J'fais la gueule

J'fais la gueule !

Bon voilà c'est décidé, moi aussi je fais la gueule ! Non mais c'est vrai y en a marre de tous ces gens qui tirent une tronche de six pieds de long dans la rue, partout, dans les magasins, les bureaux de poste, dans les salles d'attente, les gares, les aérogares. Maintenant je fais la gueule comme eux ! Mieux qu'eux même, moi quand j'm'y met j'fais pas semblant ! J'ai pris une de ces têtes d'enterrement, lugubre, sinistre, pas commode en plus, une tête du style : faites-pas chier j'ai pas envie d'vous causer ».

Du coup, les gens qui font la gueule me regardent bizarrement, je suis sur qu'ils se disent : « Punaise, il fait drôlement la gueule celui-là ! » -

J'ai comme l'impression que les gens ne se rendent pas compte de la tête qu'ils font, doivent se regarder dans la glace le matin et se trouver plaisants alors qu'ils ont des tronches de cake pas possibles...

Depuis que je fais la gueule je me sens beaucoup mieux, j'ai arrêté de sourire bêtement, en plus la mine renfrognée me va bien, ça me donne un air plus important.

Ah oui, parce que j'ai oublié de vous dire, je prends aussi un air important maintenant, y a pas de raison... Je sais pas si vous avez remarqué le nombre de gens qui vous regardent de haut, comme si on était pas de la même espèce qu'eux ? L'avez-vous remarqué ? J'insiste car le nombre de gens inattentifs est encore supérieur au nombre de têtes à claques qui se croient supérieurs.

Je suis aussi important que tous ces blaireaux qui se croient au-dessus des autres, et je le leur montre bien à présent, et d'ailleurs, MOI, c'est évident que je suis plus important que tous ces cons !

Bon, j'arrêtes de faire la gueule quand je croise un enfant, y a pas de raison de leur faire la gueule à eux, c'est leur montrer le mauvais exemple, leur montrer ce qu'ils deviendront plus tard, ce qui les attend... Cette lippe mauvaise, ces coins de lèvres qui s'inclinent vers le bas, et qui indiquent amertume, déception, désabusement, lassitude, ennui... Toute une vie passée à tirer la tronche, à être contrarié, contrarié peut-être d'ailleurs par tous ce gens qui font la gueule ?

Car voilà le danger suprême qui nous guette tous, à force de côtoyer des têtes de merlans frits, l'on risque de devenir comme eux, et du coup on rajoute encore plus de morosité dans l'air. On contribue à pourrir l'ambiance, à l'insu de son plein gré, malgré soi, car au fond, on ne voulait pas tirer la gueule comme toutes ces faces de carême...

C'est l'influence du milieu, on est des êtres influençables, il en faut de la force de caractère pour résister aux masses amorphes et apathiques, pour ne pas se laisser imprégner, et j'allais même dire « contaminer » par l'ambiance générale...

Tiens y a des fois je partirai bien en Afrique, là-bas ils se marrent bien,  ils vivent sous des dictatures infâmes, n'ont rien à becqueter mais ils se gondolent tout le temps, comme si la vie au fond était « joyeuse » ?

Mais je me connais, au bout d'un moment ça m'énerverait tous ces sourires, ces rires perpétuels, cette bonne humeur ambiante ça me ferait aussi suer que tous ces gens qui tirent la gueule ici! Je trouverai ça artificiel, forcé, systématique surtout.

Donc voilà, entre le tirage systématique de gueule en France et l'optimisme béat des africains, (destiné surtout à pas en rajouter à leurs misères) que faire ? Ou aller pour trouver des gens normaux ?

Chez les eskimos ?

C'est encore pire, ces cons se fendent la pipe en permanence!

De vrais insouciants!