La première...

thalia

     La première, la seule dont on gardera le souvenir. Les autres, de plus en plus nombreuses, de plus en plus anodines, ne procurent plus ce plaisir, ce frémissement unique.

     Mais la première ! L’initiatique. Cette euphorie qui s’engage bien avant l’acte final. D’abord, le temps de la recherche. Cette quête à la trouver. La mienne fut blonde, un beau fruit mûr, juste à point, mon Eve idéale. Depuis, je n’ai jeté mon dévolu que sur des blondes, plus rares. La recherche est ainsi plus passionnante, plus stimulante. C’est devenu ma signature. Il faut savoir sortir du lot, se démarquer. Cet empressement, qui au fil des heures, se transforme en frustration. Cette parenthèse étendue pour trouver, celle qui, éphémère, succombera.

    Puis soudain, on la repère. C’est une évidence. C’est elle. Elle est l’élue. Tous les sens en alerte, on la flaire, on la piste, on la traque. Parfois pendant des heures, des jours, des... Il y a de la délectation dans l’attente. Ce désir intense qui précède la jouissance.

    Le corps raidi et les muscles tendus. Pas de précipitation, non plus. Il faut savoir se contenir, se retenir. S’approcher doucement, l’air de rien. Surveiller ses arrières. Ne pas être trop confiant. Aucun relâchement n’est toléré. Puis sentir l’angoisse, l’effroi. Dés cet instant, elle est nôtre, elle ne s’appartient plus. On l’entoure, on l’enveloppe. Elle cherche une issue, elle s’affole, elle panique.

    Notre désir augmente. C’est une danse, un va et vient, entre elle et nous. Le souffle affolé, les pas saccadés. Quelle douce musique. Cette sueur qui perle et, déjà, on se délecte du goût de la victoire si proche. Il faut savoir déguster ce moment, profité de ce régal intense. Il ne dure que quelques secondes. Savourer chaque instant précurseur de l’ultime. Celui où elle se dérobera. Il faut capter au vol, la panique de ses yeux hagards, les battements de ce cœur, les cris, les gémissements, les gestes désordonnés. Il ne faut rien rater de ces dernières secondes. Ce sont les meilleures. Moment unique, magique. Quelle puissance.

    Et là, à cet instant défini, suspendu dans le temps, on lui fait don.

    Un seul coup… en plein cœur.

    J’avoue avoir une prédilection pour les armes blanches. J’utilise une dague du 17ième siècle, longue et à deux tranchants, aussi efficace que discrète, sertie de rubis. Magnifique, un pur bijou. Il faut être adroit, avoir le geste délié et rapide.

    C’est un travail d’orfèvre. On est professionnel ou pas. J’ai en horreur ces personnes gauches, qui s’y reprennent à plusieurs fois. Ils font honte à la corporation. Je peux affirmer et, sans me vanter, que dans ma longue carrière de tueur, aucune de mes femmes n’a eu à se plaindre de cela. Je suis d’une grande précision. Un artiste. Je ne le répéterais jamais assez. Un seul coup mais le bon.

Oui, vraiment, le premier meurtre est le seul qui compte, à l’instar du premier amour.

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