Forte & allegro

Stéphan Mary

J'ai porté le pinceau à ma bouche et pénétré lentement l'antre du silence empli de sons. Le goût de Louise m'imprègne de couleurs horizontales, irriguant mon intérieur de cieux azuréens parcourus de cumulus blancs, des nuages de beau temps ; l'esquisse d'un tableau à la Kandinski parcourue de lignes longues et obtuses dans lequel se dessine une porte, abstraction faite d'une courbe en filigrane qui exprime la rondeur d'un sein, celui de Louise peut-être. Sûrement. Je me re-connecte à ma mémoire olfactive en goûtant son odeur.

J'incline mes 20 centimètres qui séparent mes lèvres de sa bouche. J'ai le sentiment d'être au présent. Je m'en sens convaincue. Combien de temps nous étions nous connues il y a quinze ans ? Trois, quatre jours ? En combien de temps connaissons nous son autre ? Combien de temps avant que l'effet miroir ne s'interpose entre le jeu et le je tue le temps ? Combien de temps l'appétit des corps fera t-il fie du temps qui passe, avant que l'aiguille des secondes ne se stabilise, entraînant l'histoire vers d'autres versants-versions... Le pli et le dépli lacanien, la bobine de fil que l'on déroule méthodiquement entre le moi et toi. Peu importe. Je suis dans l'intervalle.

Je me sens au présent, libre de goûter l'air frais à petits coups de langue. Je savoure le décollage d'un nouveau souffle, mélange pertinent de la mort acceptée, la rupture en contraste avec le passé enfin digéré. Le temps d'un moment je pose mes valises et j'apprécie de sentir mes bras soulagés, mes épaules soulevées par deux fils bien droit. Ma nuque est souple, son corps et son esprit également. Nous nous immergeons dans le moment de la réassurance quasi aquatique du désir prégnant.

L'aube se lève, donnant une nouvelle lumière aux doubles rideaux tirés sur l'extérieur. Je frissonne de plaisir, mon être assouvi par la gaieté et la tranquillité du moment.

Signaler ce texte