la fête des pères

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La fête des Pères

Il était le 4ème, il aurait pu être « le petit dernier ».

 Seulement voilà, il y eut un cinquième,  puis un sixième garçon avant les deux dernières : des filles, enfin !

Il s’appelait Georges mais dans la famille on l’appelait « Jojo ».

Pour ses amis, il était « nounours », en raison de son allure pouponne  et grassouillette qu’il gardait de son plus jeune âge.

 Cette silhouette il l’avait conservée,  à l’âge adulte.

Oui,  un peu grassouille avec ce « ouille qui minimise le cas », ce « ouille » qui rend  sympathique celui qui le porte…

Souriant et franc, toujours prêt à rire, toujours.

 Le premier aussi à donner de sa présence conviviale  lors des réunions familiales.

Et dans cette famille là, autant vous dire que des retrouvailles ou  conseils autour des  « Aînés »  étaient choses courantes !

En l’occurrence, Jean, le papa de cette fratrie était aussi « l’Ancien ».

Il était le plus âgé des oncles et tantes encore en vie, et donc, à ce titre, lui revenait d’initier et de présider les rassemblements familiaux.

Bien sûr, les fêtes religieuses du calendrier étaient le meilleur prétexte aux retrouvailles, car  « chez ces gens là »  on croit et cela se fête,  c’est comme ça !

La croyance comme un héritage, tout comme les yeux vairons de notre grand-père dont Jojo était le dépositaire.

Il y avait aussi des  réunions informelles, celles de dernières minutes : La réussite d’un examen,  l’obtention d’un permis,  l’entrée dans la vie active, la naissance d’un nouveau venu dans le cercle familial…

Moi, la fille unique, entourée de tous ces cousins et cousines, j’adorais passer les vacances chez mon oncle.

Et puis, j’étais fière car « Tonton Jean » était aussi mon parrain alors, je me sentais très très proche de ses enfants, un peu comme si j’étais moi aussi une des leurs, une autre sœur, en quelque sorte.

Oui, une autre frangine.

 Parmi les enfants qui m’entouraient, mon préféré était Georges.

 Jojo, le 4ème d’une fratrie de 8 ! Mon aîné de 2 ans.

Lui, aussi semblait toujours très heureux à ma venue.  Lui,  l’ « enfant du milieu ».

Oui,  Il y avait « les grands », « les petits » et « Jojo » !

C’est vrai que dans la famille, c’est comme ça que l’on parlait d’eux.

Tonton : «  Vous savez que les grands vont aller en colo cette année, je les ai inscrit à la ville pour le mois de juillet, alors, Jojo restera avec  Mary  et les petits ». 

Maman : « Mary,  tu veux bien passer tes vacances  avec  Jojo  et les petits ? »

Moi : « Ben…  oui ! »

Je disais cela avec une toute petite voix, à peine prononcée, pour dissimuler la trop grande joie que j’avais finalement à l’annonce de cette nouvelle.  Ne rien faire paraître, surtout ne pas montrer ta joie. … J’étais comme ça !

Moi,  j’étais ravie par « ce grand frère » qui m’était donné à chaque vacance scolaire.

A l’adolescence, avec Jojo ce qu’on aimait par-dessus tout, c’était rester  dans la chambre qu’il partageait avec les petits puis en leur absence, écouter nos chanteurs à textes préférés.

Nous étions dans les années 70 et nous nous ravissions à l’écoute de Barbara, Jean Ferrat, Léo Ferré, François Béranger, Maxime Le forestier et sa sœur Catherine,  Georges Brassens, pour ne citer qu’eux.

Bien sûr nous connaissions leurs paroles par cœur et Jojo s’était fait offrir une guitare à son anniversaire des 14 ans pour pouvoir accompagner nos voix.

Un vrai plaisir !

Nous fûmes alors, sans conteste, de vrais ados contestataires, héritiers de « nos aînés 68 ».

Avec Jojo et seulement avec lui, je laissais éclater ma joie et mes contentements.

Lui seul, sans doute connaissait le son de mon rire.

Ce rire, je le jetais, public acquis que j’étais,  à l’humour de mon cousin.

Oui, il savait comme personne m’amuser.

 Jeux de grimaces, imitations,  j’étais au spectacle, lui m’offrait un « one man show détonant.

J’étais sa plus grande fan !

 Je le voyais alors transformer sa voix en celle de Thierry Le Luron imitant Valéry Giscard d’Estaing ou bien encore, pour mon plus grand plaisir, il singeait son homonyme, l’autre Georges, le politique, celui qui nous régalait tant de ses passages télévisés: Georges Marchais.

Je riais.

Pourtant, nous grandîmes.

Et …Nos retrouvailles s’espacèrent.

Jojo,  lui-même,  quitta le domicile familial pour suivre  une voie professionnelle qui devait l’emmener sur l’Ile de la Réunion. Pays natal de sa mère.

Sa mère.

Celle-ci était décédée  alors que la dernière née de ses enfants atteignait l’âge de 10 ans.

L’on parlât alors d’un arrêt cardiaque.

Mon parrain courageux éleva seul ses huit enfants. Il était très pieux.

Il eut sans doute une grande aide des cieux !?

