hein gust!

lanimelle

Hein gust!

Assise, habituée de la même table, on a jamais su de sa bouche ce qui c’était passé.

Il y a 4 ou 5 ans de ca, elle avait débarqué à l’impasse, le recoin le plus humide et sombre du village.

Elle avait amené cartons et enfants. On croit qu’elle venait de l‘autre coté, d’après ce qu’on dit, il parait qu’elle ouvrait pas sa porte.

On savait qu’elle était là parce s’échappait parfois de la musique en boucle aux travers des fenêtres sans double vitrage, du rock bruyant, mais personne ne reconnaissait la voix du chanteur!
C’était sombre là bas, le soleil n’allait jamais se fourrer dans ce trou du cul du monde, d’ailleurs il y avait bien qu’elle pour louer ca, personne n’en voulait, des années à l’abandon cette maison.

Il y a des voisins, oué je les connais ses anciens voisins, ils disaient qu’ils l’entendaient rire ou gémir, ca dépendait du moment de la journée, mais moi perso, j’l’ai jamais vu se marrer cette nénette.

Elle ressemblait à tout l’monde, on l’a taxée de sulfureuse parce qu’elle dansait le premier été ou elle est arrivée, à la guinguette du port, on a même dit qu’elle fréquentait la caravane en fin de nuit, quand le concert été terminé, quand ne restait plus que les loupiottes multicolores qui pendaient dans le vent et la nuit. J’ai même entendu dire qu’il l’appelait « Manon des sources »  la gazelle, quand elle tournait le pied nu sur la piste, mais il me l’a jamais dit en face, c’est les gens qui l’avait entendu lui parler, il l’avait approché dès le premier soir ou elle y était allée,  il parait qu’elle riait avec lui aussi, devant témoin, oué elle est spéciale celle là! Hein gust!

Et puis on ne la vit plus, j’ai même cru qu’elle était partie, ba, ca aurait rien changé tu m’diras!

Puis on m’a dit que ses enfants étaient encore à l’école, c’est vrai moi j’l’ai vu rentrer un jour, avec sa marmaille qui criait de vie dans les rues du village.

Et puis à une expo photo aussi, elle était là, on aurait même dit qu’elle connaissait bien le photographe, celui qui marchait le pied nu, la barbe blanche et pointue  ruisselante sur le torse, il était vieux et moche, il allait déménager, on a même vu des images qui ressemblaient à elle dans la vitrine avant son départ, mais on était pas sûr, parce que c’était un profil et on ne voyait que l’épaule jusqu’au front et puis c’est ses cheveux crépus couleur corbeau qui m’ont fait penser à elle, mais on était pas sûr parce que sur la photo elle avait un tatou d’un œil bleu, on aurait dit celui du photographe, mais quand elle marchait le bras nu, elle n’avait pas d’œil de tatoué! C’était peut être des trucs d’artistes, des mic macs de photos, un trucage ou alors c’était peut être pas elle, juste une fille  qui lui ressemblait.

Et puis un jour, il y a eu encore un autre bruit qui courrait, il parait qu’elle c’est réveillée un matin et qu’il y avait plein de pages avec des textes sur les marches de chez elle, un gazon noir et blanc de mot. Il y en a qui disait qu’elle l’avait rendu fou le vieux photographe, que quand elle ne lui ouvrait plus la porte, il pleurait sur les marches  et qu’il se serait vengé parce qu’il parait qu’elle écrit des trucs, sur internet, des trucs salasses où elle parle du corps et il paraît même qu’elle met des photos, mais pareil on en est pas sûr parce qu’on voyait pas sa tête, comme un puzzle avec des pièces manquantes cette gonzesse, on a jamais su si c’était vrai.

Un autre gust, c’est la mienne!

Puis encore une autre fois, on l’a vu marcher cette fois mains dans la main avec le psychopathe du village. Elle était étrange avec sa casquette, ses lunettes et ses silences lourds, on ne croisait jamais ses yeux, comme si elle ne voulait pas qu’on l’approche, il y en a qui disent que c’est peut être une snob ou qu’elle se donne des aires, des distances.

Mais on m’en a dit sur elle gust, que c’était une asociale, une femme aux mœurs légères, qu’elle se laissait approcher que par les hommes errant, par ceux qui trainent, qui passent, elle donnait même des gamelles aux Hadj, tu vois le truc gust? Donner à manger au sdf le plus fou de la planète! Vraiment tarée celle là!

