La maison du bonheur
cerise-david
C’est le grand jour ! Aujourd’hui j’ai dix ans… Oh, je sais ce que vous allez me dire ! C’est ridicule d’avoir dix ans. On est encore petit. Et bien moi, je me bouche les oreilles. Je m’appelle Benjamin et j’ai dix ans. Aujourd’hui c’est décidé, je pisse définitivement debout, même si Maman hurle dès que j’en mets une goutte à côté, je refuse de porter ces HORRIBLES pyjamas en pilou, vous savez les grenouillères zippées qui vous grattent partout. Je jette le siège enfant et passe côté passager, je pourrais manger des bonbons justes avant le repas et même boire du champagne… Bref ! A moi la vie d’adulte. Je saute sur le lit quand Maman rentre en trombe dans ma chambre, je crois que ca va barder. On est en retard et elle aime pas être en retard : elle travaille quelque part où « le retard n’est pas permis ». Enfin, moi je me dis que si c’est ca être un vrai adulte, ben je préfère avoir dix ans toute ma vie. J’ai jamais vu Maman sauter sur son lit et franchement, elle rate quelque chose. Moi j’adore quand le ressort se bloque et qu’après PAF ! Ca s’envole, ca tourne, ca explose ! En attendant si je me dépêche pas, c’est Maman qui va exploser ! Je me demande si elle a trouvé mon cadeau. Parce que je ne demande jamais n’importe quoi pour mon anniversaire ; tous les ans je demande un Papa. Oh ! pas n’importe quel Papa, ça je suis bien assez grand pour en trouver un tout seul ; y’en a plein à la sortie de l’école. Non, moi ce que je veux, c’est MON Papa ! Je crois que Maman n’a pas très envie d’un Papa, parce qu’à voir sa tête ca a l’air bien compliqué…
Ce jour-là, j’ai eu un ActionMan°. J’avais dix ans, je croyais encore à la petite souris et au Père Noël. Aujourd’hui j’ai la vingtaine et j’ai délaissé ActionMan° pour la Playstation 3, mais les choses paraissent toujours aussi compliquées dans la tête de ma mère. Je crèche un super appart au centre de Lyon, celui dans lequel a vécu ma mère au début de sa carrière, celui dans lequel je fus conçu. J’ignore toujours qui est mon père ; à chaque anniversaire je souffle sur des bougies toujours plus nombreuses en gardant l’espoir de le voir passer la porte. C’est le seul de mes rêves de gamin qui ne s’est pas envolé avec le temps. Je voulais devenir astronaute et explorer toutes les étoiles de l’univers. Depuis j’ai passé de nombreuses heures en physique et j’ai compris qu’on ne marche pas sur les étoiles. Alors je suis en Technique de commercialisation ; avec ma gueule d’ange et mes yeux bleus je vendrais un âne à un cul de jatte. Je suis aussi vorace qu’une hyène, un peu comme ma mère pourtant elle répète toujours que j’ai le tempérament impulsif et audacieux de mon père. Parait que je suis son portrait craché, je me dis que c’est mieux comme çà ; si un jour je le croise dans la rue, je saurais obliger de le reconnaitre. Mais çà, c’est un rêve ! Vingt ans que j’attends un instant incertain, que je patiente, en vain. J’ai rendez-vous à la fin des cours au restaurant avec Maman. Elle me prépare une surprise depuis quelques mois mais cette fois-ci impossible d’obtenir ne serait-ce qu’un vulgaire indice.
Lorsque je rentre dans la salle du restaurant, un homme attend seul au comptoir. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai du mal à détacher mon regard de son visage. Je scrute rapidement la salle, ma mère n’est pas encore là, alors je m’approche du bar ; j’ai toujours été curieux mais cette fois-ci c’est différent. Je suis comme l’électron avec l’atome. Et lorsqu’enfin j’arrive à sa hauteur je crois voir un fantôme. C’est comme une bombe qui m’exploserait en plein cœur. J’ai du mal à respirer, à me convaincre de ce que je vois. Et on dirait qu’il en est de même pour lui ; sans un mot il me tend une enveloppe qui porte le cachet du cabinet de ma mère. J’ouvre, je tremble.
Mon chéri,
Je crois qu’est venu le temps d’éclaircir certaines choses, tout cela fut bien compliqué durant des années mais aujourd’hui je te dois des explications. Je ne suis pas très fière de ce que j’ai fait, mais je suis fière de ce que tu deviens. Et chaque jours à tes côtés me rappelle qu’un jour, un homme m’a offert le plus beau des cadeaux. A moi, de t’offrir celui que tu attends depuis des années.
