La Lys

Sylvie Palados

La Lys

1er décembre

La page blanche était là ! Rien à faire, impossible de créer quoi que ce soit ! Décidément mon éditeur sera encore énervé s'il m'appelle pour savoir si j'avance... tant pis, il faut que je fasse un break, que je m'aère les idées pour me recentrer sur l'essentiel. Quel essentiel ? Jacques m'a quitté il y a maintenant trois semaines, c'est à peine si je m'en suis aperçu, le nez dans mon roman... peut-être que sans me l'avouer, notre histoire était déjà finie depuis longtemps et je refusais de l'accepter... qu'elle cruauté, je venais de tourner une page de mon existence sans aucune maitrise... ah ! Elle était belle la grande Hélène EDDA, plus pitoyable que belle...

Je pars. N'importe où me porteront mes pieds, mais il faut que je m'en aille loin d'ici, de ces souvenirs qui m'assaillent, me hantent à chaque pas. Ça y est ! Je sais où je vais aller, chez mon éditeur bien sûr ! Depuis le temps qu'il m'invite et que je décline, autant foncer, plus rien ne me retient ici...

Me voilà dans le sud-ouest de la France. Très jolie campagne ! C'est exactement ce qu'il me fallait, le calme, la nature et l'oubli... ce n'est pas du tout l'image que je me faisais de sa résidence, mais je suis agréablement surprise de voir qu'elle est à taille humaine. Sa propriété est perdue au milieu des bois de pins. Lui si parisien, je lui découvre une sensibilité inconnue ! Il m'a remis les clefs sans aucune manière. « Pour ton repos » m'a-t-il dit. « je pense que tu y trouveras tout ce que tu souhaites ! » puis il m'a envoyé prendre le train. Comme d'habitude, je dormis durant le trajet, puis un chauffeur m'amena à « La Lys ». Joli nom de propriété, d'ailleurs l'allée qui y mena était encadrée de lys blancs. Il faudra que je me renseigne car des lys en plein hiver, je n'ai jamais vu cela. La demeure était de plein pied, petite, elle avait sans nul doute été restaurée, mais avec délicatesse. Les pierres grises apparentes encadraient des portes-fenêtres blanches qui rehaussaient leur teinte. La double-porte d'entrée blanche, était surmontée d'une marquise en verre teinté. L'employé de maison me reçut avec courtoisie et m'indiqua ma chambre. Quand je fus installée il me fit faire le tour du propriétaire. Je découvris alors que loin d'être petite comme j'en avais eu l'impression en passant la porte, la demeure était immense. Le bâtiment principal était destiné à la cuisine, le bureau et la chambre de mon éditeur. Deux ailes avaient été rajoutées de chaque côté que l'on ne pouvait apercevoir que de l'intérieur. L'aile de gauche abritait les chambres d'amis. Chacune portait un nom en rapport avec sa couleur de tapisserie, c'était certes à mon goût, suranné, mais cela avait sommes toute beaucoup de charmes ! Quant à l'aile de droite, elle contenait à elle seule le salon et la salle à manger ! Enfin, de quelque endroit on ne pouvait pas manquer la superbe piscine qui trônait entre les murs, encadrée d'une triple terrasse. Et comble de la beauté, chacune des terrasses portait des lys majestueux de toutes les couleurs, rehaussant le bleu profond du bassin. C'était divin...

Un paradis perdu au milieu des bois, je sentis que ma muse ne tarderait pas à venir me rejoindre ! Les vacances s'annonçaient belles. Je décidais d'aller explorer le jardin pour finir de faire connaissance avec cette somptueuse propriété et vaquait au hasard des allées. Un massif de lys apparut, intriguée je m'approchais en faisant attention à ce que personne ne me voit et constatais déçue, que ces lys étaient des faux ; certes ils étaient d'une très grande qualité et superbes, il fallait les toucher pour voir la différence, mais pourquoi mettre des fleurs éternelles au cœur de l'hiver, alors que la nature était si belle dans son dénuement ?

Sceptique je repartis au gré des allées, aimant me perdre en ce lieu sauvage et beau, auréolé d'un mince soleil de fin de journée. Je parcourus les sous-bois, découvris des chênes centenaires côtoyant les pins, les aulnes, bouleaux et autres bruyères. J'arrivais ainsi à ce que l'on appelle ici un airial. Un genre de prairie arborée, abritant un immense et vieux chêne, qui avait dû voir passer de belles pages de la grande Histoire ! Bel espace sauvage propre à la méditation !

