Jalouse d'elle

Mathilde Sellami

Encore une fois, elle est au centre de toutes les attentions. Léa, ma petite sœur. Depuis sa naissance, je suis devenue comme invisible aux yeux de ma propre famille. Elle est plus belle, plus intelligente. Elle réussit là où j'échoue.

La maison de mes parents est devenue un véritable temple dédié à leur fille adorée.  Sur les murs, pour une photo de moi, il y en a dix d'elle.

C'est mon vingtième anniversaire et ma mère a réuni quelques invités pour fêter l'événement. Sauf que  c'est elle que l'on regarde, elle que l'on écoute.

- Au fait Léa, j'ai appris pour ton bac. Mention très bien, félicitations. dit ma grand-mère en tendant une enveloppe à ma jeune sœur.

Normalement, les cadeaux, devraient être pour moi non? Moi bien sûr, je ne suis pas allée aussi loin dans mes études. J'ai fait un cap d'esthéticienne pour finalement atterrir caissière dans un supermarché. Léa, elle va sans doute devenir médecin...

 Cela faisait plusieurs mois que je n'avais pas vu ma famille et j'allais mieux, mais là tout de suite, je ressens encore ce profond sentiment de haine. D'après mon psy ce n'est que de la jalousie. Une jalousie maladive qui me détruit. Mais comment devrais-je prendre le fait qu'ils me traitent tous comme une moins que rien, sous prétexte que madame est mieux que moi? Je la déteste, ma vie aurait été bien plus belle si elle n'était jamais venue au monde.

Pour me calmer un peu, je sors dehors fumer une cigarette.

- Ah tu vas encore t'intoxiquer! Ta sœur au moins, elle n'a jamais commencé. s'exclame ma mère.

Et ça continue. Prendre l'air et vite.

La fumée envahit mes poumons et je me détends un peu.  Avant j'aurais pleuré, mais maintenant je ne ressens plus que de la colère face à toutes ces injustices. C'est comme s'ils me reprochaient de ne pas être comme elle.

Léa apparait à mes côtés.

-Tu viens pour manger ton gâteau?

Elle me rend tellement folle que je ne supporte même plus qu'elle me parle.

- Vous avez qu'à le manger sans moi, après tout ça ne vous dérangera pas.

- Pff arrête avec ta jalousie à deux balles.

L'alcool que j'ai bu pendant le repas exacerbe mes sentiments. J'ai envie de l'étrangler.

Léa retourne avec les invités. C'est un cercle vicieux. Plus on m'ignore, plus je suis désagréable et plus je suis désagréable et plus on m'ignore.

 Je n'en peux plus d'être rabaissée, humiliée, comparée à elle. J'ai le droit d'être heureuse et aimée moi aussi non? N'est-ce pas ce que tous les parents doivent à leurs enfants?

Je suis venue par le train et ma mère ne peut me ramener que demain matin. Je suis donc obligée de dormir ici et forcément  je n'arrive pas à trouver le sommeil. Je pense à ma misérable existence. Est-ce que ma vie aurait été différente si elle n'avait jamais été conçue. Est-ce que toute cette jalousie est exagérée ou justifiée?

Pour mon psy  je dramatise la chose, mais s'il avait été là aujourd'hui, il aurait compris. Il aurait compris pourquoi j'ai toute cette haine en moi.

J'ai envie de boire.  Ça faisait plusieurs mois que ça ne m'était pas arrivé. Il me suffit de revenir ici pour tomber à nouveau au fond du trou.

Je descends à la cuisine où je me sers un verre de whisky puis je retourne  dans ma chambre. Arrivée en haut de l'escalier je tombe sur Léa.

- Tu n'arrives pas à dormir? chuchote-t-elle.

-  Non... dis-je froidement.

-  Tu sens l'alcool...

Je ne réponds rien.

-  Les parents ont raison, tu fais vraiment n'importe quoi.

Je sens une rage incontrôlable s'emparer de mon corps et dans un accès de colère je la pousse. Elle dégringole lourdement dans les escaliers avant de s'écraser sur le carrelage du rez-de-chaussée. Son corps a une position étrange. Elle ne bouge plus.

Sans trop comprendre ce qui vient d'arriver, je retourne dans ma chambre. Quelques minutes plus tard, ma mère, qui alertée par le bruit s'est levée, se met à hurler.

Et puis tout s'enchaîne. Les pompiers arrivent, mais il est trop tard, Léa est morte. Elle est morte et moi j'ai l'impression de renaître.

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