la belle saison

Susanne Derève

Et je me retrouvai soudain comme un voyeur Le soleil irradiait des flaques de couleurs
C'est arrivé un jour à la belle saison
Cette porte cochère qui bordait la maison
Cette porte de chêne aux ferrures rouillées
Qui s'ouvrait tout au fond d'un jardin de curé
 
C'était dans la touffeur d'un plein mois de Juillet
Je volais un peu d'ombre aux branches d'un figuier
Et quand  d'un doigt distrait j'en effleurai le pêne
Il joua doucement en gémissant à peine
 
Et je me retrouvai soudain comme un voyeur
Le soleil irradiait des flaques de couleurs
Mais quand mon œil enfin se fit à la pénombre 
Ce que j'y découvris laissa de me confondre
 
Elle était nue sous la dentelle
D'un très léger déshabillé
Dans une pose abandonnée
Sur un grand coussin de flanelle


Et à son souffle régulier
Je crus deviner qu'elle dormait
 
Les cheveux noyaient son visage
Seule la bouche dessinait
Comme la bouée dans un naufrage
La marque rouge d'un baiser
 
Sa gorge palpitait doucement  
Et dans le pli des cheveux blonds
On voyait poindre sur son sein blanc
La boucle rose d'un têton
 
Mon regard glissa vers son ventre
À la naissance de ses cuisses
Moussait une toison ardente 
Comme une fleur sur sa peau lisse
 
Vestige de pudeur peut-être
Elle retenait ingénument
Les pans de sa robe défaite
D'une main aux ongles sanglants
 
Un délicat bijou enserrait sa cheville
Et son pied ravissant…
 
J'étais novice encore. Tel était mon émoi
Je butai sans le voir contre un billot de bois
Et le bruit que je fis en me cognant aux branches
Tonna  comme l'éclair au milieu du silence
 
Affolé, je m'enfuis sans demander mon reste
En laissant aux fourrés des lambeaux de ma veste
Si ses yeux étaient noirs ou gris ou bleus ou pers
Je ne l'ai jamais su peut-être étaient-ils verts
 
Signaler ce texte