La fermeture

chevalier-neon

Je n'aime pas écrire.

Il fallait que je mette les choses au clair. Pour ceux qui ont pu le croire ne serait-ce qu'un infime instant dans leurs vies d'ignorants, il fallait que je le dise : Je n'aime pas écrire.
Ce n'est pas une chose importante en soi, certes. Ce n'est pas comme si ça allait changer quelque chose pour vous de le savoir ou pas. Mais enfin, mettez-vous à ma place ; imaginez un peu que l'on dise de vous des choses qui ne soient absolument pas vraies. Le monde entier aurait de vous une image, valorisante ou dévalorisante, qui ne vous correspond en rien.
Vous seriez aimé ou méprisé sur la base de RIEN DU TOUT.
Et ça vous ferait sérieusement chier, non ? Parce qu'on a beau dire que la vérité fait mal, mais je pense que c'est le seul mensonge qui fait vraiment mal. Si le mensonge n'existait pas, la vérité n'aurait aucune raison de faire mal. Parce qu'elle serait connue d'avance, telle une parfaite évidence, et elle ne surprendrait personne, elle ne décevrait personne.
Si tout le monde connaissait la vérité sur toutes choses, alors tout le monde pourrait agir de manière adéquate à cette vérité. Et jamais personne ne ferait les mauvais choix, jamais personne ne se baserait sur des illusions.

Pour cette raison, je pense que faire le point sur ce qui est vrai ou non est essentiel, tant pis si cela doit paraître un détail pour vous.

Alors, je vous le dis : je n'aime pas écrire.


Non seulement écrire pour moi n'a jamais été une passion, mais ça n'a jamais non plus été un passe-temps : bien au contraire, écrire est pour moi un calvaire qui fait perdre du temps.

Un peu comme exercer un métier que l'on abhorre juste parce que l'on n'a pas le choix car il faut bien gagner sa vie, voyez-vous.
Et encore que, là on où parle de gagner sa vie, il faudrait plutôt parler de ne pas perdre sa survie.

Alors non, je n'aime pas écrire. Je le fais, oui, tous les jours même, et ce depuis des années, mais que ce soit clair : je n'aime franchement pas ça.

Alors pourquoi je le fais, me direz-vous ?

Mais parce que, je l'ai dit : il faut bien gagner sa vie, ou plutôt ne pas perdre sa survie. Or pour moi, il n'existe qu'un moyen de gagner ma survie ; et ce moyen est l'écriture.

Ne me demandez pas comment ni pourquoi parce que je n'en sais rien.
Je sais seulement que j'aurais complètement perdu la tête si, il y a cinq ans de cela, je n'avais pas sérieusement commencé à écrire.  

Cela a commencé par des poèmes d'abord, tout aussi désordonnés que l'intérieur de ma tête, puis mon premier roman, écrit il y a quatre ans.
Il est mal foutu, bien sûr, puisque ma tête est mal foutue ; mais au moins, c'est dit.
Qu'est-ce qui est dit ? Plein de choses que je voulais dire, toutes sortes de choses. C'est mal dit, certes, mais au moins, c'est dit.
Et moi je dis qu'il vaut mieux mal dire des choses vraies plutôt que de bien dire des choses fausses. Les choses mal dites, si elles sont vraies, seront comprises par ceux qui veulent les comprendre.
Tandis que les choses fausses bien dites, juste parce qu'elles sont bien dites, exerceront beaucoup plus d'influence sur les esprits faibles ou de mauvaise foi.

En ce sens, les choses fausses bien dites sont bien plus nocives que les choses vraies mal dites.

Moi j'écris les choses parce que je les pense. Je les pense parce que c'est vrai.


Donc moi, je dis les choses. Mal, mais je les dis.

C'est pour les dire que j'écris. Parce que je ne connais pas d'autres moyens de communication.
Dire des choses vraies à l'oral, ça passe mal. Très mal.
Y'en a qui se font tuer pour dire la vérité, vous savez. Y'en a qui finissent leur vie en prison. D'autres qui sont torturés.
La réalité, c'est ce qui passe le plus mal dans le monde réel.
Réalité + réalité = gros conflit.

Avec l'écrit, on a l'excuse de la fiction.
Un peu comme ces gens qui déballent tout haut ce qu'ils pensent en prétextant que c'est de l'humour.

Autant dire que tout ce que j'écris n'est ni de l'humour, ni de la fiction. Enfin, de la fiction, ça en est, mais ça aurait tout aussi bien pu n'en pas être. Car mon but est la "vérité" qui va donc de paire avec la réalité. Aussi, toute ressemblance avec des personnages existant ou ayant réellement existé n'est absolument pas fortuite.

