La femme de 14h30

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Concours Welovewords / Time To Sign Off

   

       Los Angeles, été 1959. Le brûlant soleil du grand ouest surplombe la ville et crache sa bave de rayons sur le toit des gratte-ciels. Le bitume transpire, les semelles des promeneurs s'impriment dans les trottoirs.
Dans son bureau, le Docteur Iliarde Patterson sue à grosses gouttes. Sa chemise blanche en soie révèle par endroits son corps accablé par la chaleur. Le large fauteuil de cuir sur lequel le psychanalyste est assis le colle dans le bas du dos et ses tempes rendent un tintement irrégulier et nerveux ; celui de son cœur.
Le feu estival n'explique pas à lui seul la tension du Docteur Patterson. Il attend son prochain rendez-vous. C'est à 14h30 que l'objet de son tourment va s'annoncer. Plus que quelques minutes avant de l'appeler dans la pièce. Derrière son bureau en bois massif, le jeune analyste prend de profondes inspirations afin de tirer sur la bride de son excitation qui galope depuis la veille. Depuis qu'il sait qu'elle va venir.
- Elle est comme tout le monde, essaye-t-il de se convaincre.
Voilà qu'il tente de la banaliser ! Pour s'apaiser un peu des tisons qui crépitent dans sa tête, il veut en faire une femme lambda. Une femme de tous les jours. Une de celles dont on oublie parfois qu'elles ont des lèvres douces comme les pétales d'une rose, une poitrine lourde qu'elles veulent faire taire par le bâillon d'un soutien-gorge trop étriqué et une cambrure que l'on veut gravir de ses mains en dépit de l'escarpement.
La vérité, c'est que le Docteur Patterson est comme tout le monde et non la femme de 14h30. Quelque part, il le sait, mais il lui reste deux minutes pour l'oublier. Dans son fauteuil, il ne doit être qu'une tête qui mange la parole et recrache, épuré, un discours salvateur permettant au plaintif de jouir d'une semaine vivable, jusqu'au prochain rendez-vous.
Bien entendu, en qualité d'analyste, il a l'habitude de discuter la bagatelle avec sa clientèle de femmes frigides et de maris trompés. Mais avec la femme de 14h30, peut-il réellement aborder la sexualité, sa sexualité à elle, sans frémir ?
       C'est la première séance. Il sait que ce sera la plus dure. Il suffit de passer ce cap et peut-être par la suite s'habituera-t-il à ses épanchements sur ses multiples coïts, à la façon dont elle gémira, là, sur son divan, en se remémorant ses nuits d'amour vibrantes d'extase. Oui, il s'y habituera le bon Docteur Patterson. Il peut déjà se le représenter dans une image bien nette aux contours justement découpés. Ça le revigore, ça regonfle sa poitrine. Il est plus fort que tout. Plus fort que tous les appâts de la femme de 14h30. Plus fort que tous les crochets qui parsèment sa peau et qui capturent le regard concupiscent des mâles.
- Mrs Baker, vous pouvez entrer, déploie-t-il d'une voix robuste.
La porte s'ouvre et une silhouette plantureuse se découpe déjà dans l'embrasure. Dès lors, Patterson et sa robustesse s'étiolent. Elle pénètre dans la pièce et l'illumine de son sourire. Cela achève de fendre la volonté monacale de l'anachorète des divans. Il est dans une merde noire, l'eunuque aux grandes oreilles.
Sur son fauteuil de cuir brun, le médecin se redresse, place ses mains sur ses cuisses, se met au garde-à-vous derrière son imposant bureau.
- Je suis psychanalyste, se murmure-t-il en manière de formule magique, comme s'il s'imaginait être au-delà de la chair, oublieux de ce par quoi chaque jour il pisse.
La beauté déambule sur un podium invisible, juchée sur ses talons hauts. Sa robe se serre par endroits dans sa démarche lascive, éveillant par ce sortilège ses courbes félines. Elle s'assoit sur le divan, à quelques mètres de Patterson.
- Bonjour, pépie-t-elle, avec ce sourire rouge qui souffle un sirocco de pulsions.
- Bonjour... Mrs Baker... balbutie le jeune homme. Vous pouvez venir vous installer sur ce fauteuil face à moi.
Il lui désigne la place d'un geste du menton, gardant ses mains fiévreuses et raides bien planquées sous le bureau.
- Nous userons du divan plus tard, finit-il d'annoncer.
- Oh ! La vie m'a appris à ne pas trop m'approcher des hommes. Aussi aimerais-je rester là pour cette séance, Docteur. Si cela ne vous dérange pas ?
Il est soulagé. Elle lui facilite le travail.
- Mrs Monroe, pour quelle raison venez-vous me consulter ?
- Je préfère que vous m'appeliez par mon vrai nom, Docteur Patterson. Mrs Baker, fera l'affaire. Marilyn, c'est la femme qui s'enfuit dans ses rôles, celle qui ne sait pas être elle-même et qui veut vivre toutes les vies. C'est une partie de moi, mais je voudrais vraiment que Norma Jeane Baker ne soit pas ensevelie par elle, comme on recouvre un vieux piano poussiéreux d'un drap blanc.
- Excusez-moi, Mrs Baker, s'aplatit l'analyste d'une pleine contrition.
- Vous savez, il est difficile de voir quelqu'un d'autre que Marilyn quand je rentre dans une pièce. Il m'est d'ailleurs impossible de trouver un psychiatre compétent. Vous êtes le neuvième que je rencontre en six mois.
