Kaiten sushi

Le contrôleur indique la gare de Lyon. Certains passagers se réveillent en sursaut, et descendent du train en courant attrapant leurs bagages au-dessus de nos têtes… La place devant moi se libère et j’en profite pour allonger mes jambes. La seconde classe est comme toujours pleine à craquer et mes allers retours entre Marseille et Paris m’obligent à l’économie. Le train repart et alors que je tangue doucement près à m’assoupir, une voix délicate me sort de ma torpeur.

-          Excusez-moi, est ce que cette place est prise ?

Je vais dire non sans même poser les yeux sur mon interlocuteur et me reprends -la voix d’une souris peut cacher un éléphant- pas envie de gâcher le peu de confort obtenu à présent. Je relève les yeux et me mords la langue avant de lâcher un « Non », de toute mes dents blanches, enfin je l’espère.

Une immense brune se tient là, cambrée sur des talons vertigineux. Moulée dans une robe bleu marine qui retient sa taille et emprisonne une poitrine généreuse. Des jambes qui s’étirent devant moi poussant le haut de son corps vers les emplacements réservés aux bagages. Elle souffle sur une mèche de cheveux. Je me lève pour lui venir en aide et me retrouve nez à nez avec deux saphirs encadrés par de l’ébène envoutant. Elle me remercie et replace ses cheveux ébouriffés par l’effort élégamment. Elle sort de son sac en cuir monogrammé son immense téléphone et place ses écouteurs. Et dans un éclair de gourmandise pose sur le plateau devant elle un Bento contenant une douzaine de sushis au saumon et un peu de riz blanc… elle me regarde avec malice et me demande si l’odeur du poisson ne me dérange pas. Le grand-père assis à sa gauche rouspète un peu, m’empêchant de répondre vraiment. Elle lui répond avec douceur que sa place en première était prise par une maman et sa petite fille et qu’elle sait bien que notre chère compagnie de transport ferroviaire oublie de prévoir des places pour les enfants de moins de 3 ans… elle n’a que deux heures de train et c’est sans arrêt jusqu’à Paris. Cette place ne manquera donc à personne. Le vieux ronchon la regarde avec envie et replonge dans son journal, première de couv’ : le pape. On n’est pas loin du péché de chaire lorsqu’avec habileté elle déguste ses fines tranches de poissons, laissant au coin de ses lèvres brillantes de salive un peu de sauce soja et quelques grains de riz sur ses joues rougies. Je ne peux m’empêcher de la regarder faire. Ses doigts fins au bout en chocolat, manient avec dextérité de longues baguettes noires et amènent à sa bouche les mets roses sans jamais en perdre une miette. Elle me sourit entre deux bouchées et mes yeux cherchent désespérément un autre point de chute que l’encolure de sa robe qui finit par remonter sur ses cuisses, laissant apparaitre un jupon en dentelle noire. Mes jambes se ramollissent à chaque regard de biche quelle me lance. Elle termine ses bouchées de l’enfer et sort un de ses magazines dont les femmes raffolent et se plonge sans doute à la recherche des articles de mode qu’il lui faut… mes jambes frôlent les siennes et à travers mon jean je sens la chaleur de ses mollets dessinés. Je tressaute. Gênée elle décale légèrement ses jambes dans le passage et me laisse m’étendre à mon aise…

Je me demande bien où elle se rend, si elle rejoint quelqu’un. Sa main gauche ne porte aucune marque de propriété… ses oreilles sont ornées de perles de cultures grises qui rappellent la douceur de ses yeux. Mes écouteurs m’emprisonnent dans une bulle et Foals résonne. Des questions pleine de non-sens se bousculent comme les numéros du loto et çà s’entrechoque dans mon cerveau comme des boules de billards…

Je ne vois pas pourquoi je cherche midi à quatorze heure. Ce mannequin n’en a rien à foutre d’un pauvre mec de seconde zone. Tout chez elle est de premier choix… mais qu’est ce qui m’empêche de l’inviter à boire un café au wagon bar. C’est pas le Troca c’est sure mais une chance comme çà j’en aurais pas dix dans ma vie. Et un jour, quelqu’un m’a dit que « même les putes ont une âmes »… alors je vais lancer les dés et on verra bien. Mais avant je vais quand même faire augmenter la courbe de mon potentiel. Je me lève d’un bond comme téléguidé. Elle sursaute lorsque je bouscule sa jambe. Je m’excuse en bafouillant et quitte la zone zen de l’IDtgv pour les toilettes nauséabondes et instables. La lumière du néon me fait une gueule affreuse et je suis rasé de la veille… Mes mains aux ongles rongés repousseraient les rats. Me voilà comme un con à espérer draguer ce que des ados appelleraient une bombe. Je me passe un coup d’eau sur le visage et me lave soigneusement les mains. J’aurais eu besoin d’un coup de déo mais faut croire que c’est pas aujourd’hui que je gagnerais au loto. Je déverrouille la porte et le wagon penche. La porte s’ouvre sur moi et je me retrouve plaquer contre le mur de ces chiottes immondes qui sentent le métro… une frange brune à quelques centimètres de mon menton, une paire de seins écrasés sur mon thorax et ma cuisse entre la paire de jambes la plus longue que Dieu m’est permis d’apercevoir. Et maintenant de toucher. On reste là quelques secondes, abasourdis par la rapidité et la gravité du TGV. Je passe ma main dans son dos et viens saisir son épaule pour l’aider à se redresser. La peau de son cou est douce et sa chevelure légèrement parfumé… j’hésite un instant et alors que son regard croise le mien je resserre mon étreinte et bascule mon visage contre le sien. Elle se raidit lorsque mes lèvres touchent les siennes et je chavire lorsqu’elle entrouvre les miennes pour y glisser sa langue. Je referme le verrou et remonte sa robe sur sa dentelle. Elle reste interdite, un éclair de malice dans son regard… elle passe ses mains sous mon tee-shirt et me déchire la peau des épaules aux reins. Je savais bien que le péché de chaire avait plus qu’un sens lyrique…

Elle me marche sur le pied… et je me réveille en sursaut.

-          Oh ! je suis navrée. Je vous ai réveillé en allant me chercher un café. Vous aviez l’air tellement serein…

Je reste hébété devant des songes qui s’évaporent, des songes à se mordre la lèvre jusqu’au sang. Elle attend une réponse, patiente elle reprend après un long silence :

-          Je ne peux pas vous laissez dans cet état, vous avez l’air perdu. Tout va bien ? çà vous dit un café…