Frère et sœur.

Frère, sœur. Deux mots, dix lettres, des milliers de gènes en commun. Hermano, hermana en espagnol. Brother, sister en anglais. Siblings aussi. Ce mot est sans doute celui qui décrit le mieux cette relation. Un seul mot pour réunir deux, trois, quatre personnes, et parfois plus. Un mot qui fait l'aller-retour entre ces gens, laissant deviner les disputes, les coups de gueule, les rires, les jeux, la complicité. C'est vrai quoi. Pourquoi utiliser deux mots pour une seule relation ?

J'ai un frère moi. Lui a une sœur. We are siblings. Zoé et Barnabé, Archibald et Géraldine, Elena et Blaise. On est deux ; on aurait dû être trois. Les aléas de la vie et des grossesses compliquées. Je me demande quel surnom on lui aurait donné si elle avait été là.

Elle aurait dû s'appeler Mathilde, naître en avril. Elle aurait seize ans aujourd'hui. Moi j'en ai dix-huit, mon frère dix-sept. Un an et une poignée de mois d'écart entre chacun de nous.

Il m'arrive de me demander à quoi elle aurait ressemblé, comment elle aurait été et surtout, comment ça aurait été entre nous. Est-ce qu'on aurait été super proches ou, au contraire, ennemies ? Est-ce qu'on aurait continué à avoir des délires même maintenant, ou est-ce qu'on se serait peu à peu éloignés, jusqu'à ne plus se parler qu'en cas d'extrême nécessité ?

Aujourd'hui, je ne suis plus proche de mon frère. On ne s'engueule plus, c'est juste qu'on se parle à peine. Tu me passes l'eau ? C'est mon tour de prendre l'ordinateur. Avant, on rigolait ensemble. Il suffit de mettre une cassette dans le vieux caméscope pour nous voir en pleine bataille de guilis ou de doudous -règles du jeu : chacun, protégé par son oreiller, essaie de toucher l'autre avec des peluches. On piquait les grandes chaussures et les cravates de papa pour nous déguiser, on inventait des histoires avec nos playmobils.

Mais tout ça est fini. On dit que les filles murissent plus vite que les garçons, et bien c'est vrai. Et comme j'ai un an de plus, l'écart n'a fait que se creuser. On n'avait plus la même façon de penser, les mêmes jeux. Quand il a mûri à son tour, c'était trop tard. Les disputes ont cessé mais la complicité n'est pas revenue.

Il parait que j'étais proche de Mathilde aussi, quand elle était dans le ventre de maman. Du haut de mes deux ans, je m'approchais de l'abdomen bien rond de ma mère et posais mes petites quenottes dessus. Mathilde réagissait à chaque fois, en posant aussi ses mains sur la paroi qui nous séparait. Comme si elle pouvait me reconnaître. Il n'y a qu'avec moi qu'elle faisait ça, mais mon frère était trop petit pour être jaloux. Ma mère était alors enceinte de sept mois, mais elle n'alla pas plus loin.

Dans la vie, des évènements arrivent sans qu'on s'y attende et bouleversent tout. Et quand il n'y en a pas, le temps se charge de faire la même chose.