Je suis devenu snob

Je suis devenu snob

Moi qui était un gars si simple, je suis devenu snob.

Ça m'a pris un matin, je ne sais pourquoi ni comment...

Normalement, à mon petit déjeuner je prends un café et des biscottes, et là, subitement, il m'a fallu de la brioche, de la confiture, des tartines de miel, des œufs frits, le tout servi par une jeune fille nue...

Pour aller au travail, au lieu de prendre le métro comme d'habitude, j'ai commandé une limousine avec chauffeur...

Puis arrivé à l'usine, ou je suis tourneur-fraiseur, un haut-le cœur m'a pris devant mon poste de travail. Ces outils, cette limaille de fer, ces collègues en salopette bleue, j'ai trouvé ça assez vulgaire...

J'ai été voir la direction, ça tombait bien tout le staff était là...

Ils ont été surpris de me voir rentrer, sans frapper en plus, et habillé d'un manteau de fourrure et fumant un havane...

Je leur ai dit : « Messieurs, il me faut un poste à responsabilité, et pas un rôle de sous-fifre comme directeur de ceci ou de cela, je veux la présidence des actionnaires du groupe... »

Impressionnés, ils m'ont invités chez Lasserre, c'était mon premier restaurant d'affaire... Je leur ai fait part de ma politique sociale et économique tout en reprenant trois fois du délicieux caviar de chez Petrossian...

Nous avons convenus d'une partie de golf samedi en huit...

Après le repas, n'ayant plus rien à faire et fort satisfait de ma nouvelle situation, j'ai flâné sur les grands boulevards...

Qu'il était bon d'être snob et de regarder les gens un peu de haut... De temps en temps je croisais un autre snob comme moi, mais en bons snobs, nous faisions semblant de nous ignorer mutuellement...

J' apercevais, reflétée par les vitrines des magasins, ma silhouette, élégante et distinguée... Je m'arrêtais de temps en temps devant l'une de ces vitrines,  faisant semblant de regarder les marchandises, mais en réalité m'observant avec satisfaction dans le reflet des glaces... Je redressais discrètement une mèche de mes cheveux, que j'avais laqués le matin même...

Des pensées me traversaient... « Comment avais-je pu vivre pendant toute ces années de façon aussi banale, dans ce milieu modeste qui avait été le mien ? »

Cela me donna faim et j'entrais dans un café ou je commandais un brunch, arrosé d'un bloody-mary...

Tout en dégustant quelques ortolans, je me demandais si j'allais continuer à écrire moi même tous ces textes stupides qui s'entassaient dans ma commode ? Ne devais-je pas plutôt engager un « nègre » pour les faire à ma place ?

Je trouvais l'idée excellente.

De plus, ce nom ridicule d' Arthur Roubignolle, ne devais-je pas lui donner plus de noblesse, plus de distinction ?

C'était décidé, mon nouveau nom d'auteur serait : Arthur Roubignollsky.

Dès demain j'enverrai un manuscrit aux membres de l'Interrallié, je ne postulerai pas au Goncourt, c'est bien trop commun comme prix, alors que l'Interallié, c 'est très classe!

Arrivé chez moi je trouvais une lettre de la direction de l'usine...

« Monsieur, vous nous avez bien amusés ce matin, mais, compte-tenu de votre comportement bizarre, nous sommes obligés de vous licencier. Veuillez passer à la comptabilité pour toucher votre solde. Cordialement. »

Je haussais les épaules en pensant : «  Décidément, ils sont très snobs dans ces directions... »

Je décidais donc de redoubler encore plus de snobisme...

On verrait bien qui était le plus snob, d'eux ou de moi...

Et, par défi et par pur snobisme, j'allais aussitôt à Pôle-emploi, ou je postulais immédiatement pour un poste de PDG...

Ce en attendant d'être rentier dans peu de temps bien sûr...

Un vrai snob se doit de ne jamais travailler!