la cabine téléphonique
Manou Damaye
La cabine téléphonique
Il est parti avec le minimum
Il n’aime pas décrire le minimum
Il dit que c’est son affaire
Il dit ce sont mes affaires
Il est parti en direction du cercle polaire
Il veut capturer des images sur la réduction de la calotte glacière
Il dit que c’est le reflet du miroir de la vie, aujourd’hui.
Je suis rentrée dans ma nuit polaire
J’ai rêvé
J’ai rêvé ma tempête, la lune était haute
J’ai rêvé des vents dominants
J’ai rêvé que les vents dominants devenaient souffle puissant et aspiraient Phlégéthon, Achéron, Cocyte et Léthé, déroulant ainsi les neufs anneaux du Styx qui entourent les enfers. Les fleuves s’élevant dans l’éther, formèrent une montagne gigantesque et tournoyante de violence. Puis le souffle créa quatre têtes burlesques et effrayantes dont il coiffa les courants, embarqués dans des spirales infernales. Ainsi parées, il leurs ordonna de voler en convoi vers la terre, puis de se séparer aux quatre points cardinaux et de faire neuf fois le tour du globe. Les hommes, habitués depuis peu aux catastrophes naturelles, ne s’en inquiétèrent pas et dormaient du sommeil du juste.
C’est la Lune, la première qui prit conscience de la gravité de la situation. Coupée du lien qui l’attache à Neptune, la gardienne des marées et du cycle des femmes, ne gérait plus le flux et le reflux.
Les océans, livrés à eux même, libres et libérés des contraintes lunatiques, allèrent rendre visites aux touristes affriolantes et romantiques qui, en périodes estivales, les prennent en photos.
Quant aux mers, prisent d’effroi, elles se réfugièrent sur la terre, allant chercher abri sous les lits des humains où les femmes déchainées voulaient faire des enfants.
Les poissons, abandonnés sur ce qui maintenant étaient devenu désert et morne plaine, se laissaient balayés par les vents et prirent leur premier baptême de l’air.
A leur cinquième tour, les quatre têtes se retrouvèrent face à face et se mirent à débattre sur le sens de l’histoire.
Le monde s’apaisa pour un instant fugace et la lune put reprendre ses esprits. Comme elle est émotive notre bonne vieille lune ! De ses grands yeux vitreux, elle chercha âme qui vive sur cette terre dont elle a la garde.
C’est tout au nord, sur la ligne qui pointille le cercle polaire qu’elle vit une cabine téléphonique, au cadran à l’ancienne. Impeccable et stoïque, à peine recouverte d’un mouchetis glacé, elle avait du recevoir la protection des vieux frênes, fils de l’Yggdrasil, l’arbre d’Odin, qu’aucun vent, d’aucune sorte ne peut déraciner et qui étaient plantés sur sa face sud, sud-ouest. Elle devait être là pour le garde chasse et pour les voyageurs des expéditions polaires perdus les jours de grands blizzards, lorsque l’aiguille de leurs boussoles claquait des dents et que dans un mouvement d’orgueil vain, elle refusait de se tourner vers le nord d’où vient le vent glacial, mettant ainsi en péril leurs propriétaires.
La banquise encore gelée n’avait pas fait de vagues, elle s’était juste déplacée jusqu’à l’orée du bois de frênes, à quelques mètres de la cabine téléphonique.
Il était assis sur un bloc de glace
Il avait le visage paisible du rêveur solitaire
Il savait que les astres le regardaient avec bienveillance.
La lune reconnu son enfant et se mit à sourire. En deux temps trois mouvements elle composa le numéro que son intuition, plutôt que ses grands yeux soucoupes, put déchiffrer. Le téléphone sonna, sonne dans ce fugitif moment de paix.
La lune a le cœur qui bat.
Il surf sur la glace
Il décroche le combiné
Il parle avec la lune
Il parle avec la lune et les océans et les mers rentrent dans leurs lits.
Il parle avec la lune et les poissons ravis de l’aventure, plongent dans les eaux profondes avec leur plein d’histoires
Il parle avec la lune et les femmes comblées s’enfoncent dans le sommeil d’avant le réveil.
Il parle avec la lune et Phlégéthon, Achéron, Cocyte et Léthé se dépêchent de rentrer.
Il est temps, car du tartare sortent des corps cadavériques qui se demandent ce qu’ils font là, le ventre creux et l’âme vide.
Il parle avec la lune et en moi la tempête se calme
Il photographie la cabine à la lumière du jour naissant.
Quelle cabine Manou ! Texte vivifiant. J'ai pris le large avec toi. Merci beaucoup.
· Il y a presque 14 ans ·bibine-poivron
J'adore Manou!
· Il y a presque 14 ans ·pointedenis
Au delà des mers, au delà même des dieux, l'humain petit point dans l'immensité blanche appelle à la clémence des éléments...Joli texte...C'est pour le concours ?
· Il y a presque 14 ans ·leo
Superbement écrit et très original
· Il y a presque 14 ans ·lapoisse
en mode bug sur "écoute téléphonique" ! ;)
· Il y a presque 14 ans ·Manou Damaye