C’était une pauvrette, elle se trimbalait avec des sapes trop grandes, puis elle a déménagé pour aller près du bon dieu pourtant on dit qu’elle est pas catho, je le sais par le gars du snack, c’était son ancienne maison, elle est partie là bas et lui il l’a suivi.

Je vais te faire une confidence, gust, une fois je l’ai vu, le soir, il faisait nuit, elle elle ne m’a pas vu, comme une balle qui rebondit la greluche, avec un écho de cm très haut, comme une femme d’ailleurs, moi j’l’ai vu, elle ne se ressemblait pas du tout, elle posait avec délicatesse ses talons aiguilles sur les pierres, en robe, oué moi j’l’ai vu élégante j’te dis, sans sa casquette, elle avait une crinière ébène, crépue comme une  black le matin, comme si elle savait pas s’coiffer. Ca m’avait laissé une belle image d’une femme qui passe. Des fois je réfléchie et je  me dis que finalement ca pouvait pas être elle, trop de différence, j’aurai quand même bien voulu savoir.
Remarque c’est peut être une pute, une pute de luxe mais qui travaillerai pas bien, parce que les putes elles sont riches normalement et qu’elle elle est pauvre et qu’elle ne traine pas sauf avec sa marmaille hurlante et ses appareils photos autour du cou et son vieux cartable au cuir usé.

Et puis il parait que quand le taré c’est installé chez elle, elle ne sortait que pour emmener les enfants à l’école.


Il parait qu’il la gardait comme un trésor. C’est comme ca que je l’ai entendu parler d’elle quand il était raide bourré dans l’bar d’en face, le cul par terre, il disait « c’est mon trésor » en boucle et puis si on le contrarié, si on lui disait que c’était juste une femme, il se battait,  faisait saigner de sa violence.

Il disait que c’était plus qu’une femme, il disait qu’il la protégeait de tout, des hommes surtout mais des femmes aussi, il disait que c’était un si grand trésor qu’on voulait lui la voler, mais si on lui disait qu’il faisait une crise de parano, il envoyait ses yeux et ses points dans la gueule de ceux qui osaient dire ca.

Il avait déjà défiguré plusieurs gonzesses, elles finissaient toutes à l’hôpital, il y en a même une qui a disparu!

Quand il la sortait pour aller chercher le pain, on aurait dit qu’il tenait en laisse sa chienne, c’était presque dérangeant de les voir comme ca, elle était là et ne disait rien derrière ses lunettes noires.

C’était peut être une défoncée, elle se droguait peut être, de toute façon elle pouvait pas être nette pour être avec un fou pareil!

Puis ca a duré longtemps quand même leur histoire, c’est la seule qu’est restée entière aussi longtemps dans ses bras, p’têtre pas aussi fragile que ca la p’tite muette! hein gust!

Moi je connais ses nouveaux voisins, ils m’ont confié que de la terrasse il n’y avait pas que les cris des enfants, ils disait que c’était lui qui lui parlait mal, des trucs comme « sale pute, tu écris comme une chienne qui attend de se faire mettre, t’allumes tout le monde rien qu’en marchant, tu remues ton cul comme une pute, t’as pas honte je passe pour quoi moi? Tu te rends compte de ce que tu me fais vivre? Tout le monde veux te baiser, sentir l’odeur de tes cuisses et jouer au con avec toi! Petit garce, t’as de la chance que je sois fou de toi, je devrai te laisser crever là, toute seule avec ta solitude, avec ta connasse d’encre, avec tes photos de peaux, tes délires de femme sauvage, de liberté, toutes tes histoires que tu ponds, tu crois que c’est normal ca? Tu crois qu’un mec fou de sa femme peut supporter cette trahison, t’écris des histoires qui ressemblent à des drames et pourtant t’as toujours le sourire, tu vois bien que t’es folle ma pauvre fille! …
« Allez vient là pleureuse, vient là, rampe, laisse tes yeux ils ne seront jamais que des charbons ardents, lâche ton stylo, rampe… »
Puis ca gémissait après, comme si il l’aimait.

Je crois qu’il était ensemble pour le cul, enfin c’est-ce qu’on dit, moi je sais pas trop.
Il parait qu’elle le regardait avec des yeux d’amoureuse le fou! il parait qu’elle lui parlait doucement, il parait qu’elle l’avait dans la peau, je savais que ca allait mal finir, moi, je l’aurai parié!

