L échappée salutaire

laurent-saint-damien

   L’échappée salutaire

 

                     

 

 Prologue

 Il n’y a pas de hasard et la vie s’évertue à nous réserver bien des surprises. Nonobstant tout ne s’écrit pas du sceau du mystère et force est de constater que notre existence s’enrichit des rencontres  provoquées comme de celles qui peuvent nous apparaître aléatoires autant qu’ hasardeuses.

 Nicolas roule sans but précis au volant de sa petite voiture grise de marque française. Avec quatre roues munies de pneus en conformité avec la législation en vigueur  et un moteur ronronnant,  nourrit, bien au contraire, en toute illégalité par un liquide «rouge» en lieu et place du diesel trop cher pour ses finances du moment. Pour écrire  vrai, il semble que c’est sa maison mécanique qui le balade et le transporte sur les routes. Des mètres et des kilomètres de  bandes de bitume tantôt droites tantôt sinueuses  que sa conscience en position veilleuse lui  fait reconnaître de façon sporadique et souvent inattendue. Il n’est pas perdu, encore moins égaré mais il erre bel et bien jusqu’à une définition finale que son bon vouloir n’a pas encore défini. La voiture mange de l’asphalte  et Nicolas ne contrôle que sa tenue de route et la régularité des bruits de son moteur pour en modifier les rapports. A la manière d’un automate, plus par habitude que par réelle volonté. La journée a été belle. En cette période pourtant hivernale, le soleil a franchement prédominé et a largement inondé de sa clarté un ciel bleu immaculé. Pour preuve, Nicolas roule machinalement et avec un semblant d’insouciance, en mode  printemps avec la vitre conducteur franchement ouverte sur la campagne environnante. Pourtant il faut reconnaître ici que sa tête vaque à des pensées plus terre à terre, focalise sur des choses plus élémentaires. Le cendrier de l’habitacle est déjà bien rempli ; encombré des mégots de cigarettes fumées de façon compulsive et sans plaisir. Il est parti au petit matin, à l’heure où un illustre écrivain, paix a son âme, décrivait la campagne comme auréolée de nimbes blanchâtres. Il est parti de son domicile, fâché et hautement contrarié. Il s’est éloigné des siens pour une engueulade de trop avec sa compagne de route. Pour la sérénité de la cellule familiale, les enfants étaient heureusement couchés et dormaient du sommeil des justes. Mais sa coupe était pleine et le calice de trop : il ne le boirait pas jusqu’au lit. La tolérance était impossible, et l’instinct du chef de famille redevenu animal avait pris le dessus sur la raison et l’idée même du pardon. Le besoin de fuir l’ambiance nauséabonde, de se retrouver avec lui-même l’avait conduit à enfiler sauvagement sa noire et chaude pelure hivernale, à décrocher les clefs de l’automobile en maltraitant nerveusement le tableau mural où elles reposaient et à claquer la porte ouvrant sur l’extérieur avec une violence censée marquer sans équivoque aucune, sa colère froide et immédiate. Il ne fallait pas énerver le bonhomme et ne pas réveiller la bête. Ce départ précipité n’avait souffert d’aucune réflexion ni de sentimentalisme. C’était comme ça et pas autrement. Il lui fallait tailler la route. Éructer, vitupérer, appuyer sur l’accélérateur et gesticuler, telle une ombre désarticulée. Le moindre quidam, sorti faire pisser son chien à cette heure très matinale n’aurait pu reconnaître qu’une silhouette folle dans une cage de métal lancée à tombeau ouvert dans les rues désertes de la cité endormie. Surtout ne pas se retourner. S’interdire de réduire le son de l’autoradio  laissé à la puissance de la veille au soir et outrageant les oreilles délicates du petit matin. Marmonner des injures entre ses dents fatiguées, mariner dans son jus et ne s’exciter qu’avec lui-même pour ne pas causer de dégâts irréversibles à son entourage proche. S’échapper le temps nécessaire pour protéger les siens contre ses foudres et leur épargner son ire encore indomptée. Prendre le temps nécessaire de se calmer. Faire redescendre le trop plein de pression. Se recentrer sur lui-même.

