Giaco ou le triomphe des couleurs

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''Ce qui compte, ce n'est pas le tableau, mais l'histoire à l'origine du tableau'' Giaco

   

    I. Les origines


Né en 1952 à Southampton, Royaume-Uni, Geoffrey Parker alias Giaco (1), ne doit son existence qu'à un miracle. Lors des attaques aériennes des années 40 sur le quartier maudit de Northam où toute sa famille, hormis son futur père, périt, le destin du peintre ne se dessinait qu'en pointillés. Dès 16 ans cependant il fut lauréat d'une exposition de poterie à la mairie. Peu enclin à suivre le troupeau d'écoliers, il s'éloigna du parcours typique et commença par gagner sa vie au travers de petits boulots.


Puis ce fut sa première rencontre avec un français, mythique, de Southampton. Jean-Pierre, qui tenait le garage du même nom, lui offrit quelques années de stabilité et un briefing à la française qui le fit basculer définitivement dans un amour inconditionné du mode de vie du pays de Victor Hugo. Cette proximité avec la France, Giaco la doit peut-être aussi à sa mère d'origine italienne dont le nom de jeune fille, Giacomelli, fut tout désigné pour lui donner son nom d'artiste.


Lassé de tourner en rond dans une Angleterre en crise, il partit tenter sa chance aux Etats-Unis au début des années 90 où, hélas, son système de purification de carburant pour voiture, pourtant le projet de son ami peintre et visionnaire Brian Pascual, ne convainc pas.


De retour au Royaume-Uni il rencontra Maureen Gunby auprès de qui il trouva la sérénité pour enfin s'adonner à une activité qui l'obsédait depuis toujours : la peinture. Déjà fasciné par les grands maîtres et notamment Modigliani, il commença, en autodidacte, de peindre quelques tableaux haut en couleurs dont sa chère et tendre fut le premier modèle.


Hélas il était dit que la tragédie, déjà bien présente dans son histoire, allait de nouveau frapper Giaco. L'amour de sa vie rendit son dernier soupir dans ses bras après quelques années de vie commune. Veuf à 47 ans, il eut le réconfort de son frère et de sa mère, mais c'est dans la peinture qu'il trouva un refuge où il put exprimer davantage sa sensibilité.


II. La période à Bitterne


Avec son compère Adrian Boswell (2), lui aussi fou de peinture et talentueux artiste dont la spécialité est le collage, il forme au début des années 2000, un duo de bons amis. Chacun essaye de stimuler et de défier l'autre dans une course à la création tout azimut mais sans jamais se fourvoyer dans une quelconque compétition.


Dans l'atelier de Boswell, Giaco peaufine sa technique: comme tout artiste qui se respecte il commence par croquer des formes au crayon sur la toile. Puis un thème se dégage avant d'aboutir. C'est alors qu'il accumule des couches de peintures de différentes couleurs jusqu'à ce que certaines se mélangent et donnent un ton majeur. Le ton enfin trouvé, Giaco peut achever et peaufiner sa toile.


Puis il va s'essayer dans plusieurs styles imitant sans peine Kandinsky, Juan Gris, Modigliani et même Renoir. Prolifique, les thèmes sont multiples mais l'un d'eux se dégage: les scènes de café où des personnages truculents, discrets ou charmants prennent la pose. Né peu après le noir de la guerre dans le gris de l'Angleterre, Giaco semblait soumis à un avenir sombre, mais son obsession fut de briser cet obscurantisme en faisant triompher la couleur.


Du coup l'artiste a l'œil et le poignet fort exercés et c'est donc sans surprise qu'après une multitude de toiles exotiques rappelant sa chère épouse, il pondit son premier chef d'œuvre: un tableau rassemblant Picasso, Modigliani et d'autres personnages fulgurants du Paris des années 20, époque magique.


