La nuit noire Partie 2

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C’est pourquoi elle donne à l’animal qui a provoqué les premières larmes d’un être humain la chance de ressusciter. » Longtemps nous restâmes devant la fenêtre, à regarder la vie voler dans le ciel et a sentir chaque battement d’aile, telle la douce martre d’un pinceau, estomper notre tristesse, comme une aquarelle. J’apprenais alors que l’homme en ce monde là était une œuvre d’art.

     Ma mère, complètement émerveillée, en conclue que tout était fin prêt. « Tu dois désormais gouter. » Elle versa au creux de ma main un filet rougeâtre, qui sur ma langue, avait un gout de sang mêlé de sucre. « C’est tout à fait normal. » me dit-elle « C’est le gout de la naissance. Mais ne sens tu pas quelque chose d’autre ? » Mon esprit tâtait mes papilles, à la recherche d’une saveur sortie des profondeurs de la nuit noire. Je sentais quelque chose de doux, d’infini, de chaud, quelque chose comme la pulpe de mes lèvres. J’avais le nom de ce fruit sur le bout de la langue. « Ne t’inquiète pas, ca viendra. Tu vas murir. Le temps est un cultivateur. Tu commenceras par voir la graine de ce que tu es, tu en verras ensuite la fleur, puis le fruit, et seulement à ce moment là tu pourras le cueillir, le gouter, et savoir. »

     - Je ne comprends pas. Comment vais-je pouvoir savoir ?

- Je vais t’expliquer. Ton rôle dans l’univers est de trouver ta place. Plusieurs choix s’offrent à toi. Mais dans tous les cas, tu devras partir en quête de ton parfum. Tu peux premièrement, voyager dans notre monde. Tu verras les milliers de choses incroyables qui sont sur nos terres et tu mourras comme un livre d’image, consumé par le temps. Deuxièmement, tu peux choisir d’être comme moi : un parent. Notre rôle est d’accueillir les nouveaux nés et de les guider pour que chacun trouve sa place et vive comme il le souhaite. Tu mourras en âme généreuse, après une vie des plus longue qui soit, père du monde et de ses milliers de fruits. Troisièmement, tu peux vouer ton sirop à la cascade des vies, c’est elle qui abreuve notre terre. Ce choix te permettra de faire un vœu et de faire de ta vie ce que tu en voudras.

- Ou est cette cascade ?

- Réfléchis bien.

- Ou est-elle ?

- Je ne peux pas te le dire.

- Pourquoi ?

- Réfléchis bien, je t’en supplie. Ceux qui ne parviennent pas à lier leur sirop à celui de la cascade son condamnés à errer dans les lacs et les mers, à avoir froid pour l’éternité.

- Ce n’est pas grand chose.

- Pas grand chose ? Aies froid une minute seulement, puis pense à ce qu’est l’éternité.

- Peut être …

- Tu dois choisir.

- Je ne sais pas.

-Il faut que tu saches.

- Laisse-moi du temps.

- La vie d’un humain est très courte. Si les animaux de notre terre partagent leurs énergies, il en est de même pour nous. Et le monde s’affaiblit. Le monde s’affaiblit car il partage lui aussi son énergie avec les autres planètes du système. Et certaines d’entre elles sont à bout de souffle.

- Pourquoi le sont-elles ?

- Si nous vivons deux jours seulement …

- Deux jours ?! Je vais mourir demain ! C’est impossible !

- … c’est parce qu’un sage a compris il y a très longtemps qu’une vie trop longue était inutile. Mais d’autres ne fonctionnent pas de la même manière et le temps noircit leurs pensés, leur manière de vivre et d’agir, ils en arrivent même à oublier pourquoi ils vivent. Alors ils abîment leurs terres en essayant de voler tout ses biens à la nature. C’est pour ca que tu dois choisir maintenant. Tu ne dois pas laisser de place au vide, tu t’éteindras demain, alors fais ton choix, mais fais le bien, que ta vie soit à l’image de ta décision.

- Ou est la cascade ?

- Tu ne vas quand même pas me poser 15 fois la question ! Et puis, comment veux-tu que je le sache, moi, qui ai choisi d’être mère !

- Tant pis. Mais je choisis quand même de partir à sa recherche.

Ma mère, n’ayant visiblement pas le droit de s’opposer à mon choix, bien qu’évidement contre ma décision, sorti une valise du grenier, une valise a pois multicolores, très usée. Elle me fixa quelques secondes, des rideaux de larmes suspendues aux paupières. « Je n’aurais pas pu être père, rien que pour ca. Pleurer à chaque départ …» Puis elle me fit comprendre que je devais la remplir, du strict nécessaire vu la taille de la « mallette ». J’emportai ma couverture, ma bouteille de sirop, ainsi que quelques bougies et une boite d’allumettes. Ma mère me fit un câlin, imprima sur mes joues deux énormes baisers, et souhaita en prière que mon voyage soit des plus instructif et que je trouve ce que je cherche. J’étais triste de la quitter, mais j’avais le plaid en tissu framboisine. Je ne voulais pas pleurer encore une fois, alors je m’en allai en courant.

     Je couru très longtemps sans m’apercevoir que j’étais seul dans le dehors du monde pour la première fois. Je ne voulais pas avoir peur d’être seul, mais il fallut bien que je reprenne mon souffle. Et ce fut à l’orée d’une forêt, dans laquelle je m’aventurai, que la peur aurait du reprendre ses droits sur mon ivresse, mais il en fut autrement, mon souffle fut coupé par l’admiration : Jamais je n’avais vu de si belles choses : pierres et graviers en meringue, fleurs en cristaux de glaces, l’herbe en un doux pelage de souris verte, les arbres en d’immenses fontaines de réglisse, figés dans les airs. La mousse accrochée à leur tronc n’était autre que des bouquets de chantilly et lorsque je marchais sur les feuilles mortes de l’automne, chacun de mes pas les brisait en de petits souffles de paillettes.

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