Figure de Rues

Lézard Des Dunes

Figure de Rues

 

 

     Il y a peu, j'ai rencontré un charmant jeune homme. Son nom ? Wale, prononcez Wale, comme en Anglais. Un prénom franco maghrébin. Wale n'habite nulle part. Ou plutôt, la ville entière est sa propre maison. Wale, il porte une vieille casquette, vous savez, les casquettes d'un vert olive des marines américains. Sauf que la sienne était véritablement unique: la pluie et l'usure lui avait donné une belle teinte grise et décolorée.

     D'ailleurs, tous les vêtements de Wale ont un peu cette même couleur. Comme si un artiste géant avait déversé un gros pot de peinture sur toute la surface de son corps. Dans les médias, ils appellent ça « la Rue ».

     Mais cela ne veut pas dire que Wale ne fait pas comme tous les gens aisés, il est un digne utilisateur des fragences et des parfums. Bien que contrairement à nous autres, Wale n'a jamais eu l'occasion de rentrer dans une délicate parfumerie Marionnaud, ni dans l'alcôve étouffante et florale d'une boutique Sephora. Il ne met pas à l'honneur les ingrédients précieux des créateurs de prestiges. Pas de musc, ni d'ambre ou d'essence de Patchouli. En vérité, il n'y a de commun entre un Chanel et un Wale que le piquant du liant magique des aromates.

     L'alcool.

     L'alcool, oui. Dans l'exaltation rêche et douce de houblon fraîchement fermenté, dans les empreintes olfactives de l'eau de vie Sibérienne ou dans la senteur arrogante d'un pur whisky du Tennessee. Wale excelle, tel un grand maître, et est à même de manier ces cocktails entrecoupés d'odeurs de chiens et du fumet rance des rues.

     Et même si son génie à tendance à rendre ses mots un peu pâteux, ses membres flageolants et ses vêtements un peu tâchés, il y a de la lumière dans ses yeux et du miel dans sa voix. Wale, c'est aussi un conteur. Il raconte son histoire, ses aventures. Et lorsqu'il te dit qu'un soir de printemps, un  Albanais est venu un soir lui trancher la main à coups de cutters, pendant qu'il dessinait, on ne peut qu'acquiescer...

     On ne peut qu'en pleurer.

     Mais Wale, il n'est pas tout le temps seul. Il a une bande à lui, ses copains, sa famille. Il y a deux filles, qui ressemblent à des garçons et d'autres types comme Wale, tous peints par la rue. Il en vient d'ailleurs à nous présenter l'un de ses amis, qui s'appelle aussi Wale. Les deux ont surement été baptisés en même temps, même si l'on ne doit pas trouver beaucoup d'eau bénite pour la cérémonie dans ces rues ou l'on habite partout, et nulle part. Les frères Wale devaient tenter l'école des Gobelins. Les deux dessinaient les mots, les peignaient comme on peigne le corps nu d'une jeune femme. Ils les faisaient voler, chanter, jouir, gronder. Ils changeaient le Français en Arabe, l'Arabe en Égyptien, l'Égyptien en Français... Mais lorsqu'ils ont jeté leurs dés, l'infortune a scellé leur sort.

     Alors je l'ai écouté avec les cœurs, j'ai écouté son histoire. Je vous l'entendre avec les yeux, ma chair, mon corps et ma plume. Car si les mots prononcés soignent, les mots entendus le peuvent d'autant plus.

     Wale, il a un beau sourire. Même si les piercings perçant sa lèvre semble un peu l'incommoder. Entre deux tracés de calligraphie légère comme un souffle doux, il dit gentiment « Tu sais, tu es un gars bien. Reste comme tu es, ne change rien. »

     Wale aussi, c'est un gars bien. Mais malheureusement ce n'est pas ça qui lui a permis de garder sa mise, lorsqu'il s’est foiré au jeu de la fortune.

     Pour Wale, sur son pavé du Centre Pompidou.

Signé Lézard des Dunes © 2011

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