Je les ai vu un soir au bord du fleuve, assis, de dos,  ils fumaient, un nuage s’envolait de leur silhouette au dessus des fils tendus dans le ventre du Rhône. Elle avait sa tête contre son épaule, comme si elle aimait l’enfer, comme si il était son dieu.

Tu sais gust, j’ai un pot qu’est flic, il m’a dit qu’elle les appelait souvent, en pleur, en peur, elle disait qu’il dépassait les limites, qu’elle avait besoin d’aide, mon pot il lui a dit « vous avez qu’à embaucher un vigil ma p’tit dame, faudrait voir de pas avoir de mauvaise fréquentation !», ca m’a fait rire quand il me l’a raconter ça au bord d’un 51 bien frais, mais au fond gust, je savais qu’elle disait vrai, que ca allez mal finir…

Quelques jours plus tard, c’est ses voisins qu’on appelé les bleus. Ils l’ont trouvé chez d’autres voisins, cette fois elle ne les avait pas appelé. Ils l’ont vu dans l’embrasure de la porte avec ses gamins accrochés à elle, elle tremblait dans le peignoir blanc de sa voisine, mais elle leur à dit « ca vas maintenant, ca vas, merci, partez, il ne faut pas qu’il vous voit! », il arriva, elle lui dit dans le peignoir trop blanc aux bordures de sang, dans ce froid de 11 novembre 2009, « ce n’est pas moi, ce n’est pas moi qui a téléphoné», mon pot m’a dit qu’elle avait des grosses larmes dans les yeux mais que ca coulait pas, bizarre cette fille, pourquoi elle se taisait, il y en a qui ont dit qu’il a essayer de la tuer, c’est les voisins anonymes qui ont  prévenu les flics qui m’ont raconté qu’il entendait de la terrasse, « je vais te tuer salope, il n’y a plus que ca à faire, j’ai jeté tout tes textes et tu continues avec tes encres, tu continues à m’énerver, tu continues salope pourquoi? Tu me cherches je te jure que tu vas me trouver pour la dernière fois, j’irai pas en tôle si t’es en vie, tu crèveras avant.. » et puis après le blanc du silence, c’est pour ca qu’il ont appelé les keuf, ils croyaient qu’elle était morte cette fois mais non, elle est coriace quand même, elle a continué à emmener les enfants à l’école…

Dans le village on dit qu’elle l’a rendu fou lui aussi, qu’elle avait porté plainte et puis qu’il avait fini en tôle, remarque elle a fait ce que les autres n’ont jamais fait…en même temps elle l’avait bien cherché!!!

Depuis le premier jour ou elle est venu se planter là, elle prend la même table, on dirait une vieille avec ses habitudes mais elle est pas si vieille, on voit plus ses cheveux blancs ni ses cheveux noirs, elle est blonde maintenant, presque plus un poil sur le cailloux, plaquée comme le font les gouines, elle l’est peut être devenue, hein gust, tu crois pas?

Avec ses écouteurs qui laisse de la musique forte sortir, je me demande bien ce qu’elle peut écrire, en tout cas elle est pas causante, elle sourit pour dire « bonjour, un café allongé s’il vous plait », puis « aurevoir » quand elle règle les 1.20€.


Elle a des cahiers de couleur, elle écrit en noir, je peux te le dire moi gust, il y a des matins ou j’ai rien d’autre à foutre que d’là regarder, pas de client, juste elle, cette paumée silencieuse.

Un jour j’ai essayé de lui parler, de la pluie du beau temps, tu vois gust, des trucs de comptoir quoi, mais elle souriait sans répondre.

Pourquoi elle parle jamais, tu le sais toi gust ? C’est qui? je sais même pas son prénom, pourquoi elle a choisit mon bar, elle fait tache des fois, les jours de marché ou tous le monde rit, bois un verre entre amis, elle est toujours là, seule avec sa musique forte et ses cahiers d’écolière, elle a passé l’âge hein gust!!!!

Il se retourna pour prendre des glaçons dans le grand bac froid, des fois il se dit qu’il va l’accoster, dire un truc qui parle de livre, un truc qui pourrait l’intéresser, il voudrait qu’elle tombe en panne d’encre pour  pouvoir lui prêter son bic, puis il n’ose pas.

