Histoire brève

Marion Danan

Toute ressemblance avec des personnages existants n'est absolument pas fortuite. Texte basé sur des faits réels.

Jeudi, 5ème jour de vacances. Comme les précédents, la question cruciale qui va mobiliser l'énergie de tout le monde est « qu'est-ce qu'on va manger ? ». Fines gueules, le sujet est d'importance. Remobilisation des esprits, aujourd'hui le marché est à Preuilly. Petit déjeuner avalé, bottes chaussées, voiture démarrée . 12km de Monk pour aller chercher notre butin. L'humeur est soyeuse malgré l'été qui tarde.

On se gare devant Coiffure Brigitte, déjà la place fourmille de quelques bobos locaux mais surtout des frétillantes autochtones à la mise en plis impeccable : ce weekend end c'est le 14 Juillet, le bal et le feu d'artifice, unique occasion de ressortir l'artillerie.

Pintade, saucisses, tomates bio, Sainte Maure frais… on mérite un café. Pas de terrasse, il commence à pleuvoir, on s'installe au comptoir. Derrière nous Raymond et Roger, petite soixante dizaine commandent leurs 3ème déca.

«-Jte dis qui m'fait le même prix  pour le déca !

-ah bon t'es pistonné toi ? t'as des relations ?

-Pfff..Oh Eric dis-y que le déca c'est le même prix…i croit que je le vole !!!»

Eric, derrière le bar, ne bronche pas…

Raymond reprend:

« -Tu l'as vu ? pffffiou….Non ? Tu l'as pas vu son décolleté ?

-Et si !…Elle a toujours chaud…elle a le sang bouillant la Marie…

-Ah ça ! ça doit pas sentir le moisi ! »  s'esclaffe Raymond…

Au concours de graveleux, Roger n'est pas en reste.

Impossible de faire autrement, même sourd ou dans une autre langue, la vanne est bonne, on rit avec eux. Du coup Roger se lance :

« - Dis dans le genre qui donne chaud, l'infirmière est venue, elle m'a fait sa p'tite couz, j'ai rien senti ! Une vraie pro !

-ah les pro ça court pas les champs… » lâche Éric sans faire tomber le verre qu'il essuie.

Raymond, branche :

« -Ah toi c'est sûr que t'en es un de pro… et tu chantes pas aujourd'hui ? 

-Qu'est ce qui chante ? » demande Roger comme s'il venait pour la première fois…

« -Quand il est bourré i chante, mais que quand il est bourré, comme les vrais chanteurs…hein c'est vrai les vrais chanteurs i doivent boire pour chanter ! Eric, i chante Aznavour, Johnny, Sardou…ah ça i chante pas Piaf ! »

Éric, avec l'aplomb pincé d'un Bernard Blier , se justifie :

« C'est pas ma tonalité, c'est pas ma tonalité hein ?! »

Le fou rire nous gagne, on participe.

« Il est toujours comme ça ? »

Éric se venge :

« Raymond? non, là il est grande forme, d'habitude il a toujours mal quelque part… le dos, les jambes, le ventre…ah par contre, il a jamais mal à la gueule hein ?! »

On est en plein spectacle… Audiard a dû en vivre mille des comme celle-là. Si on reste c'est l'embuscade, le Ricard va remplacer le déca et la poire servira à noyer la pintade ;comme on a rien de polonais, on choisit de fuir. Lâches.

Retour au bercail, s'agirait pas d'oublier l'essentiel.

Il y a un feu à démarrer, une mayo à monter et du basilic a ciseler. On ouvre une bouteille, on met la musique. La cuisine fait gzzzzz, clop clop, brrrrrr,… Ça sent l'ail, le feu de bois, l'huile d'olive…on ouvre une 2ème bouteille.

Le repas est prêt. On s'appelle pour le repas en chantant… « allez venez Milord vous assoir à ma table ».

Il a raison Raymond, faut être un peu bourré pour chanter… même dans sa tonalité.

 

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