Histoire d'amour à quatre ronds

le-fox

La scène est sur un lac. Enfin, un lac ; plutôt un trou d’eau. Une sorte de grande piscine pas propre, aux berges ombragées de feuillus non répertoriés et à moitié crevés, d’ailleurs ça sent le pourri. Sur cette dégueulasserie glisse un esquif de taille mesquine, dans lequel on peut tout de même tenir à deux, parce que c’est essentiel pour la suite. Sans trop gigoter, sinon, c’est la baille direct.

Sur l’esquif, on peut voir (si on a que ça à foutre) Gontran godiller, et Priscilla rêvasser en tripotant un ouvre-boîte pour se donner une contenance. En fait, au lieu de godiller, Gontran aimerait bien lui faire des propositions cochonnes, à Priscilla. Mais c’est une prude, toujours prompte à frôler l’évanouissement dès qu’on aborde le sujet. Pour la mettre à l’horizontale, faut ruser. Là, il ruse : d’abord le coup de la barque, et Dieu sait si c’est chiant, ensuite, petit verre de Suze-cass vite fait pour le réconfort, c’est pas bon la Suze, mais ça fait raffiné, et pour finir, échange de morpions sur la banquette arrière de la Béhème. Si tout se passe bien.

Priscilla rêvasse en tripotant son ouvre-boîte. Elle ne perçoit pas, dans son âme pure de presque vierge (la première fois ça comptait pas), le sinistre crouitchement des gros sabots de Gontran qui progressent vers leurs noirs desseins. Elle jouit du spectacle d’un solipède paissant dans le frais cresson bleu, les pieds dans les glaïeuls. Il ne lui en faut pas beaucoup.

Devant tant d’ingénuité, intérieurement Gontran ricane. Il faudra bien qu’elle se dessale, la petite. C’est qu’il compte bien la mettre aux asperges, si elle se révèle douée dans  l’apprentissage du sucre d’orge à roulettes. Il lui trouvera bien un coin de trottoir, entre deux becs de gaz. A la place de la grosse Olga, tiens. Et puis la grosse Olga, au rancart. De toute façon il faut qu’elle se recycle, les ménages ou autre chose, vu les déroutes qu’elle se collectionne au tapin.

Mais voilà la pluie qui tombe en gouttes grand format, et Priscilla frissonne, et Priscilla chougne.  La pluie : l’ennemie mortelle du hareng qui emballe, quand il n’y a pas de bistro à portée de main pour s’y abriter. Pour aujourd’hui, ça sent la bérézina, et Gontran replie ses écailles. On verra plus tard. Gentleman tant qu’il n’a pas encore touché à la fesse convoitée, il raccompagne la donzelle, un gros regret niché au creux des miches.

Rentrée chez elle, Priscilla esseulée se tripote en rêvassant. Mais où est donc passé son ouvre-boîte ?

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