la foret des hommes

lanimelle

La forêt des hommes

Quand j’y suis rentrée, je croyais qu’il en existerait qu’un.

Je crois que ca vient de l’histoire d’un prince charmant, les trucs pour les gamines, des histoires à la guimauve. Je croyais que quand on avait envie c’était pour la vie et avec le même.

J’ai très vite compris que ce serait pas comme ca pour moi.

Mon premier homme, je l’ai vu à 13 ans.
Il sortait du néant, il avait 17 ans.
J’ai rien dit, j’étais habillé d’un maillot qui cachait rien, ni le début de mes seins adolescents, ni ce ventre qui me complexait, ni les cuisses que j’avais à la mode culotte de ch’val.

C’était pas grave tout ca, il était là, la peau brune, élancé comme une arme de guerre à la fois terrifiante et fascinante.

J’étais en vacances chez mes grands parents, à la campagne sans véritables activités pour tricoter le temps, les vacances comme je les aime, celles qui laissent les minutes se jeter dans le rêve.

Il s’était pointé là, après avoir ouvert le vieux portail vert qui  grinçait et claquait fer contre fer quand il se  refermait.

Il avançait vers moi, j’ai pas bougé d’un pouce, il m’a demandé si mon cousin était là, j’ai entendu, j’ai pas répondu, moi je venais de sentir la décharge, cette chaleur qui transforme le ventre en un volcan furieux. Je savais pas ce que c’était alors sa question je m’en foutais. Je pouvais pas lui dire ce qui m’arrivait. D’ailleurs je pouvais le dire à personne qu’il y avait du grabuge dans mes tripes quand il avançait.

Je lui ai parlé quand j’avais 17 ans et lui presque 20, quand il m’a serré dans un bal populaire. Il rigolait, il disait qu’il se rappelait de la petite qui lui avait pas répondu. De la fille au maillot deux pièces, au corps pas fini, ni enfant, ni femme.

Il m’a serré contre lui, il croyait que je voudrai pas mais moi j’attendais que ca…
4 ans à ne pas savoir si on allait se recroiser et cette putain d’intuition qui tournait en boucle dans mon chantier de pucelle!
Il avait commencé un truc qu’il devait finir.
Il ne le savait pas mais il avait une mission.

Le beau brun aux mots rigolo devait m’ouvrir les portes du plaisir, il n’avait pas qu’à me déclencher au mordant, m‘allumer avec son corps de dandy gominé!
Cet apollon, ce dompteur de femmes avait du pain sur la planche, je lui ai raconté des histoires au jus d’encre, il a dit « ok bb ».
Moi j’aime bien quand on m’appelle « bb », encore maintenant à la veille de mes 40 ans, c’est pas comme chéri ou poupée ca dégouline trop le miel, moi j’aime pas ca, je préfère l’acidité, je préfère quand ca pique sur la langue, quand ca me bousille les papilles, quand le piment me fait suer, quand ca me fait chaud dans la bouche.

Il m’embarqua pour le 1er voyage, c’était un truc bizarre, ca bougeait toujours pour rien, gymnastique d’aller et retour, il semblait chercher un coin pour jeter l’ancre. C’était presque dérangeant de pas savoir ou il voulait en venir!

La 3ème fois, il m’a tout expliqué, je me demande ce qui c’est passé pendant l’absence, pendant le temps ou mon âme avait été éjectée de mon corps. Ca m’avait pris plusieurs fois quand il me cherchait, quand il me racontait sa peau en murmurant des « je t’aime ».
Sur la moquette qui use les genoux, on transpirait, j’étais repus de la nouveauté, j’étais arrivée à quai, j’avais foutu l’œil dans la serrure, je ne pourrai plus jamais le décoller.

Comme une peinture qui serait gravée en moi, un monde abstrait que je chercherai toute une vie à déchiffrer.

Après bien sur les secondes de morts, il reste la vie, tout ce petit merdier qui laisse peu de place au plaisir!

Il y en avait plein d’autre dans la forêt, voilà qu’ils se mettaient devant moi pour m’impressionner, pour que je vienne me pendre à leur branche.

Des fois c’était pour passer le temps, des fois c’était le cœur, des fois c’était nerveux.
Il n’y a pas de règle dans la foret.

C’est la nature qui parle, c’est les saisons qui fleurissent sans que l‘on ne fasse de souhait aux étoiles filantes.

Ils sont nombreux, mais il y en a qu’un qui a su jouer au troubadour dans mon âme et sur mon corps. C’est l’homme, le plus bel arbre, le plus immense de la forêt, celui qui a des yeux de verre, celui qui me regarde comme on fixe un mirage avant qu‘il ne disparaisse.

Il n’y a pas que des hommes ici, j’ai croisé des filles qui y trainaient, elles s’accrochaient à des racines, à des troncs pourris.

Moi je leur disais que ca servait à rien, le temps efface les promesses, les frontières sont faites pour être franchies, plus on s’accroche à l’homme, plus le temps se disloque, il ne faut pas emmener les branches hors de la foret.

Elles ne m’ont pas cru, j’étais la liberté, elles disaient que je ne pensais qu’à ca, que je passais à coté d’autre chose!
Elles me parlent maintenant des champignons empoisonnés qui poussent entre leur rides frontales, de leur vergetures qu’elles ont choppés en se laissant envahir par la sève masculine, de leur solitude malgré la bague.
Je suis toujours pas sure d’avoir loupé le meilleur!

Moi je suis toujours le pied nu, je gambade, je l’aime toujours mon arbre, celui auquel je ne me suis pas suspendue, celui  qui vit dans mon cœur plus que dans ma vie, celui qui me fait l’effet d’un premier jour, celui qui me play quand je lui dis rewind!

Il aurait bien aimé me garder contre son flanc à l’écorce idéale mais quand il voit mes yeux charbons et qu’il essore mon âme , il le sait bien que la liberté ne s’enferme pas, que je suis l’enfer qui se répand, le poison qui le tuerai.

Je vais souvent dans la forêt, sans forcément monter aux arbres, des fois je me fais griffer d’un simple petit bourgeons de chêne, ca m’émeut et je laisse la fille derrière en profiter, moi je regarde, je m’aventure souvent plus profondément dans l’antre de l’intimité de ces arbres centenaires, j’aime coller juste mon dos à leur peau striée qui ont vu tant et tant d’hommes et de femmes les toucher, graver leur initiales sur leur base.

C’est émouvant un arbre, ca parle grace au vent dans ses feuilles, avec la simplicité du cœur.

J’y ai connu ma plus belle saison dans la forêt, celle que tu as fait naitre en moi, cette certitude absolue que tu es celui qui m’aurait fallut si je n’avais pas été ce que l'on dit de moi, la liberté.


L’animelle

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