Un vent léger vint caresser ma joue. Les rayons du soleil déclinaient rapidement. Il fallait que je revienne à la civilisation. J'avais trouvé le lieu magique, propre à me permettre de renouer avec mon imagination, j'étais enfin heureuse...

Le retour se fit sous le froid mordant de cette fin de journée. Le vent léger plus tôt était en train de se lever. Il m'assaillait, me giflait au visage, je le sentais s'insinuer sous mon manteau, je hâtais le pas, surprise par un tel changement de temps. La demeure fut en vue et c'est soulagée que j'y pénétrait. Le diner n'avait lieu qu'à vingt heures. J'avais un peu de temps après cette belle promenade pour découvrir ce que cachait ces lieux. Curieuse comme une vraie gamine, je décidais de commencer par le bureau de mon hôte.

C'était une pièce de taille moyenne, agréable au premier abord. Une cheminée s'y trouvait dans l'angle faisant face à la porte. C'était très original ! Le bureau avait été placé devant la fenêtre pour limiter la lumière artificielle, semblait-il, les murs étaient blancs, occupés aux trois autres angles par des bibliothèques allant jusqu'au plafond. Cela donnait beaucoup de pureté à la pièce sans la charger. Pour un éditeur s'était surprenant de n'avoir que si peu de livres à disposition ! Je pensais qu'il devait aimer se retrouver sans eux de temps en temps en venant ici. En parcourant les bibliothèques, je m'aperçus que les livres anciens qu'elles contenaient parlaient tous de la région. Certains même n'avaient aucune indication sur la couverture de cuir. Je voulus les ouvrir afin d'examiner de plus près ces trésors, mais rien à faire, elles étaient toutes fermées à clefs. Je me dirigeais alors vers la fenêtre et vis qu'elle donnait sur l'allée extérieure. On pouvait même deviner le portail au travers des branches des arbres. Je remarquais alors trois saules pleureurs en retrait du bâtiment, sur la droite ; il faudrait que j'aille y faire un tour demain, peut-être poussaient-ils au pied d'un courant ?

Le majordome me pria de passer à table. Je me dirigeais donc vers la salle à manger en le priant de bien vouloir m'installer à la cuisine, dès le lendemain, car il n'était pas possible que j'occupe seule cette si grande table. Je n'arrivais même pas à en voir le bout. Une vingtaine de chaises de chaque côté l'occupait. La salle à manger était totalement tournée vers la piscine et ses terrasses. Celles-ci avaient été allumées pour en admirer la beauté. Les lumières avaient été glissées harmonieusement au milieu des lys donnant une impression de feux d'artifice montant dans la nuit. Je comprenais mieux l'utilisation de fausses fleurs. Je fis part de mes interrogations au majordome et le félicitais pour ces lieux enchanteurs et le repas.

Son regard me transperça comme un couteau. Ses yeux étaient aussi glacial que le vent de ce soir. Je l'observais avec insistance quitte à paraître mal élevée. Il n'était pas plus grand que moi. Je n'arrivais pas à lui donner d'âge, j'aurais dit peut-être soixante ans ! Sans certitude. Il avait dû passer toute sa vie à servir et entretenir ces lieux. Comme on aurait dit vulgairement, il faisait partie des meubles... Mais là, un frisson me parcourut l'échine. Seuls ses yeux semblaient indiquer ce qu'il pensait de cette étrangère, qui l'interrogeait sur ses fleurs incongrues en plein hiver ! Et pour sûr, je n'avais pas vraiment envie d'entendre ce que je ressentais... Je baissais la tête et me remis à manger en restant digne quand même !

« Madame pourra aller au village demain, la voiture l'attendra à dix heures. Les visites sont organisées pour son confort et monsieur tiens à ce qu'elle y participe ».

Le ton était monocorde, froid, sans intonations, mais avec une oreille aussi avertie que la mienne, je saisis de la colère retenue. Il échappa à mon regard en me tournant le dos.

« Je suis ravie que mon séjour soit organisé, mais je souhaiterais aussi rester tranquille à visiter cette magnifique propriété ».