L'humour est bien souvent la vérité laide qui se cache. Laide, forcément, car si elle ne l'était pas, elle n'aurait nul besoin de se cacher. Voilà pourquoi je n'écris jamais avec humour. Pour ne pas cacher.

"JE SUIS NAZI ! ... Oh mais ça va, me regarde pas comme ça, c'était de l'HUMOUR."
En attendant le mec qui a crié ça est connu pour avoir tabassé des Juifs au lycée.

Autant dire que je déteste ce genre de personnes. Ce sont les plus lâches et les plus hypocrites. Cacher sa connerie et sa cruauté derrière le masque de l'humour, c'est odieux.
Déjà parce qu'il y a des sujets sur lesquels même l'humour ne peut pas plaisanter. Il y a des sujets auxquels l'humour n'est pas propice. Et rire sur ces sujets, c'est trahir son esprit tordu.

"J'ai violé une patiente hier dans mon cabinet... Je sais pas pourquoi elle l'a mal pris cette grosse conne, ça va quoi, c'était de l'humour."

Enfin, voilà.
Y'a des fois où il faudrait jeter des bombes.


L'écriture peut être une bombe.
Je ne suis pas une personne douée pour fabriquer des bombes ; je n'ai jamais appris à faire ça. Alors je fais en tâtonnant. J'expérimente.

Les bombes de tout temps ont servi à détruire pour détruire.
Moi je voudrais que les bombes servent à détruire ce qui est nocif pour préserver ce qui a de la valeur.
Détruire le mensonge pour préserver la vérité ; certes la vérité n'est pas toujours drôle. Mais le mensonge, si l'on y croit, empêche de faire face à cette vérité et de se battre pour ou contre elle. Pour elle si elle est juste, contre elle si elle est injuste.

Croire un mensonge empêche de soutenir les vérités justes et de lutter contre les vérités injustes.
Le mensonge est la racine de la perdition de l'être humain ; autrement dit, l'être humain est la racine de sa propre perdition.

C'est d'abord par amour pour l'être humain que j'ai voulu écrire. Pour lutter contre le mensonge et protéger cette espèce que j'ai jadis aimée si précieusement.

Les temps ont changé, bien sûr. Le chemin est certes différent, ou bien est-ce le regard qui se pose sur lui qui l'est, mais le but à atteindre reste le même. Il ne peut pas en exister d'autre après tout.

J'écris pour dire des vérités parce que la vérité est mon seul moyen de survie. Elle est ce qui à mes yeux existe de plus précieux. 

Ce n'est pas une passion ou une envie qui me pousse à agir ainsi ; c'est un besoin. Je suis un être humain exsangue qui a ce besoin vital sous peine de mort immédiate d'une nouvelle perfusion chaque jour. J'écris pour garder précieusement ce sang qui coule dans mes veines.

Il est rare. Infiniment rare et je ne peux me permettre d'en gaspiller une seule goutte.

Je ne peux me permettre d'arrêter d'écrire.

Je n'aime pas ça, pourtant. Mais je le fais parce que comme le sang dont ont besoin les malades, la vérité est trop rare. Bien peu de gens donnent leur sang pour les malades. La crise du sang est constante.

La crise de la vérité est aussi vieille que l'être humain.

La vérité fleurirait-elle partout où un nouveau-né apparaît en ce monde que je n'eusse pas besoin de le faire ; je serais libre de cette corvée obsédante qui me prend ma raison et mon temps et je pourrais peut-être m'adonner à des passions véritables.

Car ce besoin d'écrire est une obsession qui m'empêche d'avoir une passion. 

Et ce besoin d'écrire me vient du monde qui m'entoure. Tout ce qui peut être vu doit être dit. On s'en fout si c'est mal dit, tant que c'est vrai. La forme de l'écriture est un vieux métal oxydé servant de gangue qui ne doit pas empêcher de voir l'or du fond.

L'or rend riche. Pas le vieux métal au goût de sang.

Alors j'écris parce que la, les vérités me manquent. Seulement, il existe en ce monde autant de vérités que de questions et pour cette raison, écrire est un besoin qui ne pourra jamais être assouvi. Quand bien même vivrais-je dix mille années ; dans dix mille ans les Hommes seront toujours des menteurs et les vérités ne fleuriront jamais sur les bords de nos sentiers.

Moi je veux des fleurs. Tant pis si je dois les planter de mes mains. Tant pis surtout si elles sont recouvertes d'épines. Tant pis si elles n'ont pas d'odeur. Tants pis si elles doivent se noyer sous la pluie. 

Moi je veux des vérités, je veux des fleurs, il existe peut-être autant de vérités que de variétés de fleurs.

Embarras du choix, dites-vous ? Calvaire du choix, dites plutôt.