Joyeux Anniversaire. Je t’aime. Maman.
- Bonjour Benjamin, je me prénomme Eric. Ta mère nous a réservé une table mais je dois avouer que cet endroit me met mal à l’aise, ca te dit un Buffalo ?
Je ne sais pas quoi dire, quoi faire, c’est vrai que je lui ressemble. On dirait qu’il n’a pas peur. En même temps, je suis un peu con d’avoir peur. Ce mec est mon père, j’ai pas à me méfier. J’acquiesce d’un léger hochement de tête et on sort. Quelques minutes plus tard, une serveuse nous installe à une table. Il choisit la banquette et commande une entrecôte, saignante.
- Tu prendras du vin ? Ca te redonnera peut-être des couleurs.
- Euh, oui. J’ai l’air si mal que çà ?
- Disons que t’es aussi blanc que la nappe, l’émotion sans doute. Ta mère à préciser que tu exigeais TON Papa, tous les ans, depuis que tu es en âge de souffler tes bougies.
- C’est vrai… j’y croyais plus. Elle a toujours déguisé l’absence, et j’ai eu tous les ActionMan présents dans le commerce.
Il rigole, d’un rire fort et bruyant. L’opposé de ma mère qui ne rit presque jamais. Je ne comprends pas ce qu’ils ont pus bien faire ensemble.
- Pourquoi t’es parti ?
- Je suis pas parti, c’est ta mère qui m’a chassé… et puis j’étais marié. C’est une belle histoire et je suis là pour te la raconter mais avant laisse moi te dire une chose, ta mère m’a rendu très heureux, le temps d’une nuit mais je ne regrette rien. Et puis quand je te vois, je me dis qu’il n’y a rien à regretter.
Je sais pas pourquoi mais à ce moment je ne désire pas être ailleurs, j’ai jamais vraiment trouvé ma place. Je suis un électron libre et pour la première fois, un atome m’attire inexorablement. Je veux savoir. Connaitre ce mystère, et sans doute, en apprendre sur ma mère ; elle et ses fâcheuses complications. Aujourd’hui, je vais savoir.
Sache que le bonheur est le luxe ultime. Le bonheur c’est comme une femme : faut avoir les moyens de se l’offrir et de l’entretenir. Sinon il t’échappe. J’avais la quarantaine passée, les tempes grisonnantes et les yeux bleus lagons. J’étais maçon- je le suis toujours- comme mon père et son père avant lui. Le bâtiment c’est de famille. J’ai une épouse merveilleuse, Anna, qui m’a donné deux très beaux enfants. On habite une belle maison, construite de mes mains, à la sueur de mon front, dans la province de Lyon. Certains pensent que le bonheur n’a pas de prix, les gens comme moi savent ce qu’il coûte. Ce qu’il nous en coûte d’être, de paraître heureux. Je travaillais tous les jours sauf le dimanche. Je rentrais crever et mettais les pieds sous la table. Anna ne travaillait pas et je suffisais à nos besoins. J’avais deux semaines de vacances dans l’année, je partais avec Anna, sans les enfants. Un moyen pour nous de se retrouver, de s’aimer. Je l’aimais comme au premier jour, depuis plus de quinze ans.
Cette année, celle de ta naissance, au premier jour de l’été on démarra un nouveau chantier. Une baraque immense sous le regard d’un architecte « contemporain ». J’ignorais pourquoi il avait fait appel à nous. Mon équipe avait une bonne réputation mais nous avions déjà beaucoup de partenaires. Si j’ai accepté c’est parce que c’était bien payé et qu’on avait le temps. Pour une fois, qu’on nous mettait pas la pression. Je n’avais jamais bossé avec lui, aussi j’étais pas vraiment à l’aise et j’ai décidé de le prévenir d’entrée de jeu :
- Pour moi le contemporain c’est de l’art, de l’abstrait et les briques c’est du concret. Que les choses soient claires, entre vous et moi ; on gagnera du temps.
