Getshémani
petisaintleu
À treize ans, il rejoignit l'atelier de son père pour suivre ses traces. Qu'aurait-il fait d'autre ? Son horizon se limitait à son village avec au sud le désert du Néguev et à un déplacement annuel pour la Pâque dans la cité du roi David. Il savait qu'il était différent et qu'il aurait un rôle à jouer.
Pour l'heure, il n'était encore qu'un enfant pris dans la gangue de l'immaturité. Quelquefois, particulièrement la nuit, il était pris de crises d'angoisse. Il n'arrivait pas à se l'expliquer. Il sentait un poids énorme l'écraser. Toute la misère et la culpabilité du monde s'abattraient fatalement sur ses épaules. Mais pourquoi, pourquoi lui ? Il n'était que le fils d'une famille de charpentiers. Il pleurait et implorait qu'il le laisse vivre sa modeste vie. Il refusait que son nom soit gravé pour l'éternité.
Que dire de lui ? Jusqu'à la trentaine, il vécut comme tout un chacun, ni plus ni moins apprécié, humble parmi les humbles de son hameau. Il était reconnu pour la qualité de son travail, arrangeant lorsqu'on ne pouvait le régler comptant. Il était imperméable aux choses matérielles, prêt à délier sa bourse à l'inconnu qui quémandait une piécette. Ses voisins s'étonnaient de son célibat. Comment aurait-il pu leur faire comprendre que l'hyménée était en contradiction avec une destinée crucifiée sur l'autel du moteur de la puissance divine ?
Vint le moment où il ne put échapper à l'instinct qui le conduisit sur la voie de la folie avec une poignée de compagnons venus de Gaulanitide, de Judée ou de Galilée. Les Hébreux en avaient vu des prophètes, crachant leur hystérie sur un peuple devenu les égarés du Temple, confondant la piété avec la routine des holocaustes. Il pressentait qu'ils s'en mordraient les doigts.
Ils arpentaient les chemins poussiéreux. Le miracle découlait des foules qui les écoutaient, juifs, publicains et prostituées. Ils annonçaient la bonne nouvelle, d'un dieu de miséricorde et d'amour. De jour en jour, leur réputation les précédait. On venait religieusement s'informer de cette parole.
Néanmoins, l'inéluctabilité ne supportait pas que l'on se détourne de son dessein. Les prêtres en furent les meilleurs sbires. Ils leur fallaient trouver un bouc-émissaire pour mettre un terme à cette mascarade. Ses cauchemars puérils étaient véridiques, il devinait que ce serait lui. Il serait l'élu.
Quand on frappa à ma porte, je regardai prudemment par l'œilleton du judas. Je m'étais passé du luxe d'avoir des amis. Ça me fatiguait. Il faut dire que rester affalé quotidiennement quinze heures sur mon canapé était un redoutable danger apathique. La dernière relation sérieuse que j'avais fréquentée m'avait trahi. C'est ainsi. Depuis la nuit des temps, l'argent a rendu l'homme fou. Je préférai donc me claquemurer.
De l'autre côté se tenait une vieille dame. J'ai été idiot de penser que son âge était synonyme de gentillesse. Elle me poussa et se retrouva en deux secondes dans le couloir de l'appartement. Sans un mot, elle sortit de son sac à main une imposante enveloppe en kraft et, d'un coup de menton, m'invita à l'ouvrir. En la déchirant, je laissai choir sur le sol un morceau de corde. Elle me quitta sur le champ.
Une semaine plus tard, un incompressible besoin de faire le ménage me prit. Je découvris la cordelette sous mon sofa. À peine la saisis-je que je fus projeté sous un ciel étoilé. Je perçus le bruissement des feuilles masqué par l'assourdissant chant des cigales. En tendant mes deux mains pour m'orienter, elles se posèrent sur des sandales qui flottaient dans l'air, retenues par des chevilles dont la pilosité m'indiquait un caractère masculin à la limite du simiesque.
Quand le professeur Vanberghen de l'université de Louvain reçut le document, il fut pris d'un malaise qui lui valut deux mois d'hospitalisation. Le parchemin qui subit les analyses de datation confirma qu'il avait été rédigé au premier siècle. Moi, je ne m'étais même pas posé de question en le ramassant au pied du pendu. Dès lors, pour ce malheureux bout de papier, tous les exégètes, tous les théologiens, tous les spécialistes de droit biblique se querellent. Tout ça pour quatre mots : « Merci, je t'attends ».
Un réel plaisir de lecture !
· Il y a plus de 8 ans ·miss
Bravo !......
· Il y a plus de 8 ans ·Maud Garnier
J'ai adoré. Je reviendrai lire, et ça, c'est bon signe quand dès la fin on a envie d'y revenir plus tard.
· Il y a presque 9 ans ·fionavanessa
Ravie de voir que je ne suis pas la seule à le penser !!!! J'en profite pour te faire un gros bisou Ade !
· Il y a presque 9 ans ·veroniquethery
J'espère que l'on ne sera pas que deux, il est excellent ce texte, très bien écrit et on est embarqué dans l'histoire! Bisous Véro au plaisir de te lire !
· Il y a presque 9 ans ·ade
Je rejoins l'avis de Véronique, pour moi également l'un de tes meilleurs textes ! Chapeau Monsieur !
· Il y a presque 9 ans ·ade
Je pense que c'est peut-être ton meilleur texte ! Enfin, il y en a tant d'excellents qu'il est difficile de faire un classement. Disons donc que je le mets dans mon top 5 ! Quel talent, cher ami ! Tu m'épates !
· Il y a presque 9 ans ·veroniquethery
Le récit est passionnant. Les descriptions suffisamment réalistes pour que l'on se retrouve immergé dans cette histoire. Le style est léger, tout en étant travaillé. Un écrit d'orfèvre, mon cher ami
· Il y a presque 9 ans ·veroniquethery