La bonne

bernie60

Surpris, il ne s'attendait pas à ce qu'elle soit célibataire. Il l'avait trouvée jolie. Alors, par habitude, ou réflexe, il avait tenté une approche. Comme disait son pote René, sur un malentendu, cela peut parfois marcher. Il avait lu dans un magazine de filles qu'il fallait les faire rire. Et SURTOUT ne pas montrer qu'on ne voulait « que ça ». Alors, il avait blagué, temporisé, tâté le terrain, aussi prudemment qu'il le pouvait. Souvent il s'emballe, se précipite, s'enflamme. Et puis cela casse. C'est fatal. C'est la rupture, bête et brutale, comme dirait le Grand Jacques. Ici, pas question de reproduire les vieilles bourdes. Avec elle, cela s'annonçait différemment, pour sûr.

Déjà, elle l'avait rappelé. Il avait explosé de joie. Impossible de se contenir. Elle avait été plutôt contente. Elle le relançait. C'était la bonne. Pas de doute. Même René en avait été soufflé. Sacrément, méchamment. Ce n'est pas à René que cela pourrait arriver.

Il fallait sortir le grand jeu. Pas le moindre droit à l'erreur.

Il était allé à la bibliothèque chercher Mars et Vénus, Comment faire l'amour à une femme, L'orgasme féminin en 10 leçons, sauf qu'il zapperait les 9 premières leçons, les préliminaires, les approches, ce n'était pas nécessaire, elle était cuite. Il irait droit au but. René l'avait mis en garde. Mais les phases d'apprivoisement étaient superflues. Elle ne voulait visiblement rien d'autre que ça... Alors, il se préparait à l'extase. L'apothéose. Ze câlin première classe. La crème de la crème, comme disent les Anglais en y mettant l'accent. Elle oublierait les autres. Ceux qui l'avait précédé. Les autres ? Quels autres ? Anéantis. Annihilés. Atomisés. Éparpillés façon puzzle aux quatre coins de l'hémisphère nord.

Il s'était bichonné.

Gomina. Baccarat. Chocolats. Ford Fiesta. Pizzeria. Tout le tralala.

Elle avait trouvé cela cool. Elle l'avait trouvé cool. Dans sa voiture. Un modèle de 1978, 20.000 kilomètres au compteur, il ne la sort que pour les grandes occasions.

Dans la petite alcôve de la trattoria, il lui avait déclaré sa flamme. Son cœur sur un plateau. Jurant devant Dieu qu'il l'aimait. Rien ne pourrait les séparer. Jamais. Ils fuiraient pour que leur amour vive au grand jour. La société n'était pas encore prête pour les plus belles histoires. Roméo et Juliette. Harold et Maud. Paul et Virginie. Silvio et Ruby. Gainsbourg et Melody Nelson. Eux.

Elle avait tiré une drôle de tête. Il l'avait bien remarqué. Il avait mis cela sur l'émotion. Il avait continué sur sa lancée. Ses sentiments étaient purs. Elle pouvait en être certaine. Maman serait si contente. Elle était prête à la recevoir. Il lui avait montré ses relevés de compte bancaire pour lui montrer qu'elle ne manquerait de rien, parlant de la noce, du voyage, avec maman...

C'est alors qu'elle avait éclaté de rire, ou vomi, ou l'inverse, ou les deux, il ne savait plus. Tout ce qui avait suivi était flou dans son esprit. Une seule certitude, elle l'avait abandonné au milieu du restaurant.

La colère l'habite à présent. Il la veut morte. Une bonne balle dans sa tête de linotte. Qu'elle morfle, grave. Ce serait sans doute du gaspillage, mais qu'est-ce qu'il en avait envie. Il avait même pensé à louer les services de deux Albanais pour lui filer une correction. Ou un détective pour la faire suivre. Si ça se trouve, elle se tape un débile mental à moustaches.

La petite mijaurée. Elle s'était bien moquée de lui. Elle avait caché son jeu. Il s'était prosterné à ses pieds. Lui avait tout offert. Tout ce qu'il possédait et plus encore. Mais elle n'est pas celle qu'il croyait.

Qu'elle retourne donc au lycée. C'est maman qui va être triste. Elle a tant de peine de le savoir seul à 37 ans. Et il n'aime pas décevoir maman. Il va envoyer un texto à cette garce. Cette grue sans moralité. Cette dévergondée.

Un message qu'elle sera en mesure de comprendre. Il espère ne pas avoir commis d'erreur. Il s'est fait aider. Par la jeune bibliothécaire. Elle est fort mignonne. Avec elle, ce sera différent. Elle, c'est la bonne... Maman sera contente.

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