Histoire d’occasion

Hervé Lénervé

Une petite histoire sympa pour illustrer l’ethnométhodologie des habitudes de nos vies intimes.

Cette histoire, je la tiens de troisième bouche. Elle me fut racontée par un ami, qui l'avait entendu d'un ami, qui l'avait lui-même écoutée de la voix d'une connaissance qui connaissait l'homme à qui elle était arrivée. Je vous la livre ici et vous serez donc, la quatrième oreille. Entre tous ses esprits en qui elle fit écho, il faut s'attendre à ce qu'elle ait été un peu altérée par les projections que chacun y aura mises en chemin.

C'est l'histoire d'un jeune homme fraichement marié, un débutant de la vie conjugale, en somme. Comme souvent et comme, dit à la mairie, on se marie pour le meilleur et pour le pire et généralement dans cet ordre, mais parfois le pire vient en premier.

Ce jeune homme travaillait dans une Entreprise à l'horaire fixe, il avait pris l'habitude, quand il rentrait plus tôt chez lui, de toujours prévenir sa femme qui ne travaillait pas. C'était une plaisanterie entre eux, car il n'avait jamais eu de raison de douter de la fidélité de sa jeune épouse, disons que c'était leur habitude et elle faisait rire, les deux. Evidemment, ils s'aimaient comme des tourtereaux, c'est souvent le cas, de nos jours, quand on se marie pour, prétendument, la vie entière.

Or un jour, qu'il revenait de bonne heure à la maison, il oublia de téléphoner à sa chérie, eh, oui, les portables n'existait pas encore dans ces temps-là, le croirez-vous ? Sur le chemin du retour, au volant de sa voiture, il se rendit compte de son omission, il en sourit, mais un sombre pressentiment ternit sa joie de serrer dans ses bras sa tendre, plus tôt que l'heure règlementaire. Quand il gara sa voiture devant son pavillon qui sentait encore la fin de chantier, des pensées parasites avaient fait leur travail de sape et il était morose sans raison particulière de l'être. Il se définissait comme une personne peu encline à la jalousie, du moins le croyait-il encore. Mais déjà, contrairement à ses usages, il ouvrit la porte de son doux foyer avec ses clés, voulait-il faire une belle surprise à sa jeune épouse. Pas de signe de vie à l'intérieur de la maison, seulement une bonne odeur de cake qui se prélassait en se faisant bronzer au four. S'il prit, à présent, les précautions d'un cambrioleur pour monter à l'étage, la joie de surprendre au débotté son épouse dans sa vie domestique, n'y était plus pour rien. Son cœur était oppressé, ses pensées malsaines. Il monta silencieusement directement à la chambre conjugale et bien sûr ce qu'il vit lui déplut. C'est le moins que l'on puisse dire, quand votre cœur se déchire au-delà de toutes déchirures. Il vit dans son lit, leur lit, le lieu de leurs ébats amoureux et de leurs sommeils attendris, deux paires de pieds, dépassant des draps. L'une masculine, l'autre féminine, il va de paires. Là, lui, qui se croyait à mille lieux de la jalousie, la ressentit dans ses chairs, dans son échine, dans son être brisé, dans son âme en lambeau. Est-ce le même homme qui s'empara de la batte de baseball qui traînait là, en décoration sportive et s'acharna comme un forcené sur les deux corps allongés sous les draps. Combien de coups portés, combien de fois arma-t-il ses bras pour frapper comme un dément les dormeurs ? Nul n'en tint le compte, seul le sang maculant les draps s'en rappelle, peut-être.

C'est un homme brisé qui redescendit mécaniquement l'escalier, sa batte marquant le pianissimo du requiem sur chaque marche. Il n'avait plus ses esprits, tout était parti ailleurs, tout avait fui, il n'était plus qu'un zombie à effrayer vos terreurs, le regard hagard, les yeux vide de présence, exorbités par la démence. Il s'affala sur le sofa, sa batte glissa de son poing et s'affala de même, sur la moquette pour elle. Il resta là sans vie, sa vie l'avait quitté et c'est dans cette hébétude qu'il vit la porte d'entrée s'ouvrir et sa tendre Joie lui sourire, radieuse, belle comme le premier des jours, les bras chargés de courses alimentaires.

-         Oh, tu es déjà rentré, mon Amour ! Tu as dit bonjour à mes parents ! Lui, sourit-elle.

L'homme s'appelait Rodrigue, la belle, Chimène.

Embrasser vos femmes, vos époux ! Chérissez vos enfants et économisez vos parents ! Bonne journée, les ami(e)s !

  • Euh, perso je nous verrais plus en 2052...à l'heure de "Minority Report" so good

    · Il y a plus de 6 ans ·
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    flodeau

    • 2052 rien que ça ! 2052, pour moi, ce n’est pas de l’anticipation, c’est de la crémation.

      · Il y a plus de 6 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

    • Oui certes...de la crémation à l'anticipation..pas un roman, la réalité...

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      flodeau

    • On meurt tous, on ne va pas un faire tout un plat. Hop, juste une petite crémation à thermostat 12 pendant 110 minutes.

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Hervé Lénervé

  • Brrrr !!! :o) Entre Stephen King et Feydeau, c'est glauque :o]

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Gaston

    daniel-m

    • S.K. peut être ? Feydeau, j’sais pas ? mais glauque, pour sûr, ça l’est !

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Hervé Lénervé

  • moi j'ai le même genre d'histoire mais vraie... un prisonnier de guerre revient chez lui (à la LIbération) sans avertir quiconque (croit-il). Mais son épouse a été prévenu par la Maire du village ; elle décide de faire son plat préféré, de nettoyer toute la maison de fleurir les jardinières de mettre sa plus belle robe... Le mari donc la surprend en cet état sans qu'elle s'en aperçoit et en conclut rapidement que 4 ans d'absence elle l'a oublié avec un autre ; elle l'a cru mort peut-être, le courrier disparaissait souvent ; alors il a rebroussé chemin et est parti sans poser de question...

    · Il y a plus de 6 ans ·
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    Marcus Volk

    • Triste ! Si tragique que cela en est comique, (pour les autres).

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Hervé Lénervé

  • Comme quoi faut jamais prêter son lit à la famille :)

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Philippe effect betty

    effect

    • Un lit, ça ne se prête pas, ça se partage !

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Hervé Lénervé

  • gé-nial ! un tres grand et sincère bravo et merci à vous / toi

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Autoportrait(small carr%c3%a9)

    Gabriel Meunier

    • MERCI ! Mais c’est un peu exagéré, je ne mesure qu’1 mètre 66 au dernier recensement.

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Hervé Lénervé

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