Faut en parler ...
Aurelie Blondel
Faut en parler ...
Si vous saviez comme j'en ai eu marre d'entendre cette phrase.
Il faut ... NON ! Je ne m'en sentais pas l'obligation et je n'en avais surtout pas envie.
Parce que cela impliquait trop de choses. A commencer par le regard que mes proches poseraient sur moi, parce que je n'arrivais pas à mettre des mots sur ce qui c'était passé, parce que je refusais à me considérer comme une victime. Parce que c'est compliqué tout simplement.
Peu le savent, vraiment très peu. Alors ce témoignage risque de choquer certaines personnes, surtout proches. Je n'en parlerai pas ensuite d'ailleurs. Je ne le veux pas. Mais je peux l'écrire. Parce qu'il ME le faut.
A cette époque, mon mariage avait pris l'eau, ma soeur était décédée, je ne travaillais pas et mon seul réconfort c'était cette amie qui vivait les mêmes problèmes personnels que moi. Je lui rendais souvent visite. On parlait, on se donnait du courage, on se soutenait. J'avais pris mes petites habitudes. J'allais lui rendre visite le soir, une fois les enfants couchés restant sous la bienveillance paternelle.
Je pouvais enfin partir et respirer un peu avec elle. Je ne rentrais jamais tard, mon scooter étant plutôt bruyant, je ne voulais pas gêner mon voisinage.
Ce soir là c'était déroulé comme les autres fois. A la différence que dans le noir complet du porche qui menait aux escaliers de ma maison, une mauvaise surprise m'attendait. Mais ça, je l'ignorais. Je n'avais aucune raison de me méfier tout d'abord. Puis mes chiennes étaient de bonne garde. Elles auraient aboyé si elles avaient senti la moindre menace.
Je n'ai rien entendu, rien vu venir. Mais il était là et m'attendait visiblement. Plus tard, les flics m'ont dit qu'il avait du surveiller mes habitudes et choisir le moment le plus opportun pour agir.
Enfin bref, j'ai reçu un coup de poing tellement violent que j'en suis tombée par terre, complètement sonnée et dans l'incompréhension la plus totale. Il s'est ruée sur moi et m'a cogné de nouveau. Ensuite mes souvenirs sont flous. Mais pas suffisamment pour que je ne me souvienne pas de ce que j'ai du endurer. Je ne vous ferai pas le déroulé des détails sordides de cette agression. Toujours est-il que je suis restée sur ce bitume froid, dans mon sang et mon urine. Il m'avait d'abord poignardé mon intimité avant de me violer. C'est mon voisin qui m'a découvert.
S'en suit l'arrivée de la police, des pompiers, des examens, des prises de sang, des photos, de devoir parler, de l'enquête de voisinage dont on se passerait bien, de devoir porter plainte. Toutes ces choses aussi humiliantes et qui ajoute à la honte de soi, de soi tout entier.
C'est un long travail de réaliser, d'admettre, d'arrêter de culpabiliser. Cela fait des années maintenant et j'en rêve toujours, m'épuisant un peu plus à chaque fois.
C'est un travail encore plus long que d'accepter ce nouveau soi tant sur le plan psychologique que physique. Car il m'a laissé des cicatrices qui ne partiront jamais sur une cuisse ainsi que sur mon entre-cuisses. Et sur le plan psychologique, plus rien n'est pareil.
J'ai longtemps pensé que j'aurai préféré ne pas m'en sortir ce jour là plutôt que de vivre avec ça et de prendre tant de soin à le cacher : Ne pas changer son style vestimentaire, se forcer à sourire, mentir sur ses rendez-vous pour cacher que l'on voit un psy médico-judiciaire qui veut absolument que j'en parle mais qui ne m'inspire aucune confiance, qu'on est convoqué au commissariat pour tenter de reconnaître une personne parmi plein de visages, persuadée d'y parvenir mais toujours en vain, réussir à vivre avec cette phobie du noir, apprendre à ne pas sursauter au moindre bruit suspect, arrêter de regarder derrière soi.