J’avais été très affectée par le  décès brutal de ma tante. Elle avait été la marraine que l’on m’avait choisie.

Régulièrement, je me tenais informée du devenir de mon cousin.

Je ne correspondais cependant pas avec lui.

 Souvent, j’appelais mon parrain.

Pour la fête des pères aussi.

 N’était-il était pas pour moi un « autre » papa ?

 Je ne manquais jamais de lui demander des nouvelles de Georges.

Une triste nouvelle s’abattit ce  jour de juin sur le bleu enchanté du jour de fête des pères.

L’atmosphère se changea rapidement en grisaille de journée hivernale : « Georges est mort ! » La voix de mon oncle déraillait, tout comme son esprit, en prononçant ces mots.

Un père abattu par le poids du malheur et de la désespérance.

Quant à moi,  je défaillis au combiné du téléphone.

Georges, mon cousin préféré, mon frère d’innocence, mon Jojo des années bénies de l’enfance, était décédé, seul, loin  des siens, sur l’Ile Bourbon, dite l’Ile de la Réunion.

Il venait d’atteindre 33 ans.

L’âge du Christ dit-on dans la famille.

Mon oncle partit seul pour l’Ile.

 Aucun de ses enfants ne fit le voyage.

L’autopsie indiqua une rupture d’anévrisme. Une fragilité,  aux dires de l’hôpital,  qu’il portait sans doute depuis la naissance.

 «  Votre fils avait une malformation congénitale mais celle-ci ne pouvait pas être  identifiable sans une exploration fouillée. Jusqu’alors, son état de santé ne nécessitait pas cette démarche. Nous sommes désolés. »

Malformation dite congénitale.

Un autre héritage sans doute !?  Mais celui-ci ne permit pas à  Georges de faire son entrée dans le XXI ème siècle.

Héritage funeste.

Le cœur de mon oncle frémit et s’affaissa au lit de son fils défunt.

Il ne succomba pas mais garde depuis ce jour une sévère arythmie cardiaque et une douleur aigüe au tréfonds de l’âme.

Amputé d’un fils, qu’y a-t-il donc de plus cruel ?

Aucun autre des  enfants ne remplace l’absent.

Les voici sept à présent comme les jours de la semaine.

Dès lors, en moi, la solitude sombre et glacée déploie ses ailes.

A l’approche de la fête des pères, un vide immense  creuse sa fosse à la pensée « du quatrième ».

  • Heureuse ma chère cousine de te trouver ici et merci à toi un énorme bisou oui, tu vois je lâche les mots de notre enfance de nos douleurs mais de nos joies aussi...Pour moi l'écriture est une sœur siamoise, mais tu le sais...Quant à l'autobio...Encore quelques années à égrener sans doute et puis je ne connais que l'écriture courte et romancée. Cependant, ici quelques Nouvelles énoncent déjà une part de ce demi-siècle là...

    · Il y a presque 13 ans ·
    Et  2011 264 orig

    mlpla

  • J'ai faillit éclater en sanglot.
    Très bien écrit, surtout que cette histoire parle de mon père et de mon frère.
    J'aime! A quand ton auto-biographie?
    Bisous.Elise.

    · Il y a presque 13 ans ·
    Default user

    lize

  • Edwige, Christine et Marco vous vous êtes bien présents et merci...

    · Il y a presque 13 ans ·
    Et  2011 264 orig

    mlpla

  • Tous les êtres aimés ne nous quitte jamais.....

    · Il y a presque 13 ans ·
    Pict0112

    nawyecky

  • J'ai lu sur un mur "faisons nos coeurs si grands que nos chers disparus puissent y vivre debout", ce texte plein d'amour est cela... merci !

    · Il y a presque 13 ans ·
    Camelia top orig

    Edwige Devillebichot

  • Ce sont vos mots : de si beaux témoignages sensibles, merci beaucoup Minou, belle émotion cette fois sans larmes et avec un grand sourire pour vous tous...

    · Il y a presque 13 ans ·
    Et  2011 264 orig

    mlpla

  • J'ai mis un peu de temps pour poser un commentaire, espérant que les mots me viennent ... Et comme ce n'est pas le cas, et que je sens la boule se former au fond de ma gorge, je vais juste te dire que c'est un très très beau témoignage !

    · Il y a presque 13 ans ·
    Tourbillon 150

    minou-stex

  • Merci de tout cœur...

    · Il y a presque 13 ans ·
    Et  2011 264 orig

    mlpla

  • Les larmes aux yeux Mary...Et toute mon amitié en cette période difficile. Je prends cela comme une grande marque de confiance, de nous donner à voir, sur ce drame intime et puissant. Je le mets en coup de coeur ton texte, très bel hommage.

    · Il y a presque 13 ans ·
     14i3722 orig

    leo

  • Merci d'avoir pris le temps de lire Selig, il est difficile de rester "légère" sur une charge émotionnelle...

    · Il y a presque 13 ans ·
    Et  2011 264 orig

    mlpla

  • C'est très fort en émotion.

    · Il y a presque 13 ans ·
    Portrait orig

    selig-teloif

  • Merci Sophie...

    · Il y a presque 13 ans ·
    Et  2011 264 orig

    mlpla

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