J'ai 25 ans et je suis moyen (suite)

anonymeparisnord

C'est la suite, mais pas la suite directe. Un autre passage.

Rive Gauche

Cela fait déjà vingt minutes que je suis assis sur ce canapé en cuir de vachette plutôt confortable, au milieu de deux connasses qui discutent de leur voyage en Afrique, de ce voyage qui a changé leur vie. Autour de moi se trouve la crème de la crème française, des petits Charles-Henry qui parlent de fringues, de voyages humanitaires, du Boulevard Saint Germain et de Fréderic Beigbeder, leur idôle. J'ai envie de vomir. Je m'emmerde tellement. Tout le monde s'auto-congratule sur le super boulot qu'il a décroché ou sur le concours qu'il a réussi ou sur la fille qu'il a réussi à marier. J'ai le sentiment d'être au beau milieu d'une masturbation intellectuelle généralisée. Chacun y va de son argument sur la politique ou l'économie. Le moment de jouissance vient quand l'un des ces types arrive à placer la citation d'un illustre philosophe allemand. La soirée ressemble à un Trivial Poursuite géant. Toutes les discussions sont des testes déguisés. Si tu réponds juste, tu peux continuer la soirée. Si tu réponds faux, tu es catalogué comme une merde sans culture et tout le monde te montre du doigt. Si tu es très doué tu peux obtenir le « camembert », c'est à dire la fille de la soirée que tout le monde convoite mais que personne n'a jamais baisé. J'ai envie de me lever et de courir vers la fenêtre la plus proche pour me défenestrer.

Je suis toujours noyé sous les paroles de ces deux filles. Tous les clichés y passent sur son voyage humanitaire du mois de juillet, les photos avec les petits noirs qui jouent avec un pneu dans la boue puis qui courent derrière la Jeep. Le meilleur est pour la fin quand elle regarde son amie droit dans les yeux et lui affirme « Tu sais maintenant, je ne suis plus la même. Voir tant de souffrance, mais aussi tout le bonheur que je peux apporter à ses gens, c'est magnifique. Je me rends compte qu'on est trop matérialiste ici, tu vois ? Là-bas ils ne sont pas comme nous » dit-elle en écrivant un texto. Pourquoi payer pour faire de l'humanitaire ? Je ne comprends vraiment pas. Probablement qu'on ne sait plus comment enculer les gens alors on les fait payer pour qu'ils puissent aider les autres. Aider des peuples défavorisés en leur envoyant tous les été la moitié de Versailles n'est pas l'idée la plus brillante. Le voyage humanitaire est une façon pour les occidentaux de faire une cure. C'est comme aller au Zoo, on y cherche l'insouciance, la naïveté et l'optimisme. On cherche tout ce que nous ne sommes plus. L'Afrique et tous les pays peuplés de (très) pauvres seraient comme un divan géant de psychologue prêt à accueillir tous les névrosés de l'Occident en quête de résurrection. Evidemment, à ce moment là n'importe qui pourrait me dire « Et toi petit merdeux ? Qu'est-ce que tu fais pour aider les autres ? Nous au moins on essaye ! ». Certes, mais alors pourquoi tu ne regarde même pas le clodo de ta rue ?

Les deux connasses finissent par changer de sujet. Finis l'Afrique et les bienfaits de la pauvreté sur la bourgeoisie occidentale, elle parle maintenant du problème qu'elle a avec son « copain ». Je l'écris entre guillemet car elle-même le prononce en faisant le signe entre guillemet avec ses doigts pour que sa copine nettement moins attractive comprenne bien qu'elle parle de son plan cul. Je suis bloqué au milieu de ces deux pauvres filles à devoir écouter leurs problèmes. Son plan cul ne souhaite apparemment pas s'engager dans une relation durable avec elle, quand bien même ce dernier prend beaucoup de plaisir à se la taper de temps à autre. Sa copine semble passionné par cette histoire, ou plutôt elle semble vivre par procuration des expériences qu'elle ne doit pas connaître. J'ai envie de leur dire la vérité mais elles pourraient ne pas la supporter. Si son « copain » ne souhaite pas s'engager avec elle, c'est sans doute parce que cette fille est plus agréable quand elle ferme sa gueule.

Je finis par me demander si ces deux filles ont remarqués ma présence. Je ne sais pas de quoi parler avec ces gens. J'ai peur qu'ils parlent opéra, scoutisme, littérature classique, grande école, dimanche à Versailles ou encore qu'il me demande ce que je fais de mes journées. Je repense à la chanson Sous le signe du V de Klub des Loosers, je rigole discrètement dans mon coin. Tout semble être en accéléré autour de moi. Je suis stoïque sur ce canapé, spectateur de cette soirée qui ne me concerne pas où personne ne m'attend ni me remarque. Comme un idiot, j'avais fait un effort en portant mon sweat de soirée. Mon sweat de soirée c'est le sweat que j'ai acheté plus de 50 euros. Il est beau et original. Je veille à en prendre soin à chaque fois que je le porte et encore plus quand je le range. Je ne peux pas le porter trop souvent sinon je passe pour un con. Je le garde donc pour les grandes occasions. Ce soir n'est pas une grande occasion, c'est une soirée de merde mais je suis toujours célibataire. Les filles ici sont toutes pareil : blonde ou brune, cheveux long avec une barrette, jupe ou short noir, collants noirs, veste noire, chaussure noirs à talons et regard vide à cause de la coke. Elles cherchent des hommes médecins, architectes ou avocats. Dommage. Je suis simplement le type qu'elles trouvent drôle de temps à autre, parfois mignon mais je n'ai ni fait HEC ni Science Po. Quelle bande de peigne-cul de la Rive Gauche.