T’aurais du voir sa tête quand je lui ai dit çà, je sais pas si il a appréciait mais les travaux se sont bien déroulés. Il était un peu bizarre comme mec mais sympa. Disons qu’on n’habitait pas la même planète mais on arrivait tout de même à communiquer. C’était l’essentiel. Deux semaines plus tard, la propriétaire est passée dans la matinée. J’avais tout de suite su que ce serait une maison pour gonzesse. Seule. Y’avait une immense salle de bain et un dressing. Typique. Quand je te dis qu’une femme çà s’entretient : faut le remplir le dressing et tous ces produits de beautés te coûtent une main. Et avec ce qu’elles se mettent sur la tronche les gonzesses. Crème de jour, de nuit, antirides, anticernes. Une vraie pharmacie. Cette femme bossait au parlement ; le genre à porter des Jimmy Choo et des tailleurs YSL. Carrée de soie Hermès, cela va de soit. J’en avais offert un à Anna pour notre mariage. Il lui allait bien mais elle ne le mettait jamais, trop peur de l’abimer. C’est bête mais j’ai décidé de lui en offrir un second aujourd’hui, elle se décidera peut-être à porter le premier…
Alors que j’annonce la pause café, une berline vient se garer devant l’entrée du terrain. En sorte une paire de jambes interminables et un bout de tissu noir. Veste de tailleur et carrée de soie bleu nuit. Chaussures et sac à main assortis. Brune, le mètre soixante-dix, sans les talons. Un joli petit cul et un nez aquilin. Grosses lunettes noires. A ce moment là, j’ai senti que mes mecs avaient lâchés les outils… Y’avait de quoi en oublier pas mal de trucs ! L’architecte l’invita à nous rejoindre. Démarche sexy, un peu chaloupée. Elle ôta ses lunette, je me rappelle encore de ses mains, manucure toujours impeccable. T’as mère a toujours était belle jusqu’au bout des ongles.
- Tu parle de Maman comme si elle était mannequin. C’est vrai qu’elle est belle, mes potes me chambrent souvent la dessus. Ils disent qu’une femme comme ma mère ne devrait pas faire de politique, ca gâche son charme…
- Ca ne gâche rien du tout, ta mère est splendide. Sûre d’elle mais pas hautaine. Et puis, à l’époque elle était terriblement sexy.
Ce jour-là, elle a passé la matinée sur le chantier ; elle était très contente de l’avancé des travaux. Faut dire qu’on a vraiment eu de la chance ; une seule journée d’orage pour trois mois de travaux. Fallait voir les mecs, à faire les coqs tour à tour, tous étaient mariés ou en couple. Y’a des fois comme çà, c’est plus fort que nous. On répond à l’appel de la demoiselle en détresse. Je me suis toujours demandé pourquoi ta mère préférait être seule. Aujourd’hui, j’ai ma réponse.
Les jours ont vite passés, j’attendais toujours la visite de ta mère. Je crois que c’est cette constance à être toujours apprêté et souriante qui m’a le plus fasciné chez elle. A l’époque, mon Anna ne se pomponnait que très peu ; ta mère était une femme forte, il se dégageait une chaleur intense de sa poignée de main et pourtant, tout en elle réclamait écoute, affection et tendresse. Une vraie poupée. J’ai souvent rêvé d’elle, alors qu’Anna dormait dans mes bras. J’ai longtemps regretté de n’avoir rien dit. Maintenant, je sais que les choses devaient être ainsi. Le chantier a touché à sa fin, au début de l’automne et ta mère m’a invité au restaurant pour fêter la remise des clefs. Ce soir-là, j’aurais du retrouver ma femme et mes enfants, mais j’ai pris le téléphone et j’ai dit que je rentrerais tard. J’ai menti, sans doute pour ne pas faire de mal, j’ai dit que j’allais boire un verre avec les collègues. C’est la première fois où j’ai menti à Anna, aujourd’hui fût mon second mensonge. La seule femme dans ma vie c’est Anna. Et pourtant, alors que tu penses être fort et tout contrôler, un jour la situation t’échappe et tout dérape… j’étais attiré par ta mère, et cette envie m’avait rongé les tripes durant une saison entière. Trois mois, où j’ai fit mine d’ignorer l’existence de cette attirance. Alors que toute l’équipe remballe, que les mains se serrent, ta mère s’approcha de moi et me demanda si j’avais une préférence pour le restaurant… Ce soir-là, je n’ai pas mangé. Ta mère et moi, sommes allés à son appartement, celui dans lequel tu vis à présent, et nous avons fait l’amour. Ce fut magique. Un instant d’une rare intensité, je crois juste que nous en avions très envie tous les deux. Alors que je reboutonne ma chemise, j’ai comme une boule à l’estomac. Lorsqu’elle voit ma mine contrariée, ta mère me demande ce qui pose problème. Quand je lui annonce que je suis marié elle a l’air surprise et c’est normal car je ne porte pas mon alliance sur les chantiers. J’y tiens comme à la prunelle de mes yeux. Je lui demande pourquoi une femme comme elle ne l’est pas et elle se met à rire, d’un rire clair. Elle me répond qu’elle n’a pas le temps de trouver un bon mari. Je souris mais au fond de moi j’étouffe un sanglot ; je crois que j’ai aimé ta mère. Un instant. Très court, mais j’ai vraiment ressenti quelque chose de sincère pour elle. Elle n’a pas voulu de moi dans sa vie, ce fut son choix. Il ne m’a pas fallu longtemps pour le comprendre mais plusieurs mois pour l’accepter…
- Voilà, à présent, tu connais nôtre histoire à ta mère et moi. Depuis ce jour, nous ne sommes pas revus. Et je ne pense pas que nous nous reverrons. C’est mieux comme çà. Je n’ai pas de regrets, et tu ne dois pas en avoir. C’est une belle histoire.