Le Docteur Patterson est interloqué. Il cherche la raison d'une telle confession. Elle reprend doucement, mais son air enfantin laisse place à une expression plus profonde. C'est le visage d'une femme qui étend son pouvoir, qui fait battre ses cils comme les ailes d'un papillon, mais qui tisse dans sa pupille noire la toile d'une araignée.
       - J'ai un petit jeu avec les médecins que je rencontre. Disons que c'est un test, s'amuse-t-elle en toisant son hôte qui est toujours droit dans son fauteuil.
Elle se lève lentement et se débarrasse de sa robe en mousseline. Elle lève la tête en contemplant de haut la mine surprise de l'analyste et secoue ses cheveux blonds qui retombent sur ses épaules quand elle dégrafe son soutien-gorge. Ses seins, rondeurs charnues, sont pareils aux sculptures grecques : droits, fiers et semblent immortels. Mais ils sont volumineux, exagérément denses comme deux fruits mûrs, repus de soleil. Elle pose son soutien-gorge sur le divan, à côté de sa robe blanche. Puis elle se tourne.
Patterson tente de toutes ses forces de dire quelque chose, mais il babille un sabir que lui-même ne comprend pas. Alors que ses yeux bouffent le spectacle à pleines dents, il pantèle comme un bœuf sous le joug. Il a l'œil aussi vif que la bête de somme, néanmoins lui, il a des couilles. Deux gros boulets bien lourds pour un type pour qui la baise n'est que le problème des autres. Il n'a pas étreint une femme depuis plusieurs mois. Et Marilyn Monroe est là, face à lui. Ou bien Norma Jeane Baker, mais il s'en tape. Elle fait glisser lentement sa petite culotte blanche le long de ses fesses. Ses hanches sont larges et l'arrondi de sa croupe est une voûte exquise, une colline sur laquelle roule son désir. Les pensées s'amassent anarchiquement dans le crâne du Docteur. Il aimerait que sa langue visite la crête du canyon qu'il contemple. Il veut que sa bouche lèche ce pourtour, jusqu'à rencontrer l'invisible sexe qui doit s'étendre là-dessous, telle une clairière où sa langue râpeuse pourra s'établir un moment. Un putain de long moment. Il veut la rafraîchir avec sa salive et boire tout son corps d'une traite et le reboire encore. Il prend conscience qu'il est entraîné dans le maelstrom de son fantasme et tente de s'arrimer à son devoir. Il n'ira pas. Il ne quittera pas son fauteuil.
       La petite culotte tombe sur le sol. Elle tourne la tête et considère la face rouge du Docteur en s'égayant, se passant les mains sur les fesses. Alors, elle s'allonge sur le divan et s'étire comme une chatte au corps élastique. Puis, elle cambre son dos en empoignant ses seins avec violence. Elle darde parfois un regard mutin à l'analyste dont la sueur abonde au sommet de son front incandescent. Elle se pince le mamelon et halète, pousse un petit cri, discrète sensation de volupté qu'elle tente de prolonger en descendant à présent sa main vers son sexe.
Le médecin ne dit mot et il tente de se ligoter au mât pour ne pas entendre le chant de la sirène. Il se dit qu'il va attendre que la tempête soit passée et pour donner bonne figure, il remonte sa main gauche afin qu'elle soutienne sa joue, son bras reposant sur l'accoudoir. Il espère que cette posture lui donne l'aspect d'un homme placide. Il tremble un peu sur son fauteuil. Ses fesses se lèvent parfois pour trouver une meilleure position. Il se dandine, impatient. Mais il n'ira pas. Il en va de son honneur.
Elle pianote sur son vagin pour y jouer la partition de son plaisir, étire ses grandes lèvres gonflées pour leur faire avaler le bout de son index et de son majeur. Et quand elle sent que cette autre bouche est avide de plus grosses cuillerées de jouissance, elle descend vers elle sa seconde main pour lutiner son clitoris. Le taquinage du bourgeon la fait maintenant hurler.
- Oui ! ahane-t-elle.
Et le bon Docteur est derrière son bureau, carmin comme la muleta d'un torero et ne sachant plus ce qu'il est : les oreilles ou la queue ?
Soudain, elle se pâme. Le plaisir succombe dans l'orgasme et son air béat en est l'oraison funèbre. Mais sans attendre, elle se rhabille. Elle referme vite sur ses seins le soutien-gorge, prison de coton. Elle renfile sa robe de mousseline, cet écrin transparent qui épouse ses formes avec plus de fidélité que les hommes qu'elle a connus. Enfin, elle ramasse sa petite culotte et s'approche de l'analyste. Elle la lui jette et tourne les talons en direction de la sortie.
- À lundi, Docteur.
Patterson a tout juste le temps d'ajouter l'horaire avant que la porte ne claque derrière Mrs Baker :
- 14h30...
Enfin, il souffle. Hagard, il se saisit de la petite culotte avec sa main gauche, cette main d'artifice, cette actrice. Il la porte à sa main droite afin d'essuyer le liquide épais et blanchâtre qui la recouvre.
- Heureusement qu'elle ne m'a pas serré la main ! expire-t-il avec soulagement.
La petite culotte de Mrs Baker essuie enfin le bout de son sexe encore turgescent.
- La prochaine fois, il faudra que je le fasse avant de la recevoir... se résout-il, la mine réjouie d'avoir gagné cette nouvelle patiente.

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