Frenchie, le Jazz et Joe

sandocha

Racontez votre Amérique - Participation au concours.

Frenchie veut aller écouter du Jazz à Houston. Elle habite chez un notable de la ville que Joe, journaliste fraîchement débarqué dans cette ville du Texas, essaie d'interviewer. Alice, la Frenchie, travaille bénévolement au sein d'une fondation reconnue d'utilité publique. C'est là, par l'intermédiaire d'une amie du directeur de la fondation, que Joe lui est présenté, à la fin du mois d'août 1996.

 

Le plan de Joe est simple : copiner avec Alice, la promener, devenir son ami pour avoir la possibilité d'approcher ce notable. Une interview de cet homme très discret lui permettrait d'obtenir, peut-être, la première page dès son arrivée au Houston Chronicle ou, du moins, de gagner la considération de son rédacteur en chef.

 

Alice a des idées très arrêtées de ce qu'elle veut voir au Texas : un ranch, un concours de bétail où s'affrontent les cow-boys et un authentique concert de Jazz. Alors Joe se renseigne auprès de son collègue qui fait les chroniques concerts et spectacles. Il obtient une adresse dans un ghetto noir de Houston et une recommandation : être respectueux des gens qui s'y trouvent et il ne lui arrivera rien.

 

Emmener une gamine qui doit avoir dix-huit ans à tout casser dans un ghetto ? Joe se dit que ce n'est pas prudent. Puis il pense à la tête de son rédac' chef s'il arrive avec l'interview de Mr D., le notable, dès son arrivée.

 

Alice est ravie d'aller dans un quartier afro-américain : elle écoute attentivement la recommandation que lui fait Joe. C'est avec enthousiasme qu'elle lui raconte sa rencontre avec le responsable du projet « Raw Houses » :

-          Un centre de réanimation urbaine dans un quartier de minorité afro-américaine déshéritée - explique-t-elle.

-          A sa façon de parler, j'en oublierais presque que ce n'est pas une jeune blanche américaine – pense Joe. Elle aura juste entendu quelqu'un à la fondation en parler dans ces termes.

 

Joe se plait à croire qu'un journaliste est, avant tout, un être capable de décrypter la société et ses différentes strates et d'évoluer, pour ce faire, en marge de celle-ci. Alice va lui rappeler combien il est, en fait, partie prenante de cette société, pleine d'idées-reçues.

 

En organisant ce diner-concert, Joe se rend compte qu'il n'est pas le seul à user de ce stratagème de vouloir évoluer autour de la Frenchie pour approcher Mr. D. :

Un groupe d'une demi-douzaine de jeunes gens se forme pour venir avec eux assister à ce concert de Jazz dans le ghetto. Il laisse faire car il s'aperçoit que dans le groupe, Harry, un rouquin à l'âge indéterminé, est une connaissance de Mr. D. et a, sans doute, été missionné par lui pour prendre sous sa coupe Alice, veiller sur elle et à ce qu'elle ne s'ennuie en aucune occasion. Il devine que ce bénévolat qu'Alice s'évertue à appeler « stage » est une idée de Harry, électron libre embauché à la fondation.

 

Joe considère le groupe de jeunes naïfs, tout excités à l'idée d'aller dans ce lieu où ils n'ont pas cité, comme s'ils allaient enfreindre une loi, boire de l'alcool « under-aged » à savoir en dessous de vingt et un ans – l'âge légal - , ou s'encanailler en passant la frontière mexicaine. Pourtant, ce soir, ils vont sortir en ville, dans un quartier de Houston dont ils n'ont même pas l'idée d'aller en journée, encore moins le soir, pour écouter un concert de Jazz et dîner. Ils écoutent en retenant leur souffle la recommandation de Joe. Ce dernier déteste déjà la soirée qu'il s'apprête à passer : leur servir de baby-sitter, sans être sûr d'en tirer quelque avantage, ne l'enchante pas le moins du monde.

 

Avec à l'esprit, la recommandation de Joe, Alice et ses convives entrent en silence dans cette salle, aménagée simplement : il y a un bar, une scène, quelques tables, des chaises autour et, au fond de la pièce sombre, un canapé et deux fauteuils recouverts d'un plastique censé protéger ces meubles. Ils pénètrent dans ce qui pourrait être un bar dans d'autres quartiers de la ville, sauf qu'à l'extérieur, aucun indice ne leur permettait de le deviner.

