Forcément, ce sera violent.

walkman

C'est d'abord l'histoire de quelques minutes de sommeil perdues pour constater que la Beetle rouge et blanche est morte empalée. 

"C'est toi qu'a ruiné la bagnole ?"

Erika s'inquiète. 

"Non, c'est le mur."

C'est l'histoire d'une nuit évaporée où je me suis retrouvé bourré au milieu d'une foule, à réagir pour ne pas dégueuler. C'était forcément violent. Mais c'est généralement ce qui arrive quand, après sept double verres, tu te lances dans un jeu de joints. Plus les morceaux de la soirée s'emboîtent dans la frise chronologique, plus je commence à me dire que j'avais bien fait d'oublier. 

C'est l'histoire d'un frisson décadent, d'une descente alcoolisée inutile qui finit par te faire intégrer une bande d'ados surexcités qui veut intéragir. J'ai mal à la mâchoire donc soit je me suis battu soit l'airbag ne s'est pas enclenché. Y a peu de marmots dans ma vie, c'est sûrement que j'ai dû croisé Camille au Westbury et que l'idée de la sauter m'a fait bander. Je sais que parfois j'ai besoin que ce soit glauque ou pervers, que ce soit mal fait. J'aime les femmes et parfois au point de vouloir regretter ce que je vais leur faire subir. La bagnole pourra témoigner. 

C'est une histoire exhaustive. 

C'est un style. J'ai dû bien prendre soin d'appliquer tous les codes de conduite d'un parfait gentleman. Fist-fucking. Argot. Passage à tabac. Mépris des lois. Et quand je m'assois au volant de l'épave alors qu'Erika repart, je retrouve mon téléphone rempli de messages graves. Lithy. Camille. L'avocate. J'ai optimisé les heures qui passent. Y en a une à qui j'ai trop pensé, une autre que je n'ai pas rappelée et la dernière m'a probablement gifflé. À vue de nez, je l'ai méritée. 

C'est l'histoire de trop se souvenir des détails débiles. Du tampon qu'on ma mis sur la main pour la consommation gratuite, du tampon des derniers jours de menstruations, du tampon que m'a mis le mur. Ceux-là n'aident pas franchement à panser. Mais la mémoire se met à se relancer. 

C'était, donc, aussi une histoire liée à la foi de mes entrailles, où j'ai voulu guerroyer en m'isolant d'un endroit surpeuplé. Quand c'est comme ça, je déphase et je reproche aux murs de ne pas me ressembler. L'habitacle sent la gerbe, j'ai dû m'arrêter à un feu rouge ou à un contrôle pour gerber. Y a pas grand chose à dire et c'est peut-être le seul moment où je fais quelque chose de sobre. 

Peu à peu des instants me reviennent. Camille au bar, le parfum de ma femme qui explique mes poings et pieds liés, les gyrophares, le regard noir de mon avocate, une fille canon, mal habillée, qui brandit un vinyle. C'est l'histoire du mec frustré qui choisit de croire qu'il peut et qu'il va encaisser. 

C'est l'histoire d'un stroboscope qui se reflétait sur le dos de la boîte d'un compact-disc au moment où j'y mettais le nez pour le dépoussiérer. Puisque c'était aussi l'histoire de tourner en rond dans un carré V.I.P. en plein bombardement de mauvaises sonorités. J'revois un jean en train de refroquer un cul bombé. J'arrive à me rappeler qu'il y avait une inscription gravée dans le cuir de la ceinture. Je me souviens du 69, je me souviens de l'odeur de peinture de la porte qu'on m'a claquée au nez.

C'est l'histoire d'une virée qui n'était même pas sensée exister. Alors forcément... forcément je serai de mauvaise foi quand il s'agira de la raconter sans l'assumer. D'ailleurs je m'invente des histoires pour trouver des excuses. 

Voilà, il est midi, on est mardi. Je vais devoir me replonger dans les méandres de ma soirée. Forcément, ce sera violent. Forcément, j'vais finir par me dire que c'est de la faute de ceux qui m'ont aimé. C'est l'histoire du mur qui ne m'a pas laissé le temps de freiner. 

Signaler ce texte