« Le parc ne se visite pas. Les jardins sont à votre disposition aux alentours de la maison. Les bois sont dangereux, car non entretenus en hiver, vous ne vous y aventurerez donc pas ! »

C'était un ordre déguisé! J'y discernais presque une menace... je me retins de répondre, je n'étais qu'invitée ici, je me passerais bien de son accord...

La suite du repas fut moins enchanteur et s'est en hâte que je montais me coucher. J'étais énervée, frustrée, rien que de repenser à ce qui venait de se passer mes poils se hérissaient. Je revoyais ses yeux marrons, froids, profonds. Une petite fille houspillée c'est tout ce que j'étais...

Un reflet attira mon attention à la fenêtre. Il me sembla discerner des lumières. Je coupais le courant pour mieux voir et comptais trois lumières dans le parc. Pour un parc non entretenu, il était plutôt fréquenté ! Ce qui me frappa pourtant c'est que ses lumières divergeaient, se perdant en des points hors de ma vue. Un de mes volets claqua ! Je sursautais ! J'ouvris ma fenêtre pour les fermer. Une bourrasque de vent me gifla en entrant dans ma chambre. Un courant d'air alors la parcourut, faisant s'envoler les feuilles des magazines que j'avais posés sur le bureau. Un frisson me parcourut quand je vis que ce phénomène ne s'arrêtait pas alors que mes volets étaient désormais fermés. Une sueur froide monta en moi. Mon cœur s'accéléra, mes peurs enfantines me rattrapèrent. Je me précipitais sur l'interrupteur pour remettre l'électricité. Le vent tomba en même temps que la lumière se fit !

Je vérifiais que ma porte était aussi bien fermée que ma fenêtre et me couchait sans oublier de laisser ma lampe de nuit allumée.

Mon sommeil fut peuplé d'arbres tortueux, dont le feuillage disparaissait, arraché par un vent furieux. La forêt était balayée par une colère noire, froide, insidieuse, qui couchait les plus frêles sur son passage. Un vent violent, accompagné de tornades de plus en plus grandes, de plus en plus rapides, déracinant, mutilant tout sur son passage !

Je reconnus l'airial où trônait ce chêne magnifique. Ses branches furent secouées de soubresauts, ses feuilles s'éparpillèrent dans la tourmente. Ses branches se mirent à balancer dangereusement, des craquements alarmants se firent entendre de plus en plus forts, de plus en plus rapides. Son tronc magnifique trembla. Le vent emplissait mes oreilles, une tornade surgit et il disparut à mes yeux. L'espace d'une seconde un silence de mort s'invita, puis un craquement suivit d'un tremblement de terre me réveilla en sursaut avec un hurlement de terreur !

Ma porte s'ouvrit, le majordome apparut, blanc comme un linge. Je m'excusais platement.

« Désolé, j'ai fais un cauchemar. Je regrette de vous avoir réveillé, ce n'est rien ! »

« Vous l'avez entendu vous aussi le vacarme qui venait du parc ? ! » me dit-il blanc comme un linge.

Mes idées n'étaient pas encore claires, mais je me mis à trembler sans comprendre pourquoi, soudain une peur panique me retournait le ventre, qu'est-ce que je faisais ici ?

2 décembre

Je me réveillais avec la bouche pâteuse. Un mal de crâne et la désagréable sensation d'être fautive. Mais de quoi exactement ? Mes draps étaient trempés, j'avais transpiré toute la nuit, pourtant ma chambre n'était pas trop chauffée. Je descendis prendre mon petit déjeuner dans la cuisine. J'aimais me réveiller doucement, déjeuner, puis me doucher et enfin émerger délicatement sur une nouvelle journée.

Mon café était servi. Une délicieuse odeur de croissants tout chauds m'ouvrit l'appétit. Même mon mal de tête sembla succomber. La cuisine était de belle taille. Elle comportait trois entrées. Une vers le couloir qui menait à la salle à manger, une vers le hall d'entrée et une troisième qui semblait s'ouvrir sur la terrasse. Bizarrement j'en étais moins sûre, car les fenêtre de l'arrière la surmontaient et se trouvaient en hauteur au tiers supérieur du mur. On apercevait le blanc immaculé des pierres de parement qui l'habillaient. J'étais surprise de cette architecture, d'autant que je n'avais descendu que quatre marches pour accéder à la cuisine. Alors où menait la troisième porte ?