Je remarque un groupe de garçons accoudés à ce qui semble être un buffet pour personnes bien élevées : champagne onéreux, petits fours couverts de saumon et ornés d'une tapenade étalée de façon parfaitement équitable. A croire qu'il est normal de demander à quelqu'un d'étaler la même quantité de tapenade sur chaque toast, ainsi que la même quantité de saumon fumé. Néanmoins, c'est gratuit alors pourquoi s'en priver. Mon seul risque est de passer pour quelqu'un qui ne sait pas déguster, c'est à dire quelqu'un qui a faim. Je me lève et décide de déserter ce canapé au profit du buffet gracieusement offert. Après avoir bu deux coupes de champagne et englouti une dizaine de petits fours, les jeunes d'à côté remarquent ma présence et surtout un. Cet homme porte un pantalon en toile beige de chez Ralph Lauren, une chemise bleu de chez Ralph Lauren, une ceinture en cuir marron de chez Ralph Lauren et des chaussures en cuir marron de je ne sais qui. Ses cheveux sont impeccablement coiffés avec une légère mèche vers l'arrière et la blancheur de son sourire est à la limite de me provoquer un décollement de la rétine. Il parle avec aisance, la main gauche dans la poche pour mettre en valeur la grosse montre en argent de sa main droite. Il s'avance vers moi :

- « Salut mec. T'es un ami de Soshanna ?

- Je suis invité par Rémy.

- Qui est Rémy ?

- Rémy c'est le type assis de ce côté, les jambes croisées avec le Cosmopolitan dans la main.

- Il est marrant non ? C'est un ami de Soshanna ?

- Non c'est un ami de Marc.

- Qui est Marc ?

- Le type qui sa main sur la cuisse de Rémy.

- Ha, je vois. Vous êtes amis ?

- Rémy est mon pote. Et vous alors ? Invité par Soshanna ?

- Non, nous sommes des amis de Charles.

Bordel, mais c'est quoi cette soirée ! C'est qui Soshanna putain ?

- Qui est Charles ?

- Le type qui paye cet appartement.

- Je vois. Tu fais quoi dans la vie ? »

Je m'en fou complètement de ce qu'il fait dans la vie. Il est surement trader, médecin ou vendeur de cuisines. Vous voyez de quoi de je veux parler, ces magasins de cuisines de luxes qu'on trouve un peu partout avec ce type au fond qui passe sa journée devant son ordinateur à attendre qu'un couple de jeunes mariés se pointe. C'est la même chose avec les galeries d'art. Peut-importe. Je saisi mon téléphone pendant qu'il continue de me raconter sa formidable vie de couple à Courbevoie. Je cherche dans un premier temps le numéro de Rémy, qui est dans la même pièce que moi.

« Rémy, c'est vraiment trop à chier ici. On se croirait à un diner de chasse pour consanguins anonymes. Je vais demander à Lens de passer. »

Rémy me répond dans la foulée en me jetant un regard très noir, je lis le message :

« Arrête, Lens va se battre avec quelqu'un c'est évident. Je passe une bonne soirée, fais un effort s'il te plait. Essaye de discuter avec eux… »

Merde. Il a raison, je suis peut-être un peu trop négatif. Tous ses gens ont surement un bon fond. Je devrais faire un effort pour m'intégrer. Il serait temps de suivre les conseils de mon psy. Mon interlocuteur semble percevoir un certain ennui chez moi :

- « Mec, t'as l'air de te faire chier non ?

- Non du tout ! C'est très sympathique ici, je suis simplement un poil fatigué.

- Je comprends. Dit-il avec un regard complice. Dure semaine de boulot !

- Je n'ai pas de boulot.

- Ha…Tu veux taper ? Pour te motiver un peu. »

- Je ne sais pas trop, ça fait longtemps… »

Je n'ai jamais pris de coke de ma vie. Que faire ? Merde, peut-être est-il temps que je vive comme les autres : me droguer, coucher avec n'importe qui et rentrer à neuf heure du matin. Je deviendrais un mec cool et populaire. Peut-être même que je pourrais devenir capitaine de l'équipe de foot. De toute façon que me reste-il d'autre ? Je suis seul, je n'ai pas de boulot, pas de meuf et je picole déjà pas mal. Comment un peu de coke pourrait aggraver ma vie ? C'est vrai que en temps normal je méprise les camés, leurs yeux vitreux et leurs bégaiements. On a le sentiment qu'ils ont perdu des bouts de cerveau à force d'afters de forcenés et de l'abrutissement général. Ils sont tellement lourd les cokés, ça se croit le meilleur et ça s'écoute parler toute la soirée. Oui mes grands, la vie c'est dur.

