Jungle ordinaire
hel
Ma tête est une jungle. Des lianes épaisses y ont pris la place qui s'y dandinent, ondulent et claquent-fouettent. Je ne reconnais plus rien de ces enchevêtrements, pensées sur pensées qui se superposent, s'agglutinent, se grouillent les unes par-dessus les autres. L'endroit est devenu d'un sombre humide, d'un remugle tenace. L'air n'y semble plus circuler. D'ailleurs il n'y en a pas, tout s'étouffe dans la touffeur, tout poisse. Ni air ni lumière. Juste de petites, faibles lueurs vacillent dans le loin du loin, quelque part où je ne sais plus aller.
Ma tête est une chambre noire. Des images y naissent, s'y révèlent, qui remontent de ce loin du loin, d'un profond insondable et qui ne semblent à la fois ne tenir d'aucune racine. Elles percent l'obscurité et le sombre humide qui l'habite, ces images, elles dansent et virevoltent pareilles aux lianes de mes pensées. Clichés vifs, lumineux qui percutent jusqu'à la rétine avant de s'évanouir brusquement. Et la nuit recouvre tout. Une nuit grande comme interminable.
Ma tête est un gouffre. Un vide béant. Une faille. Une crevasse. Un insondable précipice. Mes pieds se balancent là, juste là, et rien dessous, et rien devant. Je me tiens le cœur en vertige, en grand huit et triple boucle au-dessus de l'abîme.
Ma tête est une mer haute. Vagues noires, vagues grises, qui chavirent dans leurs mouvements mille glaires d'écumes et autant d'haut-le-cœur. Il y a ce bourdonnement permanent de l'eau agitée qui remonte le cours de mes entrailles, brasse le dedans, voudrait l'expulser par la bouche. Mais quand je veux expulser, quand je pense à crier, hurler, ce n'est rien d'autre qu'un cri de silence qui m'en sort.
On dirait la tête prête à déborder, déborder de tout son vide, recracher le sel, le cloaque de ses eaux de pluie, recracher, regimber, toutes ces images, ces pensées, tout ce grand bordel enchevêtré qui compte pour néant. J'serais pas si surprise qu'il m'en déborde des ronces et des épines, une grande langue noire de la bouche, et des essaims de ses choses vrombissantes qui m'hululent dans les tympans. Me pousserait des tiges et à me fondre contre un tronc, et végéter comme ça, faire taire le bruit du dedans.
Il n'y a pas que ma tête, mais tout ce qui suit son prolongement. Les secousses de la poitrine, les brulures de la trachée qui avale amère, les tremblements de chaque membre, bras, main, pied, jambe, les doigts qui pianotent fiévreux, les orteils qui flexent à s'en broyer les articulations, tout le corps qui suit la tête, qui s'égare, qui ne sait plus se tenir dans son ancienne petite mécanique.
Parce que je m'y tenais là, moi aussi avant, comme tout le monde, dans la petite mécanique des choses. J'y étais bien, toute endormie que j'étais. Y'avait de beaux, de doux, de jolis songes qui faisaient comme un grand concert, sonnaient l'angélus. J'avançais les pieds bien heureux, en paix, comme en terre sainte, avec des rires qui projettent, qui bâtissent de la belle charpente, et les orteils tout ensoleillés dans leurs sandales, et le blé doré du pain bien coincé entre les dents. Frénésie, à enchainer bien sagement, les lundis matin, les semaines à dépassement sous la grande lumière d'un néon blanc. Mon petit réveil bien réglé, avec toutes ses aiguilles au garde à vous. Un jour pour courir après le temps, et empiler ses corvées nécessaires, et puis un autre à grappiller des miettes quand je ne le passais pas abrutie de fatigue à même pas le voir passer. Mais contente, bien heureuse d'inepties, de responsabilité, de petites joutes qui vous brossent l'égo du dessus. Ah la belle vie ! J'étais à fond, à toute blinde en tête de peloton.
On pourrait dire que je me suis pris un mur. Ce qui se passe quand un petit grain vient enrayer la mécanique. Ce qui arrive quand tu te crois tout en haut de l'escalier, la tête gonflée à l'hélium faut croire, bim, bam la grande dégringolade. Bah voilà, t'as tout ce petit pouvoir bien artificiel qui s'échappe de sa baudruche, pffffffffit, long, strident comme d't'imagines pas, pffffffffit. Pis là comme un réveil qui sonne en permanence, dring, dring, le grain de sable dans la mécanique, finit la grande cavalcade !