J'en étais là de mes réflexions quand le majordome entra. Il ne m'avait pas donné son nom, je ne savais pas comment l'appeler.

« Bonjour monsieur » dis-je. Pensant ainsi qu'il me répondrait en me donnant son prénom. Il n'en ft rien.

« Bonjour madame, avez-vous bien dormi ? »

Quel toupet, alors qu'il était entré dans ma chambre en trombe après mon cauchemar, il me demandait si j'avais bien dormi ??

« Non, pas très bien. J'ai mal à la tête d'ailleurs, savez-vous si je peux trouver une pharmacie au village ? »

« Je préviens le chauffeur, il vous y emmènera »

Et il sortit me laissant abasourdie. Décidément il ne m'aimait pas, ça j'en étais sûre !

Je montais dans ma chambre pour me préparer et partis à l'assaut de ma nouvelle journée...

Le village était charmant. Il se trouvait sur une colline. L'ancienne nationale passait en son centre, et était encore bien fréquentée ! Le tourisme semblait en plein essor. Je comptais deux hôtels dans la rue principale et autant de restaurants. Le chauffeur m'arrêta à la pharmacie comme demandé. Elle était toute neuve. Elle sentait encore la peinture. Très spacieuse, bien agencée, avec un espace pour les tous petits, on s'y sentait bien, même l'odeur de médicament avait disparut ! Je patientais. Au moment où j'allais demander mon aspirine favorite, un homme entra rapidement, s'excusa et donna une ordonnance urgente.

« Je suis désolé, mais c'est une urgence, je dois tout rapporter immédiatement, ordre du docteur ! »

 La pharmacienne, au vu de l'ordonnance se renfrogna et marmonna quelque chose en allant chercher les boites prescrites. Elle revint rapidement les bras chargés, déposa le tout sur le comptoir et commença à tout saisir sur l'ordinateur.

« Jacques, tu diras à Delphine que je commande le reste, tu pourras venir les chercher dans deux jours ».

« D'accord, merci » Je le regardais et j'avoue qu'il avait de très beaux yeux, encadrés de longs cils. Il me lança un regard et je sentis mes joues bouillir. Il y avait bien longtemps qu'un homme ne m'avait pas fait rougir. Quelle idiote ! Je détournais la tête et attendis sagement de nouveau mon tour.

« Bonne journée ! » dit-il en sortant, je répondis automatiquement et je croisais encore son regard. Ses yeux souriaient. Je passais ma commande d'un ton bourru.

En remontant dans la voiture je le vis démarrer à son tour, je demandais au chauffeur si c'était un touriste. Il m'appris qu'il s'appelait Jacques, qu'il était au chômage depuis bientôt un an et qu'il donnait un coup de main surtout auprès des anciens du village.

« On dit que c'est à eux qu'il doit son retour... alors en remerciement, il les assiste dès que possible ! »

Je trouvais cela surprenant pour un homme de son âge, quoi peut-être trente ou trente- cinq ans, pas plus. Aider les anciens était tout à son honneur, surtout dans le contexte annoncé, mais il fallait que je creuse un peu, j'avoue que cela avait piqué ma curiosité...

Nous arrivâmes devant l'église. Le chauffeur me la fit visiter. Elle datait du XIIème siècle, très pure dans ses lignes architecturales. Un savant mélange d'art roman et gothique, entourée d'un petit mur d'enceinte. Le chœur était encadré de briquettes rouges. Le soleil d'hiver traversait les formes aériennes des vitraux, laissant les couleurs se poser sur les bancs comme autant de papillons ! Ils étaient d'époque. Les couleurs étaient profondes, magnifiques. Deux d'entre eux attirèrent mon attention. Sur le premier, un arbre y était représenté, toutes racines dehors sous une pluie qui ne mouillait pas le sol ; le second représentait la mer emplit de poissons rouges sous un soleil éclatant. Rien à voir avec les évangiles ! Devant mon interrogation, le chauffeur me dit ne pas savoir ce que ces vitraux représentaient. Ils avaient été remontés d'une vieille chapelle, quand l'église avait été restaurée.