Giaco écume les cafés de Southampton et en trouve enfin un,'' Amélie'' ,prêt à accueillir quelques unes de ses toiles dont '' Le Café Montparnasse'' le fameux chef d'oeuvre qu'il vendit...pour la modique somme de 200 livres sterling. Cependant l'heureuse propriétaire le lui rendit temporairement pour une exposition exceptionnelle quelques années plus tard au ''Théâtre Royal'' de Winchester, au cours de laquelle il trouva une potentielle acheteuse lui offrant...10000 livres. Mais l'homme, généreux et honnête, ne trahit pas la propriétaire et déclina la proposition.


La vie culturelle à Southampton manquait de relief malgré la richesse de sa galerie municipale. Adrian Boswell eut l'idée d'organiser quelques soirées mêlant divers artistes dans le quartier charmant de Bitterne au bord de l'eau que l'on aurait bien voulu renommer quartier des peintres. Cependant le faible intérêt pour les arts des habitants de Soton en ce début de 21ème siècle ne permit pas à cette belle idée de perdurer.


III. Les années Art House


A la recherche d'une nouvelle inspiration et d'un lieu un peu moins étroit que ''Amelie'', Giaco rencontra Paul Malec, actuel patron du restaurant ''Arty's Royal Clarence''. À cette époque (2006) Malec venait d'ouvrir, dans un bel immeuble Géorgien du quartier cossu de Bedford Place, une galerie de peinture pour artistes locaux qu'il nomma ''Art House''. Giaco ne se fit pas prier pour y montrer ses toiles et donner un coup de main. Il fut rejoint par d'autres artistes du coin, dont Genesis Khan(3) avec qui il se lia spontanément. Tous deux partageaient la même passion pour le mouvement artistique qui animait le Paris des années 20.


Heureux d'exposer dans un lieu de plus grand passage, Giaco prend confiance et se lance dans des tableaux dévoilant le caractère bien trempé de personnages célèbres ou locaux: ''Music'' qui est un hommage aux grands musiciens et plus particulièrement Beethoven, ''Palma Rosita Romera'' et ''The careless Musician'' qui fut vendu en Irlande.


C'est par un soir pluvieux de décembre, 6 mois à peine après son installation à Art House, que Giaco fit une autre rencontre providentielle. À la recherche de peintres pour élaborer une nouvelle soirée culturelle à la librairie ''Peter Rhodes'' du côté de Portswood, F. frappa à la porte de Art House. Enseignant de langues étrangères, né au pays de Pagnol que son grand père connaissait bien, exilé à Southampton depuis peu, il était connu pour organiser des soirées culturelles éclectiques et pousser la chansonnette ici et là. Vite interpellé par la peinture multicolore ainsi qu'un je ne sais quoi de français dans le style de Giaco, F. ne tarda pas à se lier d'amitié avec le grand, par la taille et le talent, peintre.


Avec le concours de Giaco et Genesis Khan, F. n'eût aucun mal à organiser sa nuit des artistes qu'il intitula ''L'Arte é un Momento'', en hommage à la fulgurance de la peinture italienne. Giaco tenait enfin une chance d'exposer ses œuvres dans le quartier populaire de Portswood où étudiants et artistes en tout genre se côtoyaient sans vergogne dans divers lieux, des pubs surtout, comme le Bentbrief, le Talking Heads ou le Dolphin.


Mais c'était bel et bien au café librairie ''Peter Rhodes'', qui avait une indéniable French touche sous l'impulsion du raffinement et de l'élégance de son propriétaire, que l'atmosphère était la plus propice malgré l'étroitesse du lieu, pour l'organisation de cette soirée culturelle qui rassembla peintres, poètes, musiciens, cinéastes et danseurs.


Pour la première fois, les toiles de Giaco se mêlaient au tango, au flamenco, au jazz, au folk, à la poésie de Edward Thomas ou de Dylan Thomas et aux courts-métrages d'étudiants de cinéma. Citons les musiciens locaux J., P., M., Arnie Cottrell and The Velvet Doonicans et Jonathan Fashole Luke, les poètes Ben Bell et John Goodman, les danseuses Sally Bibb et Vivien Kemp, la photographe Maria Zajdler et les cinéastes Richard Johnston et Leo Bridle.