Je me pose tout de même la question. Quels sont les points positifs à prendre de la coke maintenant ? Me faire des amis ? Assurément, même si dans une semaine ils m'auront oublié et moi de même. Passer une bonne soirée ? Il est vrai que je m'emmerde grave et que mes journées sont insignifiantes. Surement parler à des filles avec autre chose que l'assurance d'un hamster. Je suis tiraillé. Si je prend de la coke je vire du mauvais côté de la barrière, celui des connards arrogants qui se prennent pour les maîtres du monde. Finalement je me dis que l'aventure c'est dangereux, mais la routine peut-être mortelle.

- « Et puis merde. Allez envoie. »

Plusieurs minutes plus tard après avoir « sniffé » pour la première fois dans une chambre, je ne ressens toujours rien. Je m'attendais à quelque chose de plus fou. Je ne comprends pas. Rien ne se passe. Ne devrais-je pas être réveillé ? Audacieux ? Bavard ? Danser sur une table sur une musique que je déteste ? Je ne ressens plus rien. Je retourne dans la pièce principale de la soirée, personne ne semble avoir changé. Mais pourquoi tout le monde se coke la gueule à un prix délirant pour si peu ? Je discute vaguement avec des gens et je me rends compte que c'est ça l'effet de cette drogue. Ce n'est pas pour voir des lapins géants s'enculer, ni pour ressentir quelque chose de particulier. C'est pour ne plus ressentir tout ce qui pèse sur nos épaules, pour lisser nos vies, les rendre moins misérables en oubliant qui on est réellement. 

Je ne ressens plus rien, je ne sais pas si je suis heureux ou triste, en forme ou fatigué. Je ne réfléchie plus, j'agis. Toutes les émotions qui habituellement font de moi une merde mais aussi un être humain ont disparues. Je ne ressens plus de gêne, de honte, de retenue ou encore de peur. Tout semble plus lisse, plus abordable. La coke agit comme un bulldozer qui élimine toutes nos imperfections, mais seulement dans nos têtes. J'ai envie de baiser.

  • Un très bon moment de lecture qui me renvoie des années en arrière. Je suis drôlement contente d'avoir vécu mes 25 ans et de les avoir laissé derrière moi. Encore encore !!!
    (Peut-être une relecture pour corriger qq tournures ou fautes ? Si tu veux, je corrige). A bientôt

    · Il y a environ 10 ans ·
    Avatar

    nyckie-alause

    • Oui une relecture n'aurait pas été de trop. Merci pour ce commentaire très positif. Je vais continuer.

      · Il y a environ 10 ans ·
      Haha

      anonymeparisnord

  • merci de m avoir informée de la mise en ligne de ce passage. Toujours cette écriture qui maintient l intérêt du lecteur, les situations qu on voit, je trouve toujours que vous avez un talent pour ça. J ai tendance à trouver ça un poil trop cynique, trop caricatural, que ça manque un peu de finesse, surtout dans la description des "riches"...maintenant, on comprend aussi que c est la perception particulière du narrateur, et que c est pour ça qu il voit un psy, ? ;-) Continuez en tout cas, je vous lirai avec plaisir :-)

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Zen

    marjo-laine

    • Merci beaucoup. Vraiment. La question est maintenant de savoir ce que je vais faire de tout ça.

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Haha

      anonymeparisnord

  • Sympatoche ce passage :)
    C'est drôle ça me fait penser aussi à Salinger (enfin le seul livre que j'ai lu de lui, l'Attrape cœurs). Bref, j'aime & j'en veux bien encore :)

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Cat

    dreamcatcher

    • Merci beaucoup ! La suite est toujours sur mon PC. Ca commence à être long.

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Haha

      anonymeparisnord

  • Pas mal du tout cette partie! j'ai l'impression à certain passage de lire du JD Salinger. Bon il y a quand même des fautes à corriger, des petits oublis de mots aussi, mais rien de grave!

    · Il y a plus de 10 ans ·
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    jasy-santo

    • Oui moi et la relecture..; Merci de votre retour ! Toujours bon à prendre ! C'est la suite de l'autre grande partie...

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Haha

      anonymeparisnord

  • c'est plein de désinvolture et de cynisme, j'adhère :)

    · Il y a plus de 10 ans ·
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    valulea

    • Merci beaucoup ! N'hésitez pas à jeter à l'oeil à l'autre partie ;)

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Haha

      anonymeparisnord

  • J'aime beaucoup !

    · Il y a plus de 10 ans ·
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    parismrs

    • Merci 1000 fois. C'est une autre partie du début de roman que j'ai posté... MERCI

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Haha

      anonymeparisnord

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