La voiture finit par s’immobiliser sur les hauteurs d’un village encore français, situé dans le département de Haute Savoie; les Alpes du Léman. Le GPS que Nicolas n’avait pas daigné consulter pour mieux se laisser conduire, indique la latitude 46°11’34’’ Nord et la longitude 6°25’47’’ Est.  Sommet de Bogève. Station de ski des Charasses. Parking de la Chaine D’or. Presque 1300 m d’altitude et une vue imprenable sur l’imposante molaire du Mont- Blanc, émaillée d’un blanc manteau avec des éclats imaginés cristallins et scintillants sous les effets d’un rond soleil assagi par le couchant. Les couleurs vivaces se pâment sur et autour de ce territoire alpestre encore sauvage. La vision de cette beauté naturelle à l’heure où le jour décline et le ciel se maquille de peintures, d’envolées orangées et mordorées sur un dégradé de bleu, réchauffe le corps et le cœur de notre observateur. La prise de hauteur associée à cet instant de pure contemplation, mettent du baume à son moral qu’il avait jusque-là, au plus bas.

«Mon Dieu que la montagne est belle. Le poète qui voit plus loin que l’horizon a toujours raison». Comment pouvons-nous l’oublier? Quand les villes gagnent sur les campagnes, et le béton recouvre les prés à des vitesses dépassant l’entendement. Il serait poli et respectueux de s’abaisser jusqu’à s’agenouiller pour rentrer en symbiose avec Dame Nature et se tenir à l’écoute de la terre nourricière. Notre mère  que nous n’avons  de cesse que de maltraiter  pour un bonheur entaché d’attitudes spécifiquement humaines et de comportements typiquement urbains. Un brin de nostalgie le submerge et il se met à penser à ses enfants. Il se demande s’ils seraient encore capables de s’extasier devant un tel tableau; un panorama naturel sans artifices ni effets technologiques. Eux qui ne savent déjà plus découvrir ou simplement regarder, avec les yeux de l’enfance, un nid d’oiseau dans un arbre ou même se situer sur les routes empruntées, tellement ils sont absorbés par leurs Nintendo DS ou leurs machines à tout faire, plates et électroniques. Celles qui servent surtout à contraindre l’utilisateur d’oublier sa capacité à observer le monde environnant;  ici, là et maintenant.

L’échappée salutaire

Synopsis

  

Nicolas, la quarantaine bien sentie, rentre d’une soirée bien arrosée entre amis au petit matin. L’heure tardive bien que matinale de son retour au nid déplait fortement à son épouse qui ne s’en cache pas. La remontrance de trop  éclate et la porte de la maisonnée claque. Nicolas prend ses clics et ses clacs, ses clés sans la claque, sa chaude pelure  et roule fenêtre ouverte malgré le froid hivernal, furieux et comme fou sans buts  précis ; excepté ceux de se laver la tête et de se rincer les idées… au bon air des sommets alpins et à la légèreté des altitudes.

A la nuit tombée, une sortie de route bien involontaire causée par l’évitement d’un chien errant, va l’obliger à s’aventurer sur un chemin guère emprunté. Une bande de terre davantage rurale que vicinale et franchement cabossée par les actions climatiques. Au bout de la piste, Nicolas va découvrir un chalet dont les fenêtres éclairent la nuit à la manière des yeux fendus des chats.

Une vieille dame répondant au doux prénom floral et champêtre de Marguerite, isolée et seule va facilement daigner lui offrir le gîte et le couvert, le temps qu’il sera nécessaire pour remettre sa voiture sur roues. Elle va parler et se raconter comme si le silence pesant de sa solitude n’avait que trop longtemps attendu de sortir d’un esprit fatigué et d’un corps usé. Nicolas va l’écouter et se raconter à son tour. Ainsi le citadin  égaré et désabusé va se ressourcer au contact de la paysanne ; et la vieille dame va voyager au-delà de ses terres toujours connues et jamais quittées via les histoires et les sentiments de Nicolas. Une rencontre salutaire afin de mieux se retrouver pour l’un et des mots et des réminiscences  pour mieux appréhender l’heure du partir pour l’autre.

 

Signaler ce texte