T'as pas compris, vraiment ? Tout est là pourtant. Le fond du fond, et même le haut du fond : l'illusion de l'acquis tu vois ? L'illusion de s'agiter pour des trucs qui en valent la peine, avec le doigt planté dans l'œil jusqu'à la rétine, voir jusqu'aux synapses, ce truc qui connecte plus trop là-haut, dans ce bordel que c'est devenu.
Le burn-out qu'on dit. On aime bien mettre comme ça, des mots de petite mécanique, des mots fourre-tout de n'importe quoi, qui font des panneaux sur la route bien tracée qui s'effiloche. La route qu'on a pris les joues roses de conviction, pour aller se planter dans le décor, on sait même plus où d'ailleurs à eu lieu l'impact, ou si c'était pas quelque chose qui dormait en dedans de soi.
Ma tête est une jungle, donc. Ça se voit même pas trop, avec mes airs de madame tout le monde, je me suis pas teint les cheveux en rouge, pas plus qu'en bleu, je raconte pas des trucs fou-fous, du genre que je serais sorti de mon corps, que j'aurais touché la grande lumière ou quoi. Non je porte toujours mes mêmes habits de vie bien rose, bien tendre et ordonnée, je fais même des gâteaux nappés de sucre glace et de fleurs en amande, comme un mensonge qu'on se met sur le devant, pour cacher tout le reste. Derrière le décor je me tiens sur le bord d'une nuit, du sommeil en pagaille, même que je sais plus trop si je dors, ou alors c'est peut-être juste debout. La fatigue m'écrase. Y'en a bien voient, quand même, qui me disent que ça passera, qu'il faut faire une cure de vitamines, de magnésium, comme si c'était un caprice, un truc de saison, alors que c'est juste un sursaut du loin de loin, moi je pense. Que je dois être dans le vrai quelque part, même si ça use et que je sais pas par où on en sort. Suffirait de pas grand-chose. D'un train à prendre, d'une cabane dans les arbres, retrouver quelqu'un ou quelque chose, peut-être juste le goût du rêve et des impossibles. Je vais peut-être bien me teindre les cheveux en rouge en fait, juste pour voir. Les costumes, ça doit être comme les chemins, si l'un ne mène nulle part, on doit bien pouvoir en emprunter un autre. Essayer pour voir, si on tronçonne une liane, y'a peut-être autre chose qui pousse. Je note pour demain, pour hier, et les autres jours. J'ôte la robe nappée de sucre glace, et je vais juste m'étendre là, comme dans une cabane dans les arbres, sous le soleil exactement, juste en dessous.
C'est juste assez flou pour être universel et indéniablement précis pour décrire des choses qui parfois se vivent. Mais ce que j'ai surtout aimé, c'est le stlye, le rythme, l'ordre des mots dans les phrases, le mélange des registres, la ponctuation, et tout le travail minutieux en-dessous...
· Il y a environ 8 ans ·austylonoir
Wow merci, et même pour ma ponctuation fantaisiste, contente que cela t'ait plu de cette façon, vraiment.
· Il y a environ 8 ans ·hel
Ce texte sur la voix d'Emma Louise est…parfait
· Il y a environ 8 ans ·nyckie-alause
Merci Nickie :)
· Il y a environ 8 ans ·hel
Ah tu rejoins ma morosité, même si tu as la liberté de pouvoir faire avec ton corps. C'est total tette qui parait bien lo
· Il y a environ 8 ans ·elisabetha
Je crois qu'une souris à grignoté un bout de ton commentaire, quand à la morosité je ne le laisse jamais s'installer moi, je lui mets des grands coups au derrière, et je lui montre la sortie ! :)
· Il y a environ 8 ans ·hel
Là, c'est plus qu'un avis de grande tempête, cela déborde toute part ... Tu décris toutes ces émotions avec un talent fou, comme dab !!Belle idée la cabane, afin de se ressourcer, très beau texte maz'Hel
· Il y a environ 8 ans ·marielesmots
Merci Marie :)
· Il y a environ 8 ans ·hel