Le chauffeur m'indiqua que si j'étais intéressée par les vieilles histoires du village, alors il faudrait que j'aille voir la Delphine. C'était la mémoire vivante, elle avait toujours des histoires à dormir debout à raconter. Elle adorait ça en plus ! Mais il ne fallait pas prendre ses contes pour argent comptant parce que certains étaient vraiment bizarre ! Et puis parfois au milieu d'une histoire, elle perdait les pédales ! Elle partait alors comme si le diable en personne la coursait ! On l'avait déjà vu errer du côté de La Lys d'ailleurs, au milieu des bois. Une fois elle s'était même perdue, tout le village avait ratissé la forêt sans succès ! Elle était réapparu deux jours plus tard sans aucune explication...

Il me fit faire le tour ensuite, afin de me montrer le vieux cimetière dans lequel se trouvaient des tombes de croisés accolées au mur nord. Mon imagination s'emballa, je pense que je tenais la suite de mon roman. Réjouie par cette perspective je le suivis à travers les ruelles de la vieille ville. C'était très pittoresque. Certaines ruelles étaient tellement étroites qu'on ne pouvait passer qu'en file indienne ! Il faudrait que je revienne faire des photos.

Nous finîmes la visite par la place du marché qui était rehaussée d'une tour. Elle était tout en pavés. Une fontaine se trouvait en son centre. On y entrait par la porte de la tour. C'était le dernier vestige du mur d'enceinte qui avait totalement disparu à cet endroit. Pourtant quelques ruines persistaient au détour d'une ruelle ou le long d'une vieille bâtisse. On sentait que les habitants aimaient leur village. Tout ici respirait l'amour qu'on attache à ce qui nous touche ! C'est là que je le revis. Il sortait juste d'une vieille maison sur la place. Il sembla surpris de nous voir, mais vint vers moi, me tendant la main avec un sourire à se faire damné !

« Bonjour ! Jacques Campagne. Excusez-moi pour la pharmacie, je suis passé devant vous ! »

« Y a pas de mal, c'était une urgence, j'ai bien compris ! »

« Vous êtes de passage dans la région ? »

« Je suis en vacances à La Lys pour quelques semaines et je visite ; c'est magnifique ! »

« Si vous voulez connaître des coins pittoresques, je suis votre homme ! Demandez à Lucien, votre chauffeur, je n'ai pas mon pareil pour les coins étranges... Si vous êtes intéressée, il sait où me trouver ! »

Là-dessus, il repartit comme si de rien n'était. Nous terminâmes le tour du village, mais je n'avais plus la tête à ça. La matinée passa très vite ainsi et nous repartîmes pour la pause déjeuner à La Lys.

Enfin des vacances comme je n'en avais pas eues depuis des lustres. J'étais de très bonne humeur. Le repas fut vite expédié, j'avais hâte de savoir ce qui m'étais réservé pour l'après-midi. Je décidais de prendre mon café devant l'entrée afin d'en admirer la perspective en plein jour. Mon regard fut attiré par une étrange saignée dans la forêt. Un trou béant semblait se trouver au milieu de la forêt, je me remémorais aussitôt le cauchemar de la nuit !

Une irrésistible envie de savoir me pris soudain et je partis négligemment vers ce lieu. Je n'avais pas atteint la première intersection que le majordome surgit devant moi.

« Le chauffeur vous attends pour la poursuite de la visite » Je ne pus rien répliquer et fit demi-tour. Je me promis de revenir dès que possible voir ce qui me chiffonnait dans ce coin du parc.

Nous partîmes pour visiter les chais alentours. Le vin avait très bonne réputation. Les vignobles étaient aussi vieux que le village. Je ne pus résister à acheter quelques bouteilles pour ma consommation personnelle et pour offrir.

L'après-midi était bien avancée quand nous reprîmes la voiture en direction du littoral. Après plus d'une demi-heure de route à travers une splendide forêt de pins, nous aperçûmes l'océan. Le ciel était bas, mais la clarté grise donnait une impression de fin du monde à ces vagues énormes ourlées d'écume. C'était superbe. Superbe et revivifiant.