On a mangé nôtre dessert en silence et puis, il m’a ramené chez Maman. Elle m’attendait sur le seuil de la porte, et je me suis dit que ce perron c’est mon père qui l’avait construit, qu’il avait toujours été là, tout près de moi. Mon père a raison, il n’y a rien à regretter ; cette maison a connu mes premiers pas, mes premiers mots, mes plus grosses bêtises et fous-rires, mes peines et même mon premier chagrin d’amour. Et à voir le sourire de ma mère quand je la prends dans mes bras, je me dis que le bonheur n’est pas prêt de quitter le seuil de notre maison…
Que dire que je ne t'ai pas déjà dit????
· Il y a environ 14 ans ·marmousette
Très belle histoire et bien écrite. Tu as ton style bien à toi et m'a émue avec l'histoire de ce petit garçon même si le comportement du père est celui que je blâme au plus haut point dans la vie quotidienne. Pour moi la tromperie est l'acte le plus horrible et décevant possible. Cependant, c'est bien passé. Bravo.
· Il y a plus de 14 ans ·prete-moi-ta-plume
Très belle histoire.
· Il y a plus de 14 ans ·bambola
Même si j'exècre ce genre d'homme, qui parle des moyens de s'offrir une femme et de l'entretenir; et qui ne semble avoir pour ses enfants que le temps qu'il passe à les procréer;
· Il y a plus de 14 ans ·j'ai une nouvelle fois pris plaisir à te lire
C'est très beau et bien écrit!
Quand on commence, on va jusqu'au bout sans soucis.
Bravo!
amouami
J'aime l'idée qu'on aime plusieurs fois et même à l'infinie. Il n'y a personne qui nous correspond vraiment, mais juste des moments parfaits qui nous font aimer à jamais. Ce souvenir si parfait. Mais je te l'ai déjà dit ! J'aime beaucoup ce que tu écris.
· Il y a plus de 14 ans ·Mini Pouce
J'ai bien aimé cette histoire... l'amour simplement peut naître en quelques secondes et parfois disparaître... souvent. Mais il arrive qu'il reste. Et au fond, c'est un peu comme s'ils s'aimaient toujours au fond d'eux.
· Il y a plus de 14 ans ·misspoetia
Mais de rien... c'est un plaisir d'écrire... l'amour peut-être aussi court qu'un orage... d'ailleurs bien souvent ils font autant de dégâts l'un et l'autre. Mais sont aussi intenses.
· Il y a plus de 14 ans ·cerise-david
Merci pour cette histoire Cerise..d'autant plus qu'elle confirme mes pensées sur le fait qu'on peut aimer sincerement une personne l'espace de quelques instants seulement...
· Il y a plus de 14 ans ·Jaime De Sousa
Je vois pas de petit lutin vert... Merci !
· Il y a plus de 14 ans ·cerise-david
une jolie histoire, un peu conte de fées.. mais après tout , on aime ça ( même ceux qui le cache)
· Il y a plus de 14 ans ·ristretto
Un peu bateau... mais j'ai mis du temps à la finir parce que je mis suis reprise à plusieurs fois avant de choisir mon narrateur... merci !
· Il y a plus de 14 ans ·cerise-david
Attachante comme histoire :)
· Il y a plus de 14 ans ·Mini Pouce