La DDE XI

Thomas Toledo

Jacques et Bernard sont en panique...

Jacques et Bernard sont en panique. 

Peu avant, lorsqu'ils avaient entendu ce bruit familier qui se rapprochait, leur réaction avait tout d'abord été une vaine tentative de se convaincre que non, nooon, ça ne pouvait pas être ça ! Et puis Bernard avait réfléchi - parce que Jacques on avait déjà vu ce que ça donnait -, il avait réfléchi donc, et s'était rappelé de leur départ précipité du champ de vide : il se rappelait avoir vu, juste en-dessous d'eux, un troupeau d'extremums qui sautait de lignes de niveaux en lignes de niveaux, avant de prendre une route bornée en [0;+∞[.
Ce qui était étonnant en revanche, c'était que ce même troupeau arrive en face d'eux alors qu'il aurait dû arriver par le même chemin que le champ de grue. Soudain, Bernard avait compris : la DDE avait tout prévu et avait placé une dérivée de fonction près de cette zone, soit l'équivalent d'une déviation, afin de leur faire faire un détour - un troupeau d'extremums perdu et c'était des dizaines de calculs de fichus.

À peine eut-il finit son raisonnement que les extremums apparurent à quelques dizaines de mètres devant eux. Courant toujours plus vite, les nobles bêtes allaient bientôt percuter un Jacques et un Bernard horrifiés quand d'un seul coup, comme ça, les deux têtes de miches qu'étaient devenus l'ouvrier et l'aviateur virent le troupeau bifurquer au dernier moment. Deux secondes après le passage du troupeau, Bernard réalisa soudain.
-Mais oui, j'aurais dû y penser plus tôt !
-Que voulez-vous dire ?
-Et bien malgré le fait que l'entité dont vous faites partie n'aie pas la même logique que nous, ces braves ouvriers ont quand même pensé à placer une déviation asymptotique afin de remettre les extremums dans leur droit chemin. Nous pouvons donc continuer à réparer cet avion sans soucis.


Ainsi nos deux amis se remirent au boulot, Bernard réparant le moteur, Jacques soigant le rhume de l'avion, lorsque la nuit tomba. Alors bon, à première vue ça pouvait paraître anodin : sauf qu'ici ce sont les environs de Nulle-Part, et la nuit qui tombe, qui va s'en occuper ? Surtout dans le désert, où il n'y a personne. Les deux compagnons s'étaient donc emparé de la boîte à outils de Bernard et avaient entrepris de replacer la nuit.



M. Répondeur s'était levé de son petit fauteuil lorsque le Conducteur l'avait rejoint. Très sympathiquement, il s'était présenté.
-Ha, bonjour, je suis M. Répondeur, j'ai été envoyé pour chercher de l'aide et…
-Aille, Aillameu ze Conducteur, dou you eundeurstande? C.o.n.d.u.c.t.e.u.r. Ripite afteur mi : C.o.n.d.u.c.t.e.u.r.
La journée allait être longue. Très longue.
Mais l'huclain avait pris son mal en patience et avait fait preuve de bonne foi : il avait répété.
-C.o.n.d.u.c.t.e.u.r.


Le Conducteur, qui, comme son nom pouvait le laisser croire, était plus con qu'autre chose, et surtout pas ducteur, avait continué à lui parler en anglais pendant au moins deux bonnes heures, jusqu'à ce que M. Répondeur demande à Basile, le jeune homme qui les accompagnait, de lui dire d'arrêter parce que là c'était vraiment plus possible. Le Conducteur avait donc arrêté de parler Yaourt, et avait attendu d'être dans son bureau, premier tiroir à droite cette fois-ci, pour questionner M. Répondeur.


-Avant cela, mon petit Basile, soyez gentil et allumez la télévision, j'aimerai regarder les informations pour voir s'ils ne les ont pas déjà retrouvés.
Immédiatement Basile s'exécuta - ce qui lui fit un petit peu mal - et alluma la télé. C'est alors que le présentateur, hurlant ses informations, leur appris que “non, ils n'avaient pas retrouvé leurs amis - fallait pas déconner, c'était pas leur boulot -, mais qu'en revanche le petit huclain du relai radio de l'usine était attendu à l'accueil - non je déconne -, était en train de foutre un beau bordel dans les bureaux des bulletins d'informations.”


