi, qui découvre peut-être ma ville à travers ces quelques mots, tu ne sais sans doute plus qui suivre face à ces divergences d'opinions. Alors, laisse-toi donc guider, continuons notre visite. Ouvre grand les yeux et tend bien l'oreille, car je vais maintenant te présenter celle dont je suis amoureux. Nous voila arrivés sur la Place Fernand-Lafargue, ma place préférée de Bordeaux, la plus belle selon moi. (Oui en aucun cas nous ne parlerons dans ce texte de la place de la Victoire, lieu de beuverie et à mon goût sans cachet.) Elle, sobre et élégante, conduit vers la rue de "la cloche en or " où raisonnent les rires des enfants qui viennent s'y amuser. Je pourrais vous parler des heures entières de cette place et des souvenirs qu'elle réveille en moi, mais la visite n'étant pas fini, je me dois d'écourter mes propos. Il est déjà l'heure de l'apéro, une passion que tu partages certainement avec moi et que bon nombre de bordelais aime à partager sur un autre lieu incontournable de « la perle d'Aquitaine » : les quais. Là où nous nous abandonnons dans l'herbe, d'autre s'abandonnent au même endroit à un autre type d'herbe et à l'alcool. D'autres encore, les plus insolents, s'approchent quant à eux dangereusement de la terne Garonne pour soulager leur besoin.
Plus tard dans la soirée, deux choix s'offrent de nouveau à toi. A la croisée des chemins, tu peux suivre le "gratin bordelais", qui pupilles dilatées se laisse aller aux rythmes enivrants et aux basses profondes des sons électro. Ou, tu choisis les quais des Paludates, "plus classiques" mais plus comique aussi.

Mais, ce soir, je te propose un troisième choix, celui de s'abandonner face à Bordeaux la nuit. Pour ça, on va s'envoler, prendre de l'altitude, et je te le garantis, tu n'auras aucunement besoin, ici, d'une quelconque drogue pour profiter pleinement du spectacle ... Tu vois là cher visiteur, c'est la lumineuse place de La Bourse, qui se reflète et scintille comme le ciel étoilé sur le miroir d'eau. Là-bas, plus loin, tu peux apercevoir le playground Bordelais. C'est ici que je dois avouer avoir pris pas mal de raclée et peu souvent gagné, le niveau y est élevé. Juste là, c'est porte de Bourgogne et une nouvelle croisée des chemins qui se présente à nous. D'un côté tu peux traverser ce long pont de pierre pour rejoindre Stalingrad, son majestueux lion et le cinéma à la vue imprenable. Ou alors, tu peux remonter les quais, et déambuler doucement dans un quartier que j'affectionne tout particulièrement : Saint Michel. Si certains le qualifient de "cosmopolite " , "grandiose" reste pour moi l'adjectif le plus approprié pour parler de la richesse qu'il renferme. Une richesse non pas matérielle, mais bien culturelle. Puis, quelques pas plus loin, c'est le marché des Capucins, et surtout la boulangerie des Capucins. Et cette fois-ci, les bordelais seront unanimes au sujet de la seule et unique boulangerie ouverte 24h/24.

Voilà, je crois que l'on arrive au terme de notre visite...Ou plutôt, au terme de la visite de mon Bordeaux à moi, et toute la subjectivité que cela sous-entend. Car, tu sais, au fond la véritable richesse de cette ville, c'est sa pluralité, qui fait tant sa singularité. Choisis n'importe quel autre passant bordelais,tiens celui-là par exemple. Suis-le et il te fera découvrir d'autres rues, d'autres places, d'autres ambiances...Une tout autre ville tout compte fait. Là est la vraie beauté de celle que l'on appelle « la belle endormie ». Car ce ne sont pas les Bordelais qui font vivre Bordeaux, non. C'est Bordeaux qui s'éveille pour faire vivre les Bordelais. Je vous l'avais dit ma ville, c'est la plus belle des accroches, la plus belle des métaphores. Et sa signification ? Il suffit de venir s'y abandonner pour la trouver .

Signaler ce texte