Je descendis faire un tour sur la plage. Le sable presque blanc avait été nettoyé et aplani. Le tourisme était un art ici, et la région se donnait tous les moyens pour le conserver. Je me mis à ramasser des coquillages, des souvenirs d'enfance refirent surface et je partis à la chasse au trésor ! J'en avais plein les poches, je les sélectionnais de diverses couleurs et formes. D'ailleurs j'en trouvais de plus en plus gros.

Je tombais sur un coquillage de carte postale. Ceux qui ne se trouvent que de l'autre coté de l'équateur et qui vous renvoient le bruit de la mer... C'était étrange, quelqu'un avait dû le perdre ! Puis j'en trouvais deux autres ; Plus j'avançais plus je trouvais des algues vertes les accompagnant. Et je me figeais. Devant moi sur cette belle plage une image d'horreur venait d'arrêter le temps !!

Des dizaines de poissons morts jonchaient le sable. Les vagues les charriaient sans relâche, l'océan montait irrésistiblement avec ses cadavres argentés. Puis je poussais un cri strident, j'étais en train de brûler !!

Le chauffeur arriva en courant. Je n'eus pas besoin de lui dire ce qui m'était arrivé, il hurla à son tour.

En plus de la vision d'horreur qui s'offrait à nos yeux, voilà que les vagues qui traçaient leurs sillons sur le sable, semblant le dévorer, venaient de nous brûler les pieds...

Le motif de ce carnage dépassait l'impensable ! L'océan ressemblait à une cocotte-minute, il cuisait...

3 décembre

Quelle horreur ! Je n'en revenais pas ! Heureusement que mes bottes étaient doublées car mes brûlures ne furent que superficielles. Par contre Julien, le chauffeur n'eut pas ma chance. Il était bon pour rester à l'hôpital ! Ses pieds avaient été brûlés au deuxième degré... Je n'étais pas prête d'oublier une telle journée !

Enfin ce matin, grasse matinée. Je l'avais bien méritée ! Il était dix heures et j'hésitais à me lever. Les draps ne voulaient pas me lâcher... étais-ce ma faute ?

On frappa à ma porte. Quelle ne fut ma surprise de voir entrer Francis, mon éditeur et avec mon petit déjeuner en plus ! Il sourit de voir mon étonnement et déposa le plateau sur le bureau.

« Bonjour Hélène, as-tu bien dormi ? »

« D'un sommeil de plomb... mais que fais-tu ici ? »

« D'abord je suis chez moi, et tous les médias ne parlent que de ce qui vous est arrivé hier, il paraît que tous les océans sont concernés. Les experts ne comprennent pas ce qui se passe, ils n'ont jamais vu un tel phénomène !! »

Je me levais difficilement, avec l'impression d'avoir des moufles aux pieds... et me laissait tomber sur la chaise. Francis sortit deux secondes et me ramena un sac de médicaments qu'il avait dû faire récupérer avant mon réveil. Je réfléchissais à ce qu'il venait de me dire. C'était inquiétant si personne ne comprenait ce qu'il se passait ! Alors quoi, est-ce que toutes ces rumeurs absurdes seraient vraies ? Est-ce que la fin du monde était vraiment prévue pour le 21 décembre 2012 ??

Je ne pouvais y croire, je ne voulais y croire ! Au fond de moi j'étais persuadée que cela ne se produirait pas ! Je ne le permettrais pas...

Francis me sortit de mes pensées.

« Déjeune, fais un brin de toilette et je t'emmène à la plage. Ce qui est étrange c'est que la partie la plus chaude de l'Atlantique ce trouve ici ! »

Là-dessus il me laissa hébétée, J'avais soudain la bouche sèche et la sensation que la migraine serait bientôt de retour. Je me mis à manger pour prendre des forces. La journée serait longue...

On se serait cru au plein cœur de l'été ! La plage était noire de badauds. Les autorités avaient barricadés les accès pour éviter des accidents comme le mien, mais ce qui me donna la chair de poule se fut ces cohortes de cadavres de toutes tailles. Ces centaines de poissons qui avaient subis pire que moi et qui n'avaient pas eus la chance de s'échapper sur la terre ferme ! Je ne pus en supporter d'avantage et tournais la tête ! Je croisais le regard de Jacques. Il était anxieux. Son front était marqué par un pli soucieux et ses yeux semblaient me transpercer, il accrocha mon regard comme on cherche une bouée...

