La plume

A.E Ferrets

    

 J'étais un jeune garçon de douze ans plein d'ambitions quand un beau jour, une plume vint se poser sur mon épaule alors que je marchais dans la rue. Elle était belle et aussi blanche que la neige. Bien sûr, je ne parle pas de cette neige souillée par les pas des Hommes égoïstes voulant laisser une trace dans un désert blanc afin de signaler leurs existences. Non, je parle de la neige pure et blanche où personne n'a encore mis les pieds, cette neige qui brille au soleil comme des millions de petites étoiles scintillantes échouées sur le sol, ressemblant à de jolies paillettes de fête, déposées là pour nous émerveiller et enchanter nos pensées… Seulement, cette plume tombée des nues n'avait pas choisi de se poser sur le sol, mais bel et bien sur moi, forcée sans doute par le destin.


Au début, je n'y prêtais guère attention et me dit que c'était sans doute un bel oiseau blanc qui passait par là puis la plume dans la main, je continuais mon chemin comme si de rien était. Plus je marchais, plus cette plume me chatouillait l'esprit. Pourquoi s'était-elle précisément posée sur moi ? Mais surtout, à qui appartenait-elle ? Était-elle à un pigeon qui s'était posé sur un fil pour regarder l'horizon de ses gros yeux ronds curieux ? Était-elle à une jolie dame qui dépoussiérait sa fenêtre à l'aide d'un plumeau blanc alors que je passais dessous ? Était-elle à un enfant qui s'imaginait voler en jouant avec une peluche en forme d'oiseau ? Je ne pouvais pas vraiment le savoir…


Je levais donc les yeux vers le ciel pour regarder un peu ce qu'il y avait au-dessus de ma tête et vis un énorme bâtiment froid et pas très accueillant. À première vue, on aurait dit une prison désaffectée. Il y avait des barreaux sur les fenêtres, les pierres étaient grosses, grises et usées par le temps et il n'y avait aucune enseigne distincte qui pouvait me donner un indice sur sa fonction. Je décidais alors de revenir sur mes pas jusqu'à l'endroit où cette plume m'avait rencontré et me retrouvai pour la seconde fois devant une grosse porte en bois sale. En l'examinant de plus près, je m'aperçus que la serrure avait été cassée et que l'endroit devait être squatté le soir par des jeunes en quête de sensations fortes ou par des clochards voulant se mettre à l'abri pour une nuit.


Ma plume me chatouillait le creux de la main comme pour me dire d'y entrer. Ça ne serait vraiment pas raisonnable, mais il fallait bien que je trouve à qui appartenait cette plume sous peine de ne pas réussir à dormir cette nuit ! Il suffirait que j'aille jeter un oeil, rapidement sans trop m'attarder, je ne dérangerais personne et puis, après tout, maman ne m'attendait pas à la maison pour dîner ce soir puisqu'elle est partie travailler… Allez, j'entre !


J'ouvris la grosse porte abîmée, le coeur battant la chamade, la peur au ventre, inquiet de ce que je pourrais trouver derrière. Soudain, j'eus un moment d'hésitation : et si j'étais déçu de savoir à qui appartenait ma plume ? Si le mystère ne répondait finalement pas à mes attentes ? Je me mis tout à coup à me poser tout un tas de questions sur ce qu'il valait mieux faire ou ne pas faire. Après tout, rester dans l'ignorance me permettait d'imaginer toutes sortes d'histoires passionnantes qui satisfaisaient bien assez mon imagination, mais d'un autre côté, la curiosité me poussait à connaître la vérité. Rêver ou garder les pieds sur terre ? Je me dis que finalement, ça ne me coûtait rien d'avancer et si je changeais d'avis, je ferais demi-tour et le mystère n'en serait pas moins palpitant…