Déjà artiste mondain dans le quartier chic de Bedford Place, Giaco devint ce jour un peintre populaire à Portswood, un quartier où il ne tarda pas à s'établir. Les discussions avec F. allaient bon train et les deux amis affinaient leur vision commune d'un monde qu'ils auraient préféré plus artistique. Et c'est au cours de l'une de ces discussions que Giaco lui révéla qu'il venait d'achever un tableau aussi grandiose que ''Café Montparnasse'' et qu'un encore de ''L'Arte é un momento'' à Art House s'imposait.


Aussi tôt dit, aussi tôt fait. 15 jours après le succès de 'Arte é un momento'' à Portswood, on remit le couvert à Bedford Place où fût dévoilé la deuxième toile monumentale de Giaco: ''Le Résistant Artistique''. Cette oeuvre, une huile sur bois de 6 pieds de haut sur 3 de large, représentait un personnage formidable ayant pour vocation d'écraser l'absurde dans un monde en déliquescence culturelle et d'incarner une unité artistique dépourvue d'orientation raciale, politique ou religieuse.


Les mêmes acteurs furent présents à cette seconde soirée historique et un reporter du Daily Écho survint pour immortaliser l'évènement. On crut alors que la carrière de Giaco allait décoller enfin. Cependant la crise économique éteignit vite ce bel embrasement. Art House ferma ses portes, des restrictions budgétaires forcèrent Peter Rhodes à renoncer aux soirées en son antre avant, lui aussi, de mettre la clef sous la porte. Giaco n'eût plus aucun lieu pour exposer, Paul Malec avait ouvert un bar à Wickham, Adrian Boswell commençait à faire carrière à Londres et F. s'exila à Winchester où il survécut grâce à la poésie.


IV. L'apothéose à la Boulangerie Victor Hugo


Dès lors Giaco peignit moins mais continuait à vendre quelques toiles à Martin, son collectionneur de toujours, qui en comptait une cinquantaine. À Portswood il maintint la flamme artistique chez lui en compagnie de Genesis Khan. Art house avait réouvert avec d'autres propriétaires mais cela n'avait plus rien à voir avec le concept original. Le seul coup d'éclat de Giaco lors de cette période obscure fut sa présence dans l'ancien tribunal reconverti pour l'occasion en salle de spectacle. Là il prit part à la représentation théatrâle donnée par une troupe du Nuffield Theatre en hommage à son ancêtre Richard Parker qui fut sacrifié afin que ses amis matelots survivent à un naufrage en 1884 au large de Southampton.


Il trouva le courage et l'inspiration de continuer à peindre grâce à des voyages salutaires en Pologne où la plupart des cafés de Cracovie étaient restés comme à l'époque de la Guerre Froide: authentiquement romantiques et bourrés de tableaux. Là-bas il fut souvent guidé, par son amie la photographe Maria Zajder, sur les lieux émouvants du temps de l'Occupation et du tournage de l'un des ses films fétiches: ''La Liste de Schindler''.


Puis la relance économique eut lieu plus rapidement que prévu. En ville, les affaires reprenaient et une nouvelle enseigne apparut dans la rue principale de Southampton: Boulangerie Victor Hugo. Gilles Coupeau était né en banlieue parisienne et muni de son c.a.p de pâtissier, il comprit vite que ce précieux sésame allait lui ouvrir de nombreuses portes. Au lieu de s'enterrer en France, il partit à l'étranger, et le succès de son art l'amena à fonder la marque 'Boulangerie Victor Hugo' à Guernesey. Puis il s'exila en Russie pour parfaire sa connaissance du monde avant de revenir plus près de sa France. Southampton était un parfait compromis, il s'y installa dès la reprise en 2014, et y prospéra très vite.


