Frigo

petisaintleu

Nous ne le savions pas encore. L'aile ou la Cuisse de Claude Zidi apparaissait en 1976 comme une bouffonnerie. Les premiers appels prémonitoires de René Dumont, originaire de Cambrai et père de l'écologie politique raisonnaient comme une bêtise, au même titre que les premières élucubrations de Jean-Marie Le Pen.

Les Trente Glorieuses allaient bientôt battre de l'aile avant que ne s'accélère la frénésie hédoniste, la fonte de la banquise et la montée inexorable du FN.

Le réfrigérateur n'était plus vraiment une nouveauté pour les ménages au milieu des années soixante-dix. Près de 65% en étaient équipés, contrairement au lave-vaisselle qui était encore un luxe pour 90% des Français moyens. Mais, à l'époque, les statistiques n'étaient pas encore devenues les préoccupations qu'elles me sont devenues aujourd'hui pour des raisons professionnelles. Ce qui m'importait, c'était de manger.

Je dois reconnaître une spécialité à ma maman, les pommes de terre au beurre. En quelque sorte le prolongement des patates de mon papa et des yeux au beurre noir. Mais, et uniquement dans ce cadre, j'adorais, lorsque, restées trop longtemps sur le feu, elles étaient un peu trop cuites. Ça leur donnerait un croquant que tous les millions d'euros dépensés en recherche et développement par les trusts agro-alimentaires ne pourront jamais égaler.

Il s'agissait d'une exception. Même pour les carottes râpées, elle préférait aller les acheter chez le traiteur. Mais, et avec l'élargissement de l'offre dans les linéaires, il serait plus aisé d'acheter des Lunor ou des sachets de surgelés que de perdre du temps à éplucher les tubercules.

Elle était trop débordée, huit heures par jour, par sa beauté qui consistait à se percer des points noirs devant une glace grossissante. A l'adolescence, j'en ferai les frais. Mon visage ravagé de comédons deviendrait alors son champ d'expérimentation.

Mais le top était qu'elle perce mes poches de pus pour en faire gicler un liquide purulent et ivoire. Vu que mon estomac d'adolescent en pleine croissance me réclamait par ses borborygmes des calories, je n'avais qu'une envie : aller au frigo. Par analogie, j'étais tenté de me lever pour une Danette goût vanille ou par une crêpe farcie à la béchamel et aux champignons.

A quatorze ans, mon visage, à force d'être labouré prit dangereusement l'aspect d'un champ de bataille ravagé par des cratères d'obus et je prenais de plus en plus l'allure d'une gueule cassée.

Rendez-vous fut alors pris chez un dermatologue, dont la fille était dans ma classe. J'eus ainsi le droit à la double peine. La mixture qu'il me concocta me transforma en une sorte de tomate farcie, rouge vif à la périphérie, agrémentée en son centre de morceaux de chair à la sauce brulée au troisième degré. Et, quand j'essayais de justifier ma tronche de homard par un séjour au ski, la descendance du spécialiste se fit un plaisir de me contredire et de me ridiculiser en vendant la mèche.

J'ai tourné la page des surgelés. Mon visage, par miracle, ne porte que peu de stigmates. Au pire, une barbe de trois jours permet de cacher mes imperfections. Et le réfrigérateur s'est depuis dix ans orientalisé grâce aux préparations culinaires de mon épouse philippine. A moi, les mystères de l'Orient.

  • N'aurais-tu pas un cousinage avec "Hibernatus" ?

    · Il y a presque 11 ans ·
    Droopy bogie orig

    koss-ultane

    • Pff, tu n'as pas lu "télévision" ? Mon cousin, c'est Récho !

      · Il y a presque 11 ans ·
      Cpetitphoto

      petisaintleu

  • Ha , l'orient
    L'orient express
    pour ne pas dire
    Lorient-Guingamp

    · Il y a presque 11 ans ·
    Mars 2012 063

    halpage

  • le "Nous ne le savions pas encore" constitue une entame parfaite et le " A moi, les mystères de l'Orient." final nous laisse presque sur notre faim...
    on attend donc la suite ;-)

    · Il y a presque 11 ans ·
    332791 101838326611661 1951249170 o

    wic

    • On me fait souvent la remarque de rester sur sa faim; et je m'interroge. Je trouve intéressant de laisser au lecteur cette frustration. Mais c'est également lié au fait que les idées se bousculent dans ma tête et que je n'ai pas le temps de toutes les développer. je continue donc sur cette voie pour le moment; Quand je serai tari, viendra peut-être l'heure de les relier et de les développer pour en faire un roman. mais je n'en suis pas encore là.

      · Il y a presque 11 ans ·
      Cpetitphoto

      petisaintleu

    • la frustration est source d'addiction mais rarement synonyme de déception. Alors continue ainsi, selon moi, dans l'écriture, c'est de la "bonne frustation". ;-)
      A bientôt.

      · Il y a presque 11 ans ·
      332791 101838326611661 1951249170 o

      wic

  • A fleur de peau, donc.

    · Il y a presque 11 ans ·
    Courte

    lilii

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