 

Pas d'éclats de voix, de moqueries à la vue du plastique protégeant canapé et fauteuils, le groupe de jeune respectent au mieux la consigne donnée par Joe et, comme l'avait prédit le collègue de Joe, rien de mal ne leur arrive. Ils passent la soirée à diner, écouter du Jazz et même, pour certains, danser. Leur attitude est tellement respectueuse qu'ils commencent à échanger avec certains habitués. Ces derniers, très distants à leur entrée dans le bar, se décrispent alors que le groupe s'apprête à partir. L'un d'eux parle à Alice mais elle ne comprend pas les mots qui sortent de sa bouche. Interloquée, elle regarde alors Harry qui semble aussi n'y avoir rien compris.

 

Une fois dehors, ils saisissent ce qu'il cherchait à leur dire en argot local : faites attention à la pluie. Car dehors, c'est maintenant le déluge. Joe qui s'était proposé de raccompagner Alice chez Mr. D dans sa voiture suit la voiture de Harry. C'est que ce dernier, en plus de la chaperonner, connait le chemin jusqu'à la maison d'architecte de Mr. D.

A plusieurs reprises, alors que sa voiture était déjà engagée sur une route, Harry fait signe à Joe de reculer tant il y a d'eau sur la voie qu'elle est inondée. Arrivés à destination, ils se séparent si vite que Joe n'a pas l'opportunité de s'inviter à l'intérieur. Sa voiture dans l'allée du « back yard », les trombes d'eau l'empêchent de voir les sculptures qui y trônent et d'admirer d'autres détails que les contours de la maison de Mr. D. Lorsque, à l'encadrement de la porte de derrière, Alice se retourne pour lui faire un dernier au revoir de la main, il lui semble voir arriver quelqu'un dans son dos. Est-ce que c'était Mr D. en personne ou un de ses employés ? Il n'en saura rien de plus ce soir-là.

 

Son rédacteur en chef lui a conseillé quelques sujets d'articles et s'attend à ce qu'il lui en ramène un pour l'une des éditions quotidiennes de la semaine prochaine. Il n'a plus le choix que de se mettre au travail. Alice a son numéro à la rédaction. Soit elle le rappelle, soit il abandonne cette idée d'interview. Il ne se voit pas courir après une gamine de dix-huit ans : ça pourrait être mal interprété et jouer en sa défaveur auprès des proches de Mr D.

 

Lorsqu'il revient à la rédaction, après une journée à chercher l'information sur le terrain, un de ses collègues lui tend un post-it : Alice a appelé, s'il peut la rappeler. Ce qu'il fait immédiatement en suppliant sa bonne étoile de ne pas l'abandonner en si bon chemin. Sur le post-it, le numéro d'Alice « at home » ce qu'il traduit par chez Mr D. Ça sonne.

- Résidence de Mr D., puis-je vous aider ?

 

A cette annonce, Joe croit toucher le Saint Graal mais, très vite, il se calme et demande à la personne qu'il a au téléphone si Alice est disponible. Il se présente : Joe Flores.

 

-          Ah oui, Mr Flores, je vais appeler Alice.

 

La voix d'Alice s'invite alors de l'autre côté du combiné. Son enthousiasme semble calqué sur celui des autres jeunes femmes américaines où tout est « amazing ». Et dans ce monde incroyable, Joe comprend qu'il est invité à participer à un brunch dans un club privé, dimanche qui arrive. Pour savoir où, ils conviennent qu'il appellera Harry demain à la fondation. Le dimanche arrive et ils se retrouvent à l'intérieur du club, en compagnie de quelques familles, membres privilégiés de celui-ci. Le buffet est à volonté, ce qui ravi Joe. Alice semble moins enthousiaste qu'à l'accoutumé. Curieux de ce changement, Joe lui demande ce qu'elle pense du lieu.

 

-          C'est bizarre, tu ne trouves pas ?

-          Quoi ?

-          Il n'y a rien qui te choque ?

-          Je ne vois pas.

-          Tous les membres du club sont « caucasiens » comme vous dites, et tout le personnel est afro-américain ; parmi le personnel, il y a même ce serveur qui semble connaître beaucoup des membres par leur nom. J'ai l'impression d'être dans Autant en emporte le vent !

 

Joe regarde à son tour et constate, médusé, ce qu'il n'a pas remarqué auparavant : des blancs servis exclusivement par des noirs. Et ce qui le choque d'avantage c'est que cette petite conne de française semble, l'air de rien, souligner quelque chose qu'il n'a pas vu tout de suite, lui, le journaliste avisé ; lui, Flores, le latino cultivé n'a rien vu de tout ça.