Attiré par cette boulangerie qui fleurait bon la France, Giaco ne tarda pas à y trainer souvent ses guêtres. Par chance, Gilles Coupeau était aussi généreux et bienveillant avec les artistes qu'un certain Ragueneau, et Giaco se sentit vite chez lui au milieu des pâtisseries. C'est alors qu'il rencontra Baptiste Ansari, l'associé de Coupeau à la boulangerie. Baptiste était un autre français, d'origine iranienne, de Southampton. Féru d'art, Baptiste Ansari adopta aussitôt Giaco dont il perçut le talent illico.


Les pouvoirs de Giaco ne se limitaient pas à la peinture. Il avait aussi un don pour la décoration et n'avait pas peur de se retrousser les manches. Il participa donc à l'élaboration de la mezzanine de la boulangerie et il fut même requis pour prêter ses lumières à Guernesey. Devant tant de générosité et de talent, Gilles Coupeau devint un fervent admirateur de l'artiste et un vernissage le jour du Beaujolais Nouveau 2015 fut décidé. Giaco et Coupeau: la paire allait faire des étincelles.


En attendant l'exposition, organisée par l'impeccable manager Pauline, à la Boulangerie Victor Hugo, Giaco s'était remis à peindre de plus belle et tout en continuant à créer des scènes de café son thème favori, il produisit une multitude de jolis dessins naïfs où les pastels avaient des vertus apaisantes. Entre temps hélas les attentats à Paris avaient fait des ravages. L'événement fut donc non seulement maintenu mais il eut un succès inattendu. La BBC et ITV en plus de 50 VIP et 200 personnes étaient présentes. Plus de doutes, Giaco était revenu à la lumière, certes au cours de circonstances sombres, mais ses couleurs triomphaient à nouveau comme à l'époque de ''L'Arte é un momento''.


 Hélas, peu de temps après cette nouvelle heure de gloire, un ridicule imbroglio entre propriétaires et l'arrivée soudaine du Brexit poussèrent Coupeau à mettre les voiles (4). Mais Giaco n'avait pas oublié que le centenaire de la disparition de Modigliani approchait. Il eut l'idée de raconter la vie du génie italien en tableaux ce que personne n'avait pensé à faire. Et si 2022 est enfin l'année du peintre de Southampton, on pourra dire qu'aucun aléa n'aura pu entraver la prophétie qui naquit en même temps que son tableau phare: ''Le Résistant Artistique'' sera plus fort que l'évanescence des temps.


1. https://www.instagram.com/giacoartanddesign/?hl=en
2. http://adrianboswell.com/
3. https://genesiskhan.wordpress.com/paintings/
4. http://welovewords.com/documents/there-was-a-dream-called-bvh
                                                                                                       2016
Illustration : ''Temptation''. Giaco.
Musique: Arnie Cottrell
https://www.youtube.com/watch?v=Edy_CEYN2M8
  • Bel hommage à un artiste que je ne connaissais pas !

    · Il y a presque 5 ans ·
    Gaston

    daniel-m

    • Bonsoir Daniel. C'est pas lus mal qu'il soit pas connu dans un sens vu ce monde d'imposteurs...je vous recommande aussi le lien musical si vous aimez le blues, un autre méconnu qui mérite mieux. Bien à vous.

      · Il y a presque 5 ans ·
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      enzogrimaldi7

  • A découvrir..

    · Il y a presque 5 ans ·
    Coquelicots

    Sy Lou

    • Je vous y inviter grandement. Et l'homme en lui même est un véritable gentleman comme on n'en trouve plus guère du côté de la perfide (et séparatiste) Albion...

      · Il y a presque 5 ans ·
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      enzogrimaldi7

  • Souhaitons que cet artiste ait un jour son heure de gloire. En attendant, tu lui rends un magnifique hommage.

    · Il y a presque 5 ans ·
    Oeil

    anne-onyme

    • Très juste. Suite â mes entretiens avec F. , ce texte apparut comme une évidence. Merci pour lui.

      · Il y a presque 5 ans ·
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      enzogrimaldi7

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