Les années ont passé et je ne me sens toujours pas prête à en parler de vive voix et je redoute plus que tout les questions qui pourraient s'en suivre ou pire encore, que l'on me reproche comme ce fut le cas à l'époque d'être sortie le soir en jupe et escarpins. Que ce n'était pas ma place de mère de sortir le soir. Je me souviendrai toute ma vie de cette métaphore si sournoise mais qui en dit long sur le jugement qui s'est posé sur moi : "si on s'habille comme pour Halloween ma belle, ne t'étonne pas de te faire mordre par les vampires".
En résumé, c'était de ma faute. J'étais jugée alors que lui courait toujours en pleine nature.
Je n'arriverai sans doute jamais à en parler, dire le mot viol m'est quasiment impossible. Mais je peux l'écrire.
Je m'appelle Aurélie, j'ai 38 ans et il y a de ça quelques années, j'ai été frappé par surprise, poignardée, violée et laissée telle que, pour morte. Je ne suis pas judiciairement considérée comme une victime, le temps passant, la plainte a été classé sans suite. Mais je suis une victime. Je n'ai pas honte de l'écrire ce soir.
Une part de moi même est morte ce jour là, mon sourire a perdu en lumière, mes cernes se sont noircies.
Nous avons tous nos secrets, j'en ai encore d'autres mais j'ai décidé que celui là arrêterait de me ronger désormais. Peut être que mon sourire retrouvera un peu d'éclat et que mes cernes s'atténueront.
Aurélie Roumy
Un grand respect.... voilà ce que tu m'inspire... je t'embrasse très fort !
· Il y a plus de 5 ans ·florence-thronel
Merci à tous pour vos soutiens et non jugement.
· Il y a plus de 5 ans ·Aurelie Blondel
Aurélie, votre témoignage est bouleversant cependant vous avez eu raison de le faire.
· Il y a plus de 5 ans ·Mettre des mots sur le mal que ce monstre vous a fait subir est un premier pas vers la guérison.
N'écoutez pas le jugement de personnes incapable de faire preuve de compassion, la victime, c'est vous.
Vous expliquez que vous voyez un psy médico-judiciaire auquel vous n'avez pas confiance, il faut en changer.
Vous avez une plume magnifique, le jour où vous serez prêtes, écrivez votre histoire et publiez-là.
Votre témoignage, j'en suis certaines aideront de nombreuses femmes.
Je vous souhaite de sourire de nouveau à la vie.
Nathalie.
Lady Etaine Eire
Vous avez mon entière compassion et mon soutien. Je suis étonnée néanmoins que la plainte ait été classée sans suite. Avez-vous contacté des associations d'aide aux victimes?
· Il y a plus de 5 ans ·divina-bonitas
Vous avez écrit ce lourd secret, qui, je l'espère vous a fait le plus grand bien. Dire que nous les femmes, sommes toujours considérées comme des "pécheresses" ! Tout ce qui nous arrive est de notre faute. Nous n'avons guère le droit d'avoir des désirs-simplement de nous habiller comme il nous plaît -
· Il y a plus de 5 ans ·sans être jugées. Nous sommes mères, épouses, donc nous n'avons aucun autre droit. Pas le droit d'être femmes, d'être nous-mêmes, tout simplement. Et encore les temps ont changé, heureusement pour nos filles !
Honte à ceux qui ont osé (te) vous juger ! La justice a vraiment des failles. Je suis de tout cœur avec Vous, Aurélie et j'espère que la vie vous apportera le bonheur que vous méritez et que ce monstre qui court toujours se fera enfin prendre un jour ! Avec toute mon amitié. Martine.
Louve
Puisses tu retrouver le sourire un jour, car tu le mérites. Il faut beaucoup de courage pour en parler, survivre après. Bravo belle Aurélie
· Il y a plus de 5 ans ·staff