Le bâtiment était gigantesque et sombre, il me faudrait bien quelques heures le temps d'en faire le tour et de trouver mon mystérieux « propriétaire ». Je ne serais donc pas rentré pour dîner ce soir, c'est certain ! J'avançais doucement, le pas incertain en tendant bien l'oreille. J'entendais toutes sortes de bruits quelque peu inquiétants, mais rien qui pouvait me faire changer d'avis. J'arrivais dans un grand couloir froid et humide dans lequel plusieurs portes se présentaient à moi. Celui-ci se terminait par un escalier qui laissait présager d'autres étages aussi immenses que celui-ci. J'ouvris donc la première porte lentement, curieux de savoir ce qui se cachait derrière, mais prenais toutes les précautions afin de ne pas me faire surprendre par quelques choses d'effrayant. La porte s'ouvrit péniblement dans un gros grincement strident à peine discret… Soudain, BAM ! Un gigantesque cadavre posé contre la porte se jeta sur moi et me fit courir à toute vitesse à l'autre bout du couloir sans même prendre le temps de remarquer que ce n'était en faites qu'un vieux balai qui avait été déposé là, sans doute par une dame de ménage qui travaillait ici il y a quelques années…


Maintenant que j'étais au bout du long couloir, mort de trouille, j'étais interpellé par une petite lueur blanche qui rayonnait en haut de l'escalier. Il fallait que je sache d'où cela provenait ! Les marches étaient géantes, larges et très hautes. J'avais beaucoup de mal à y voir clair tellement il y faisait noir. Je me contentais de suivre cette douce lumière qui me fascinait, j'étais comme hypnotisé et ne pensais plus qu'à cela. C'était peut-être la réponse à ma question qui se trouvait en haut ?!


Je montais marche après marche, doucement en écoutant le vieil escalier en bois se plaindre de mon poids, trop lourd pour ses vieux os. Arrivais au bout, la lueur m'éblouissait. Elle avait l'air de provenir d'une pièce un peu plus loin dans le couloir où je me trouvais. Je jetais un oeil à ma plume

pour m'assurer qu'elle était encore dans ma poche et la remettait un peu en ordre, juste au cas où quelqu'un me demanderait de la lui rendre, puis remis un peu ma chemise, histoire d'être présentable et de ne pas débarquer comme un ahuri défroqué en quête d'aventure. Après avoir pris une bonne respiration, je décidais de mettre fin à ce mystère une bonne fois pour toutes en espérant ne pas être déçu.


Fixant la lumière péniblement, alignent un pas devant l'autre, je me retrouvais soudain devant cette fameuse pièce près à lever le voile sur cette affaire. La lumière disparut d'un coup et je vis deux yeux perçants me regardaient fixement d'un air menaçant. Je ne pouvais pas y croire. Il était là, sous mes yeux à moi ! Bel et bien réel en train de me fixer en se posant autant de questions que moi. Je n'en revenais pas…


Je m'approchais doucement pour ne pas lui faire peur et compris alors que c'était la propriétaire de ma plume quand le bout de mes doigts touchait ses grandes ailes blanches qui traînaient sur le sol sale et poussiéreux de la chambre. C'était un être parfait ou plutôt devrais-je dire parfaite ! Elle avait des yeux verts et des cheveux aussi blonds qu'un champ de blé sous un soleil d'été. Elle me regardait d'un air terrifié et triste à la fois. Je ne savais pas trop comment lui parler alors je lui pris la main pour lui montrer qu'elle n'avait pas à me craindre et de l'autre, je lui tendis ma plume comme pour la lui rendre. Elle me fit un petit sourire laissant ressentir un soulagement.


Comme la chaise sur laquelle elle était assise n'avait pas l'air confortable, je crus bon de lui demander de s'asseoir avec moi sur le sol où j'avais préalablement déposé ma veste neuve. Elle accepta, mais ne dit toujours rien. C'est quand elle s'est levée que je compris ce qu'elle faisait ici. Je la pris dans mes bras pour la blottir tout contre moi, comme pour la protéger, après avoir essuyé une larme sur son doux visage. À cet instant, je m'abandonnai totalement avec elle dans cette petite pièce froide, savourant ce moment de chaleur en me disant que je tenais dans mes bras : l'ange de ma vie.



A.E Ferrets

Mars 2014

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