La cabine.

Vous êtes trop jeunes pour le savoir, mais avant pour téléphoner à l'extérieur, il y avait des cabines que l'on appelait « téléphoniques » oui, je sais, ce n'était guère original, mais on n'y faisait pas attention, c'était comme ça, c'est tout !

Les derniers modèles de ces cabines avaient une porte très astucieuse qui se pliait en deux, style un peu comme ces penderies que l'on voyait partout chez tout le monde, à l'époque. Difficile à ouvrir impossible à refermer, une grosse merde, quoi !

Bref, comme je devais appeler urgemment mon dentiste pour une rage de dent qui commençait à montrer ses crocs, je suis rentré dans une de ces cabines. Rentré sans trop de difficultés, j'ai passé mon coup de fil, en vain, le dentiste était absent aux abonnés et j'ai voulu ressortir... Impossible... j'ai forcé comme une bête sans aucun résultat. A force et sans plus de forces, j'ai attendu de l'aide, j'ai attendu qu'une personne m'ouvre de l'extérieur. Trente ans que j'attends, personne n'a réussi à la débloquer cette putain de porte.

Heureusement que les gens sont gentils, ils m'ont donné de l'eau avec une paille par un interstice et de la nourriture style jambon en tranche, saucisson, andouillette, heureusement que je ne suis pas musulman.

Des fois, des personnes viennent me parler, il faut dire que je suis connu dans le quartier, c'est la dernière cabine qui existe en France. La poste n'a pas pu l'enlever, car elle était habitée. Il parait qu'ils essaient de la faire classer au patrimoine des monuments historiques.

Regardez, ce matin, il y a foule, une file d'attente de vingt mètres, je ne pourrai jamais parler à tout le monde. Il y en a même qui me prenne pour une sorte de magicien, un magigourou qui pourrait guérir les morts et donner les numéros gagnants du loto. Puis il y a la petite blondinette, qui m'aime bien parce que je l'aime bien. Elle est là, je la vois, elle me fait des signes.

Bref, je m'y suis fait à ma cabine, j'espère que le jour où les téléphones mobiles disparaîtront, on reconstruira des abris un peu partout comme le mien. Ce sera la fin des SDF, ce sera la fin de la faim sur Terre. Ce sera l'ère des échanges réels, la fin du virtuel.

On peut toujours rêver, non ?