J'ai oublié

  J'ai oublié l'odeur de la pluie qui tombe sur un sol chaud. L'eau qui perle sur mes longs cheveux bruns. J'ai oublié la sensation de l'eau ruisselant sur mon corps, tombant dans le creux de mes reins, glissant jusqu'à s'écraser sur le sol.

  J'ai oublié le chant des oiseaux le matin, au printemps. C'est fou ce qu'il apaise. J'ai oublié les matins frais où j'avais besoin de remonter la couette jusqu'à mes épaules dénudées.

  Je ne me souviens plus de l'odeur d'un gâteau au chocolat qui sort à peine du four. Ni l'envie qu'on a, de le goûter, alors qu'il est encore brulant. Je n'arrive plus à me remémorer l'odeur du poulet au curry, de la mangue et du saumon fumé. Ni même le sel ou le poivre. Plus rien.

  Je ne sais plus ce que ça fait, de se maquiller et de se coiffer devant un miroir. De se contempler dans une jolie robe de soirée, prête pour aller danser. Je ne saurais plus dire à quoi ressemblait mon parfum. Son odeur ne me revient plus.

  J'ai cessé de prendre soin de moi, depuis que tu es parti. J'en ai oublié les sensations de vivre. La peau qui pique au moindre frisson. Le cœur qui s'emballe à la vue d'une de nos photos. Les joues rougissantes, quand je suis incapable, dans mes songes, de ne plus penser à ton rire.

  Est-ce que c'est normal, dis-moi, si je me rappelle de la couleur de tes yeux? Tes yeux si bleus, et si beaux que j'aurais pu plonger dedans sans jamais y ressortir? Est-ce que c'est normal si quand je vois une feuille blanche, la première chose que je dessine, c'est ton rythme cardiaque que je ne connais que trop bien, pour avoir passé toutes mes nuits, l'oreille contre ton torse? Est-ce qu'au moins c'est possible,  de me souvenir de tous les endroits où ton corps est marqué de grains de beauté?

  Fermer les yeux pour être dans un monde ailleurs. J'en avais oublié la sensation des paupières lourdes de chagrin. Des yeux qui collent et qui pourtant, voudraient tant pleurer. D'un cri qui s'étouffe au fond de ma gorge, que je pourrais seulement transmettre à un oreiller. J'ai oublié combien je me sentais seule quand chaque fois que je ferme les yeux, personne n'est là pour me chuchoter que je suis belle, quand je dors. Je ne me souvenais plus que Morphée pouvait être aussi cruel, de ne pas abréger mes souffrances, en me plongeant dans un sommeil éternel.

  Alors, en sortant de mon lit, après trois mois sans vivre, j'ai eu envie de me rappeler d'une sensation échappée. J'ai fait des cendres, de nos photos de vacances d'été. J'ai cisaillé le corps d'un pauvre ours en peluche. J'ai balancé tes fringues dans un feu en colère.

  Et après ça? J'ai récupéré chaque cendre. Chaque miette de notre pénible histoire. J'ai rendu à la nature ce qu'elle nous a offert : nous. J'ai dispersé toutes les cendres de notre histoire, dans la mer.

  Plus rien ne me relie à toi, désormais. Et si peu à peu je retrouve des sensations qui m'étaient devenues totalement étrangères, la prochaine sensation que je veux vivre, c'est celle d'être à nouveau heureuse. Sur un chemin où tu n'y seras plus, désormais.