La fille aux grand yeux

sugar

Il y avait cette fille au rayon cochonneries du super marché. J’la regardais pas, je la voyais pas. On regarde pas les gens, on est là mais on les voit pas, on prend pas la peine, pourtant ils sont justes là a côté de vous mais on les voit pas. Moi j’ai levé les yeux et  je l’ai vue, enfin je l’ai pas vue elle, j’ai vu ses yeux en fait. Sous cette lumière crue ils ressortaient impitoyablement, grand, très clair, plein de larmes. Elle m’a regardée peut être une seconde ou deux, ce fut bref, juste un instant, je n’ai pas eu le temps de la regarder mais je l’ai vue a travers ses grands yeux larmoyant, je n’ai vu que ça. Je l’ai vue elle, entière, douloureuse.

Je me suis sentie gênée au début par ce regard beaucoup trop vrai, qui en disait beaucoup trop. Puis j’ai eu mal, mal pour cette détresse si criante. Qu’est-ce qu’on doit faire dans ces cas là? Doit on passer notre chemin, avancer comme si on avait pas vu cette souffrance? Comme si on n’avait pas ressenti sa douleur? On la voit pourtant ! Mais c’est pas pour autant qu’on va tendre la main, non c’est pas comme ça que ça marche ici. Alors on détourne les yeux on fait comme si on n’avait pas vu la peine d’une vie en deux bref secondes, on se retourne pas, on laisse la douleur là où elle est tant qu’elle est pas chez nous, a bah oui nous on a assez avec la notre ! Nombriliste que nous sommes. C’est pourtant simple de tendre la main, ça coute rien même si l’autre n’en veut pas. On a rien a perdre, rien.

Et qu’est-ce qu’elle a vu elle? Est-ce qu’elle m’a vue, moi? Peut être qu’elle a vu dans mon regard mon hésitation, mon empathie puis mon désistement, peut être qu’elle aurait voulu demander de l’aide mais qu’elle a pas osé devant mon regard misérable. Peut être que sa fierté l’en a empêchée alors elle a mis toute sa peine dans son regard et me la lancé, comme une bouée. Un appel au secours, de femme a femme, d‘un être a un autre. Peut être aurait elle voulut ma main. Mais ça je ne le saurais jamais. Parce que je n’ai pas répondu, j’ai détourné le regard, j’ai fuis. Je n’en suis pas fière.

Ca n’a duré que deux petites secondes, peut être trois. C’était rien mais j’ai toujours son regard au fond des yeux, je n’ai vu que ça.


Je l’ai revue a la caisse, mais elle ne m'a pas vu. Un homme la tenait fermement par le bras la trainant, j’avais pas vu l’hématome sur son front ni la plaie sur sa lèvre, j’avais vu que sa peine. Et elle maintenant, elle baissait les yeux.

Signaler ce texte