« Bonjour, comment vous sentez-vous ? » Il semblait vraiment inquiet, cela me toucha.

« Ça va, je suis bourrée de médicament et puis quand je vois ce massacre, je ne me plains pas ! »

Il hocha la tête, d'accord avec moi. Je lui présentais Francis et sans réfléchir, l'invitais à se joindre à nous pour en savoir un peu plus sur les légendes du coin. Il est vrai que je voulais le revoir, mais ses histoires étranges m'intriguaient je ne sais pourquoi ! Il fallait que j'en sache plus !

Francis acquiesça sans un mot, je me sentis rougir, qu'elle mal élevée je faisais encore !

Nous nous séparâmes, Jacques nous retrouverait à La Lys.

Je profitais d'avoir récupéré un peu pour interroger Francis sur le retour. Je voulais comprendre pourquoi tous les parterres de sa demeure étaient couverts de faux lys. Et ce qu'il me raconta me bouleversa !

Cette maison avait été trouvée par sa femme. Ce n'était plus qu'une ruine mais elle en était tombée amoureuse, au point d'avoir géré tous les travaux, semaine après semaine. Il n'avait rien trouvé à redire car la vie parisienne l'ennuyait au plus haut point. N'ayant pu avoir d'enfant, il jugea opportun de la laisser faire, puisque cela l'amusait. Au moins elle retrouvait son sud-ouest natal et elle retrouvait l'entrain qu'elle avait perdue ! Elle pensa chaque mètre du domaine. Chaque plan était contrôlé, fignolé, elle voulait la perfection !

Les lys étaient ses fleurs préférées, elle décida d'en avoir toute l'année à demeure et après bien des recherches, elle trouva un artisan fleuriste qui les lui fabriqua spécialement pour qu'elles durent au moins un an. Depuis, elles ne cessent d'exister...

Quand il fallut creuser pour la piscine, les ouvriers tombèrent sur une vieille ruine enterrée profondément. Après inspection, il s'avéra que c'était une ancienne chapelle, sûrement aussi vieille que l'église du village. On récupéra ce qui pouvait être sauvé dont deux superbes vitraux intacts que sa femme légua à l'église lors de sa restauration.

Un courant électrique me parcourut d'un coup. Les vitraux qui avaient attirés mon attention lors de ma visite venaient de son domaine ! Alors la troisième porte qui se trouvait dans la cuisine, menait-elle à cette chapelle ?

« Qu'est-il arrivé à la chapelle ? »

« L'architecte voulait la détruire car elle était en mauvais état, mais Élise s'y opposa et exigea qu'elle fut restaurée et laissée sous terre. On décala juste la piscine. On y accède par la cuisine, mais j'avoue n'avoir jamais voulu y mettre les pieds ».

Je fus étonnée par sa dernière remarque, mais il m'expliqua pourquoi : à peine un mois après la découverte de la chapelle qui subjugua sa femme, celle-ci tomba gravement malade. Les médecins la condamnèrent car le cancer s'était généralisé. La maison était presque terminée, mais elle passait tout son temps à méditer dans la chapelle. C'est là d'ailleurs, qu'elle trouva le nom du domaine : La Lys. Pourquoi « La » elle me dit avoir découvert une vieille inscription d'où seules ces lettres étaient visibles et comme les lys étaient ses fleurs préférées elle pensa que cette chapelle était un don de Dieu !

«  Pourquoi y méditer et pour quoi ! qu'a-t-Il fait pour elle ? Rien ! Il l'a laissé souffrir et partir... »

Je ne sus que répondre et c'est dans un silence gêné que nous finîmes notre parcours.

Jacques détendit l'atmosphère. J'étais contente de l'avoir invité. Il réussit même à faire rire Francis et à le sortir de son mutisme. Le repas sembla léger après les épreuves passées.

Il était insatiable d'anecdotes sur le village. Il nous raconta que l'église avait été érigée pour remercier Dieu d'avoir ramener les croisés chez eux. Quand le cimetière fut agrandi, on trouva de nombreuses tombes de cette époque. Certaines tombes avaient même des armes et des armures enfouies avec les morts. Les monuments historiques bloquèrent les travaux pendant plusieurs mois afin de tout explorer, ce qui retarda chaque enterrement de plusieurs jours car chaque emplacement fut vérifié ! Ce fut un véritable chantier dont tous les villageois se souviennent encore...

ce qui est sûr c'est qu'ils emportèrent tout ce qu'ils trouvèrent et les mauvaises langues vous diront qu'ils n'ont pas trouvé que de la ferraille...