Malgré tout écrire est un acte salvateur. Il est ce qui m'empêche de dire définitivement adieu à ma raison.

Parce que choisir une de ces vérités parmi leur infinité revient à écoper une barque sur le point d'être engloutie sous l'eau qu'une tempête à peine calmée a laissée.

Oui, goutte par goutte peut-être, j'écope cette barque qui me maintient encore à la surface. Cette barque est ma raison et en-dessous d'elle il y a cet océan sans fond qu'est le gouffre de la folie. Parce que mes mains sont prises à écoper encore et encore, toujours et sans fin, je ne peux ramer pour me mener vers ma destination finale. Je fais indéfiniment du surplace, c'est vrai. Mais au moins, je ne coule pas.

Voilà pourquoi je parlais de ne pas perdre sa survie plutôt que de gagner sa vie.

La multiplicité sans cesse croissante des choix empêche de venir à bout de ce calvaire qu'est le besoin de l'écriture.

Il y a la torture du choix et l'angoisse du temps qui manque. On sait que le temps manque et la peur de le voir manquer nous paralyse, ce qui nous fait perdre plus de temps encore, ce qui nous paralyse d'angoisse plus encore. Il y a tant de choses à dire que le temps de toutes les vies humaines n'y suffirait pas. Alors, me direz-vous, dans ce cas, pourquoi s'évertuer à le dire si cela, par faute du temps, par la difficulté des choix infinis, se révèle être vain ?

Parce que je n'ai pas l'esprit tranquille tant que je n'ai rien écrit. Si une pensée qui m'obsède n'est pas mise en mots d'une manière ou d'une autre, j'ai en moi ce sentiment de vide, de frustration et d'urgence qui me pèse. Il FAUT écrire. Parce que je suis un être humain qui n'a que cette obsession en tête ; celle de dire. "Il faut que je leur dise", tels sont les mots tatoués dans mon esprit.
Même si je déteste ça, même si je ne sais pas comment m'y prendre, je dois écrire. 
Un célibataire n'est-il pas obligé de faire sa propre cuisine s'il ne veut se laisser mourir de faim ? Il est nul en cuisine, il excècre ça et pourtant il la fait, mal certes, mais il la fait sans quoi son ventre se creuserait et il finirait par en mourir. C'est pareil pour moi. L'écriture est une nourriture sans laquelle je créverais de faim. Là où l'absence de nourriture laisse le ventre vide et criant famine, l'absence d'écriture pour moi me laisse une âme vide et hurlant d'agonie. L'écriture est ma nourriture. J'en suis presque boulimique ; j'en mange tellement que parfois je n'ai d'autre choix que de la recracher pour ne pas étouffer. L'écriture est une cuisine que je déteste faire et que pourtant, je ne peux que faire moi-même. Bien sûr je rêverais qu'un ou une autre la fasse à ma place. 

Mais il existe une vérité fatale ; l'on est jamais mieux servi que par soi-même. L'écriture est une cuisine que je me dois de faire de mes propres mains car si un autre la faisait pour moi, alors cette nourriture pourrait ne pas m'être comestible et m'empoisonner.

Alors, il me faut écrire pour me nourrir, sans quoi mon âme créverait. Il me faut écrire les vérités et écrire sur elles parce que personne d'autre ne me nourrira d'elles. J'écris parce que personne d'autre ne l'a écrit.

Si quelqu'un l'avait écrit alors, peut-être aurais-je été libre de ne pas le faire.

J'écris, en réalité, pas tellement parce que je tiens à le dire.

J'écris parce que je veux l'entendre. Parce que je veux le lire. Mais que personne ne l'a écrit pour ça.

Je le dis dans l'espoir fou qu'un jour mes mots fassent écho et qu'un être humain sur cette Terre les dise après moi. Je dis dans l'espoir de convaincre, parce que je veux qu'on le dise aussi, parce que je veux l'entendre.

Je veux entendre ces vérités de lèvres humaines.

Mais une fois encore, choisir parmi toutes les variétés de fleurs à faire pousser au bord de mon sentier, choisir parmi tous ces ingrédients capables de me nourrir est une torture.

Choisir est un enfer. Il y a tant de choses à dire qu'au final, l'on ne sait plus où donner de la tête et l'on finit par perdre la raison.

Alors l'on reste longtemps sans rien dire. Parce qu'il y a trop à dire, justement, et que l'on ne sait pas par quoi commencer. Ni comment le commencer, moins encore comment le continuer et le finir.

Les vérités sont infinies et sont autant de visages dont tous les peintres du monde ne sauront faire le portrait ; elles sont des infinités de personnages que tous les écrivains du monde ne sauront mettre en scène.

Certains d'entre ces visages sourient, d'autres pleurent. La plupart pleurent.