 

Alors qu'un début d'esprit critique semble pointer chez cette jeune femme, il commence à la remarquer et, intrigué, veut en savoir d'avantage sur elle. Mais ce n'est pas le bon moment pour pousser l'enquête sur Alice plus avant, pas avec Harry à leur côté. Il imagine alors un de ses plans pour la voir sans Harry.

 

C'est à l'aide de Déborah, la connaissance qui lui a présenté Alice dans un premier temps, qu'il réussit à tomber, par le plus grand des hasards, sur elles alors que Déborah emmène Alice goûter des gâteaux dans un authentique Diner. Après qu'ils aient goûté ensemble les tartes et autres gâteaux couleurs smarties, après qu'Alice ait compris ce que Déborah et Joe voulaient dire par « too sweet » (- Ah ! Trop sucré !) Joe profite de la présence complice de Déborah pour poser à Alice quelques questions, l'air de rien.

 

Et à la faveur de cette conversation fluide, il apprend qu'elle a été invitée, tous frais payés, à venir passer un mois à Houston par Mr D. et que c'est un cadeau qui la récompense d'avoir décroché un diplôme en France. C'est même avec une certaine émotion qu'elle évoque la lettre de Mr. D., reçue par Fed Ex, à Paris, une lettre écrite de sa main.

 

-          Tes parents ont dû être très contents pour toi…

-          Oui, mes parents sont ravis que je sois ici pour un mois : c'est un cadeau qu'ils n'auraient pas pu me faire.

-          Ah, vraiment ?

-          Oui. Ils n'auraient pas eu les moyens.

 

Cette dernière phrase l'intrigue : Mr D. connaît des gens qui « n'ont pas les moyens » de payer à leur fille un mois aux États Unis et l'invite à venir à ses frais ? Mais il voit qu'Alice semble regretter de lui avoir donné ce détail sur elle ; alors, il n'insiste pas, pas maintenant qu'elle est sur ses gardes.

 

Déborah prend alors la parole :

-          Tu n'es pas venu au vernissage de Gertrude ?

-          J'ai bien reçu son invitation mais je devais enquêter pour un article et…

-          C'est dommage ! Nous y étions – n'est-ce pas Alice ?

-          Oui ? Tant mieux pour vous.

-          Alice a même amené Mr D. ! Lui qui ne sort plus jamais pour assister à un vernissage ! Grâce à sa présence, Gertrude a tout vendu ! « Amazing ! », non ? – Et après un temps, elle se tourne vers Alice :

-          Tu ne m'as pas dit : comment as-tu fait pour convaincre Mr D. ?

-          Mais je n'ai rien fait que de lui dire que j'y allais. Nous avons continué à parler de choses et d'autres, et, alors que j'allais me préparer, Mr D. m'a demandé de prévenir Harry que c'est lui m'accompagnerait.

-          Alors, il apprécie de travail de Gertrude ?

-          Il m'a juste dit qu'il voulait la remercier de son action humanitaire et de sa lutte pour la Défense du Droit des Hommes.

 

Joe et Déborah se regardent : Gertrude n'est pas une artiste engagée et ne s'implique pas dans le Charity Business, contrairement à Mr D. Donc, pour Joe, il lui apparaît clairement que Mr D. a donné cette raison bidon de venir pour accompagner Alice à ce vernissage. Mais qui est-elle pour que Mr D. en personne se déplace à un vernissage afin de l'accompagner ?

 

Alors qu'Alice est aux toilettes, il demande à Déborah d'essayer d'en savoir plus pendant qu'elle raccompagne Alice chez Mr D. Seulement, lorsque Déborah le rappelle chez lui, il est à nouveau estomaqué : le lien entre Alice et Mr. D se trouve en France – évidemment ! – où Mr D. a une demeure en Normandie. Il s'avère que les parents d'Alice sont les employés de maison de cette magnifique maison.

 

Des employés de maison ? Joe n'aurait jamais imaginé qu'un homme riche tel que Mr D. puisse s'attacher à des gens simples, ses employés de surcroît, au point d'offrir à leur fille un tel cadeau.

  • Et ben voilà ton aventure américaine ! Et une jolie chute :) Euh romancée totalement ta nouvelle ?

    · Il y a presque 10 ans ·
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    Cécile Pellault

    • Merci Cécile pour ta lecture et ce commentaire qui me rassure. C est romancé mais arrangé avec de vraies anedoctes.

      · Il y a presque 10 ans ·
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      sandocha

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