« AUREVOIR », les pièces sur le comptoir, sans savoir rien dire d’autre lui aussi il lui sourit.

 L’animelle

  • cool léo, merci koukie, ca fait un bien fou de voir que les lecteurs ne ressortent pas indemne de ce texte long, merci au saint pour le défi.
    l'animelle

    · Il y a presque 13 ans ·
    Lanimelle 465

    lanimelle

  • C'est en forgeant que l'on devient forgeron et c'est très certainement en écrivant que l'on devient écrivain. Il y a énormément de matière brute chez toi, des images qui saisissent, un vrai plaisir d'écrire et mieux que tout, une connaissance des travers de l'humain remarquable. Alors surtout continue !

    · Il y a presque 13 ans ·
     14i3722 orig

    leo

  • Te lancer un défi ?... C'est tentant. Je vais y réfléchir.

    · Il y a presque 13 ans ·
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    saint-james

  • cher saint, merci, merci, je t'avoue que la longueur je l'ai retesté hier, pas envie, tu m'as stimulé, j'aime les textes brefs qui concentre l'intensité, j'avais fais un roman bien nul à 16 ans "lors de mes profondeurs" (pour jouer avec le son!) et puis après j'étais passé aux textes courts...donne moi des défis, j'adore!!! ce qui me touche profondément c'est que tu as senti "le plaisir brut d'écrire", c'est comme si j'avais fait un bon plat et qu'à la faim on se regarde les yeux repus de saveurs!!!! oui il faut que je me relise et non t'es pas casse couille, peut etre es tu celui qui m'aidera à savoir tenir les reines de ce cheval fou d'écriture qui es en moi...

    · Il y a presque 13 ans ·
    Lanimelle 465

    lanimelle

  • Tu nous offres enfin un texte plus long (et avec photo !). Bon, je vais encore jouer mon rôle de casse-couilles en te disant de te relire (surtout pour un texte long). J'avais un peu peur que tu perdes ton souffle sur la longueur, mais non. La respiration du texte est juste. Le soliloque du personnage file droit. Tu jettes toujours pêle-mêle éléments autobiographiques et fiction. C'est franchement réussi. On ne se sent jamais "voyeur". Il n'y a pas d'impudeur maladive. Tu te sers de ta propre expérience comme un matériau que tu forges pour façonner un objet nouveau et beau. Trop d'auteurs considèrent l'écriture comme une thérapie et c'est franchment chiant à lire. Je ne suis pas psy. J'aime trop l'écriture pour considérer que ce n'est qu'un outil cathartique. Et, justement, dans ton univers ce que j'aime, c'est que l'écriture est au centre. Ton texte recèle plusieurs belles pépites. On sent le regard de diamant malicieux, le plaisir brut d'écrire. Et on le partage. Bravissima.

    · Il y a presque 13 ans ·
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    saint-james

  • merci maria!! le mystère fascine et dessert souvent ceux qui le porte!!!mais effectivement il permet la rêverie à volonté!!

    · Il y a presque 13 ans ·
    Lanimelle 465

    lanimelle

  • merci minou! moi j'aime les histoires d'humains!

    · Il y a presque 13 ans ·
    Lanimelle 465

    lanimelle

  • Je dois dire que ce récit m'a tenue en haleine jusqu'à la fin ... C'est bourru, franchouillard, réaliste, et bien écrit ! Bravo

    · Il y a presque 13 ans ·
    Tourbillon 150

    minou-stex

  • tant que ce que j'écris peut résonner quelques part dans les yeux des lecteurs, ca me play!merci edwige

    · Il y a presque 13 ans ·
    Lanimelle 465

    lanimelle

  • Je trouve que vous avez très bien su rendre ce regard paradoxal, d'intérêt et de curiosité distante des ambiances de voisinage, qui contraste avec la douleur que vit cette femme, aux yeux de tous, mais demeurant un mystère... la contemplation d'une cruauté du quotidien ? cruauté de celui qui vit douloureusement et aussi de celui qui regarde ? mais sans qu'aucun n'apparaisse avec le beau rôle, c'est impudique et pudique à la fois... une belle façon d'aborder les violences conjugales, et de décrire les contradictions de l'entourage... je suis peut-être un peu embrouillée... bref cela m'a touchée ! merci !

    · Il y a presque 13 ans ·
    Camelia top orig

    Edwige Devillebichot

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