-Bon, au moins nous savons où se trouve notre cher huclain. Maintenant M. Répondeur, pouvez-vous m'expliquer plus en détail ce qui vous est arrivé?
L'huclain lui raconta tout depuis le début : comment il avait envoyé paître les gens qui téléphonaient, ce qu'il avait fait lorsqu'il avait vu les lignes à haute tension pendant lamentablement. Il lui raconta aussi comment Bernard les avait emmené jusqu'à Nulle-Part, et la façon dont ils avaient échappé au cadre de l'administration et au troupeau d'extremums. Lorsque le Conducteur lui demanda enfin où se trouvaient ses amis, M. Répondeur ne pu lui répondre : il était resté dans le boitier de la radio durant tout ce temps et n'avait rien vu d'autre que des fils, des fils et des fils. Puis Bernard l'avait envoyé par les ondes radios jusqu'ici.
-Je voooois…
Le Conducteur semblait réfléchir.
-Vous dites être venus ici pour ces fameuses attaches n'est-ce pas ?
-Non non, je tenais juste à visiter la région.
-Haaa boooon ! Ha ben fallait le dire voyons, je connais un guide pas cher qui…
Très longue, trèèèès, mais alors vraiment trèèès très longue la journée. Mais bon, l'huclain se devait de faire preuve de patience.
-…blabla et puis c'est marrant ce que vous dites à propos des enquiquineurs qui vous avaient appelé : figurez-vous que je travaille moi-même pour cette entreprise Espaces&Confins. Ha et vos amis, dites-moi, il s'agit bien de Bernard Joulon et de Jacques?


L'huclain ne répondait pas. Soudain plongé dans un profond silence, le petit bonhomme semblait prêt à exploser. Le Conducteur se risqua à craquer une allumette.
-M. Répondeur ? Demanda-t-il d'une petite voix timide.
À la lueur de la fl… pardon, de l'incendie que cette andouille venait d'allumer, l'huclain était plus effrayant que jamais. Les nerfs tendus, l'oeil brillant et le dessous de paupière vibrant, il réussi cependant à articuler les quelques mots suivants : ”eeesss…p..pp..aaaace…et…eeEEEeeet.. cOOOoon… ooon… fins?”. 

Oui, cette même entreprise qui l'avait appelé il y avait quelques jours.
On pu donc aisément comprendre que, le pétage de plombs aidant, l'huclain balança le Conducteur et son assistant hors du tiroir avant de jeter par la fenêtre le bureau qui prenait feu. Ce dernier (le bureau, pas le feu) alla s'écraser un peu plus bas, dans une mise en culture de néant. Le lendemain, dans la presse, on devait parler d'un terrible incendie dont on n'avait malheureusement pas retrouvé les fautifs.
Cet incendie avait ravagé une grande partie des mises en culture, un choc énorme pour l'industrie du vide. Mais pour le moment, le Conducteur, se décoinçant du tiroir, demanda avec un calme maîtrisé:
-MAIS VOUS ÊTES TOTALEMENT BARRÉ VOUS !
Ce à quoi l'huclain avait répondit :
-Vous m'appelez à je ne sais quelle heure du matin pour me vendre de l'espace, et c'est moi qui suit barré ? Vous mériteriez que je vous bousille la ligne téléphonique pour la peine.
Mais l'heure n'était plus aux disputes. Déjà la police du vide fouillait de fond en comble l'usine et de sans-fond en comble les champs pour trouver les fautifs.


-Suivez-moi, vite ! Leur avait crié le Conducteur, alors que tout le personnel se mobilisait pour stopper l'incendie. Les deux autres l'avaient suivi sans broncher. Ils étaient alors arrivés sur le toit, avaient prit un hélicoptère et s'en étaient allés.
-Où va-t-on maintenant? Avait demandé M. Répondeur.
-Nous allons retrouver vos amis, et nous en profiterons pour faire un crochet par la chaîne des bulletins d'informations, histoire de prendre au passage notre brave huclain.

À suivre vers les grues.

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