Cette fin nous fit sourire, puis je l'interrogeais sur ces fameuses histoires étranges dont il m'avait parlé. Il marqua une pause. Il sembla peser le pour et le contre et commença : « Delphine vous raconterait mieux que moi ces histoires, mais je vais vous raconter celle de la Forêt maudite » :

« Cette histoire remonte à la nuit des temps. A cette époque, ces lieux n'étaient que d'immenses bourbiers emplis d'insectes en tout genre. Quiconque s'approchait de ces lieux pouvait attraper la mort ! Un berger orgueilleux voulut obtenir une parcelle de ce lieu inculte pour y faire paître son troupeau et augmenter ses terres sans débourser. On dit qu'il rencontra le diable une nuit pour récupérer un bout de cette terre. Quel pacte passa-t-il à ce moment-là, personne ne le sut jamais car il emmena son secret avec lui dans la tombe. Ce qui est sûr en revanche, c'est qu'à la pleine lune suivante, une partie de cette terre s'assécha. Les insectes disparurent et il en prit possession.

Il l'exploita sans vergogne durant toute sa vie et elle fut longue ! Non content de s'être approprié un bout de ce territoire, il essaya d'exproprier son voisin pour récupérer sa forêt de chênes. Il réussit à prouver que les documents de ce pauvre homme n'étaient pas exacts. Il tricha avec un ancien lit de ruisseau qu'il dénicha à l'intérieur des terres, démontrant par un tour de passe-passe, qu'un bon tiers des forêts n'appartenait pas à ce pauvre bougre !

Fort de son mensonge, il récupéra les ares sous la colère des villageois, versant un maigre écu comme contre-partie. Ayant su faire prospérer ses affaires, il trouva femme à sa mesure. Elle lui donna deux fils. Les pauvres enfants n'avaient rien à voir avec les affaires de leur père, mais ils furent les souffre-douleurs des autres enfants ! Devenus adultes, ils ne trouvèrent aucun travail, les gens les fuyant comme la peste ! Las de cette existence, l'un deux après s'être disputé avec son père disparut dans la forêt et l'on n'entendit plus jamais parlé de lui ; quant au second on le retrouva pendu au plus grand chêne de la forêt de son père... »

Il marqua un temps d'arrêt avant de rajouter presque à contre-coeur :

« D'ailleurs si je ne me trompe pas, il se trouve dans votre propriété, c'est du moins ce que dit Delphine ! »

Ce fut un choc pour nous deux. Il fallut digérer la révélation !

Mon sang ne fit qu'un tour et je demandais sans ambages à aller voir ce grand chêne majestueux que j'avais aperçu avant-hier. Encore sous le coup de l'histoire, Francis se leva sans hésiter et nous nous dirigeâmes vers le fond du domaine. Je ne vis nulle part le majordome et me sentit rassurée, peut-être ne pouvait-il rien dire en présence de son maître ?

Jamais le chemin ne me parut si long, quand au détour d'un sentier nous nous figeâmes. Là, devant nous, sous ce dôme de branches nues, une trouée monstrueuse apparaissait. Celle-là même que j'avais aperçue plus tôt. Même le ciel sembla laid. Le sol si feutré sous les feuilles mortes était défiguré par un carnage : des racines inextricables, éventrées, se mourraient hors de leur élément ; j'eus l'impression horrible qu'elles avaient essayées de fuir leur perte !

Le chêne majestueux, n'était plus qu'un immonde tronc vrillé, tordu qui disparaissait dans un amas de branchages... toute vie s'en était allée. Même son bois si beau avait perdu son ton naturel. Désormais il était blanc ! Il n'était plus qu'un arbre mort, sec...

Qu'était-il arrivé ici de si terrible pour causer la mort de ce géant ?

Je poussais un cri soudain, j'avais déjà vu cette image terrifiante ! Oui ! Je la reconnaissais ! Cette monstruosité était l'exacte réplique du vitrail de l'église !!

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