C'est pour cela que je voulais écrire.

Mettre en scène ces visages pleurant tels qu'ils sont, sans artifices ni fioritures, sans masque ni maquillage, et, à la fin, essayer de les faire sourire. Les faire parvenir à sourire parce qu'ils auront été montrés tels qu'ils sont. Parce que l'on les aura reconnus tels qu'ils sont.

Parce que ce sont les humains, après tout. Bien d'entre eux sont les premiers à mentir, mais d'autres sont aussi les premiers à vouloir être reconnus pour ce qu'ils sont. Les uns se cachent pour ne jamais être vus quand d'autres ne rêvent que de pouvoir enfin se révéler au grand jour.

Mais il y a tant à dire et l'épuisement me monte au cerveau.

Il y a des personnes qui deviennent aveugles parce qu'il y a trop de choses à voir, moi à présent je me résigne à la mutité parce qu'il y a trop de choses à dire.

Et que je ne suis qu'une seule personne face à tous ces mots imprononcés que j'ai rêvé d'entendre de bouches humaines un jour.

Je vais choisir la mutité parce que je ne veux pas ruiner mon entière existence si infime face à l'immensité des vérités. Alors, pour ne pas parler pour rien, pour ne pas parler dans le vide, je vais me taire.

Maintenant, vous n'avez plus qu'à imaginer tout ce que voudrait dire un muet si, seulement, il était capable de parler.

  • Chevalier Néon : "Détruire le mensonge pour préserver la vérité; certes la vérité n'est pas toujours drôle. Mais le mensonge, si l'on y croit, empêche de faire face à cette vérité et de se battre pour ou contre elle. Pour elle si elle est juste, contre elle si elle est injuste. Croire un mensonge empêche de soutenir les vérités justes et de lutter contre les vérités injustes. Le mensonge est la racine de la perdition de l'être humain; autrement dit, l'être humain est la racine de sa propre perdition."

    · Il y a presque 11 ans ·
    Vkhagan orig

    Victor Khagan

  • Il fallait le dire oui, juste au bon moment, juste quand ont ressent les choses, pas une minute avant, pas une minute après.... J'espère vous lire encore et encore Chevalier Neon. Vous avez ouvert des portes, je ne souhaite plus les refermer. Merci pour vos écrits, merci d'écrire la lave qui ronge l'âme humaine. Trop de douleur, rester muet, j'ai connue et je comprends... néanmoins, ceci n'est pas l'ultime solution, encore moins "La fermeture"

    · Il y a presque 11 ans ·
    282991 449341068466754 2041465576 n orig

    libertad-querida

  • Pour le fourre-tout, c'est totalement vrai, toutes mes excuses. Je l'ai écrit vraiment sur un coup de tête sans réfléchir et je l'ai bâclé parce que je devais finir vite parce que j'avais autre chose à faire. Mais je devais le dire maintenant, sans quoi après je n'aurais pas trouvé les mots.

    · Il y a presque 11 ans ·
    Ryo88

    chevalier-neon

  • J'aime beaucoup ce texte. Un peu fourre-tout à certains moment mais très très intéressant. Surtout ce passage que j'ai vraiment aimé : "Et moi je dis qu'il vaut mieux mal dire des choses vraies plutôt que de bien dire des choses fausses. Les choses mal dites, si elles sont vraies, seront comprises par ceux qui veulent les comprendre.
    Tandis que les choses fausses bien dites, juste parce qu'elles sont bien dites, exerceront beaucoup plus d'influence sur les esprits faibles ou de mauvaise foi."

    · Il y a presque 11 ans ·
    20100211 drims 465

    drims-carter

  • C'est l'un des plus beau texte que j'ai lu sur WLW. J'en reste muet.

    · Il y a presque 11 ans ·
    Weekendplansnewest

    mlleash

  • Victoooooooooor vous avez fini de lire le texte juste avant que je n'y ai rajouté des choses XD bon pas grave. Vous le savez maintenant, mais je croyais vous l'avoir déjà dit par mail =)

    · Il y a presque 11 ans ·
    Ryo88

    chevalier-neon

  • Ah bon ? J'y avais cru...

    · Il y a presque 11 ans ·
    Vkhagan orig

    Victor Khagan

  • J'ai vraiment aimé. . .L'idée est bien construite mine de rien ! C'est naturellement bien écrit ! Beaucoup de vérité ! J'ai été absorbé par la lecture ! En effet, c'est très agréable et intrigant à lire ! Et quel chute ! Sans oublié les images qui tu arrive à introduire dans ton message et ta réflexion ! Pour moi, c'est un vrai coup de cœur !

    · Il y a presque 11 ans ·
    Mains colombe 150

    psycose

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